Certains me certifieront peut-être que Marie-Antoinette n'était en aucun cas ambivalente, aucune contradiction dans son comportement. Alors là...
Son attitude avec Barnave n'est pas seulement de l'opportunisme politique, ou un dernier espoir auquel se raccrocher sans y croire vraiment.
Et j'en passe : voulait-elle ou non quitter la France lors de l'expédition pour Montmédy ? Pour Louis XVI nous sommes assurés. Pour elle ? Mystère.
Mais mettons de côté la Révolution qui ne montre pas le personnage sous son jour quotidien. Elle ne fait au contraire qu'exacerber ses traits de caractère.
Dauphine et reine, nous pouvons trouver des tas d'exemples.
Mais je veux en arriver à ma réflexion de départ.
1785 : éclatement de l'Affaire du Collier.
1786 : procès de l'affaire, la reine voit sa popularité au plus bas. Presque personne ne doute de sa culpabilité plus ou moins directe.
1787 : commande de la Surintendance des Bâtiments à madame Vigée-Lebrun d'un portrait montrant la reine en pleine majesté (finie les erreurs de la robe en gaulle ou autres portraits à caractère plus ou moins intime), entourée de ses enfants.
Le message est clair : la reine montre à la France entière, pour le prochain salon du Louvre, que ce qui compte pour elle avant tout, ce sont ses enfants. Et pour que tout le monde comprenne, elle ne porte aucun collier, avec un cou ostensiblement nu, et son serre-bijoux se retrouve volontairement dans l'ombre.
Une commande tout à fait politique, une oeuvre de propagande.
Incontestablement, Marie-Antoinette a contribué à sa conception : elle choisit l'artiste, pourtant peu habituée à des oeuvres de cette ampleur (madame Vigée-Lebrun s'y étale longuement dans ses Souvenirs) et n'hésite pas à vouloir remettre en cause sa structure en réclamant l'effacement de la pauvre petite madame Sophie. L'artiste s'en tirera par une remarquable pirouette.
Or la même année, Marie-Antoinette commande à Schwerfeger un nouveau serre-bijoux !!!
Personne ne doit croire qu'il s'agit d'une commande privée : non puisqu'il s'agit d'un meuble présent dans sa chambre. C'est donc une commande du Garde-Meuble de la Couronne, pas de son garde-meuble privé. Et tous ceux, nombreux, qui ont accès à sa chambre officielle, peuvent l'admirer. C'est tout sauf un petit meuble intime pour se faire plaisir.
Ce meuble symbolise avant tout un des attributs de toute reine et princesse de la famille royale, à savoir être la mieux parée, celle qui doit porter la quintessence de la richesse du royaume. C'est le sens même de la Toilette publique de la Reine.
La preuve :
Toute reine doit être représentée constellée de diamants, perles, etc.
Et Marie-Antoinette se prêtera tout à fait à ce rôle. Du moins dans sa jeunesse...
Le serre-bijoux n'est pas un meuble qui montre le goût personnel de la reine pour les bijoux mais bien ce que l'on attend d'elle.
Qu'elle les aime ou non est un autre débat, ce n'est pas la question.
Certes, à la même époque Marie-Antoinette fait refaire ses appartements officiels, notamment sa chambre avec le décor que nous connaissons aujourd'hui. Donc pourquoi s'étonner de commander un nouveau serre-bijoux ?
L'ancien doit dater de son arrivée en France, près de dix-sept ans. Et nous savons à quel point Marie-Antoinette est sensible aux nouvelles tendances.
Je crois qu'il existe un
Versalia qui consacre un article sur l'ancien serre-bijoux. Malheureusement, je n'ai pas souvenir qu'on ait établi la surprenante concomitance avec l'Affaire du Collier et le portrait de
Marie-Antoinette et ses enfants.
Car c'est proprement incroyable si l'on remet les événements dans leur contexte !
Au moment où elle passe pour une croqueuse de diamants, plongée malgré elle dans la pire escroquerie mêlant une aventurière d'origine royale par la main gauche, un cardinal débauché, un charlatan célèbre, un faussaire et une prostituée, elle n'hésite pas à commander un meuble remarquable, l'un des plus beaux de notre patrimoine, un des rares avec le bureau de Louis XV que les révolutionnaires ne vendront pas et qui n'a pour autre but que d'être le plus merveilleux des écrins pour ses bijoux !
Et ce n'est certainement pas pour dire qu'elle dédaigne complètement sa nouvelle réputation puisqu'elle commande en même temps un portrait qui doit changer cette image, avec l'ancien serre-bijoux bien mis en valeur justement par sa place obscure !
Comment expliquer deux commandes aussi incroyables, deux de cette ampleur, aussi antinomiques ?
Et la même année !
D'un côté nous avons :
Non, je n'aime pas les bijoux.De l'autre :
Rien à cirer, rien est assez beau pour mes bijoux. Si encore le serre-bijoux restait un meuble privé. On peut comprendre que l'on puisse faire une différence entre message public et réalité. Mais non, puisque la reine, je le rappelle, vit en public, notamment dans sa chambre. Donc tous ceux accédant à sa chambre, nombreux, pouvaient se faire la même réflexion que la mienne.
Soit c'est de la pure provocation, et à ce moment c'était franchement plus que dangereux. Sans oublier le prix extraordinaire de ces deux créations au moment où on ne cessait de parler d'économies. C'est franchement gonflé et complètement inutile.
Soit Marie-Antoinette ne s'est rendue compte de rien, complètement dans sa bulle et a laissé faire, donnant juste ses ordres sur des miettes qu'on souhaitait bien lui donner.
S'il ne s'agit que d'un double caprice de la reine, complètement inconsciente, la Surintendance des Bâtiments et le Garde-meuble de la Couronne étaient deux administrations suffisamment puissantes pour lui tenir tête.
Je n'ai aucune conclusion.