Le fantasme de la réduction du temps de travail ne date pas d'hier
L'arrivée de la machine, à la fin XVIIIe, modifie considérablement le rapport au travail. Pourtant "la révolution industrielle va de pair avec l'augmentation de la durée du travail", expliquent les chercheurs Sophie Boutillier, Abdourahmane Ndiaye et Nathalie Ferreira dans leur travail de recherche intitulé "Le Travail et l'utopie". La productivité des entreprises, qui veulent rentabiliser des équipements coûteux, est sans cesse poussée plus loin. A la fin du XVIIIè siècle, une journée de travail atteint plus de 10 heures, voire parfois 12 à 16 h, durant six jours par semaine.
La machine ne permet pas de décharger les travailleurs, mais bel et bien d'augmenter la production. Et elle n'est pas tant synonyme d'une réduction du temps de travail que d'une augmentation du nombre de chômeurs. Quelques industriels tentent néanmoins, dans la droite lignée de More, de mettre en place des utopies expérimentales.
L'industriel britannique Robert Owen (1771-1858) crée ainsi une nouvelle forme d'organisation, où il instaure une réduction du temps de travail, l'abolition du travail des enfants et améliore les conditions de vie générales. Si ses expériences se soldent par des échecs et que ses détracteurs qualifient son organisation de "dictature bienveillante", ces essais lui permettent de porter ses idées et aboutissent à l'instauration du Factory Act, qui limite la durée du travail dans l'industrie textile.
De son côté, Charles Fourier (1772-1837) crée le Phalanstère, sorte d'association de producteurs agricoles et industriels composée de 1620 hommes et femmes sur plusieurs hectares, avec des conditions de vie idéales et un temps de travail plus faible. A ses yeux, le travail doit être un plaisir et non plus une torture, mais la seule expérience tentée de son vivant échoue.
Ce projet inspire cependant à l'industriel français Jean-Baptiste André Godin le familistère, adaptation du projet de Fourier à l'entreprise capitaliste, sorte de précurseur des coopératives de production actuelles. L'expérience est un succès, même si contrairement à Fourier, Godin ne cherche pas à reconstruire une société de toute pièce. En ce sens il rejoint un des premiers théoriciens du socialisme, l'historien et économiste suisse Jean de Sismondi (1773-1842). Considéré comme un des précurseurs des théories keynésiennes, ce dernier ne souhaite pas s'opposer directement à l'Etat mais estime que la machine ne profite qu'au patronat : les profits augmentent sans que les salaires en bénéficient, et la consommation ne peut pas suivre le surplus de production. A ses yeux, il faut donc faire augmenter les salaires tout en réduisant le temps de travail. Il estime même que l'entreprise devrait prendre en charge les malades et les ouvriers vieillissants.
Thomas Moore et les utopies marxistes c'est par là
https://www.franceculture.fr/histoire/penser-la-reduction-du-temps-de-travail-histoire-dune-utopie