Comme on l'a vu, l'aide de camp du marquis de La Fayette, Mathieu Dumas, traverse la cour des Ministres, du nord vers le sud, après le lever du jour
La cour est alors déserte, mais il peut voir de nombreuses femmes, encore endormies, dans l'aile sud des Ministres
Il gagne ensuite la rue de l'Orangerie et n'a pas le temps de se coucher qu'il entend des détonations
Tout se déroule donc très vite
Peu de temps après le passage de Mathieu Dumas, la cour des Ministres commence à se remplir de monde
Par la cour de la Chapelle et par celle des Princes, en empruntant la voûte des Princes, une partie de la foule passe aussi du côté des jardins, sur les terrasses des parterres du Nord et du Midi
Le bruit des pas et des conversations se fait entendre à l'intérieur de la chambre de la reine, dont les fenêtres donnent sur le parterre du Midi
Réveillée, la Reine demande aux femmes de chambre qui sont restées auprès d'elle, Madame Thibault, sa première femme de chambre, Madame Auguié et Madame Nolle, de regarder ce qui se passe.
Ces dernières rassurent la souveraine: ce ne sont que des curieux, qui se promènent dans les jardins
Depuis la cour des Princes, une partie de la foule emprunte aussi le passage dit de la Colonnade, situé en façade du pavillon de tête de la Vieille-Aile (remplacé depuis 1820 par le Pavillon Dufour
http://www.chateauversailles.fr/actualites/vie-domaine/amenagement-pavillon-dufour) et commence à remplir aussi la cour Royale
Peu de temps après 6 heures, le comte de Gouvernet, qui observe les cours depuis une fenêtre du premier étage de l'aile sud des Ministres, voit, selon ce qui rapporte son épouse dans ses mémoires, une
"foule de misérables déguenillés" entrer par la grille de la Surintendance et passer dans la cour des princes:
"ils étaient armés de haches et de sabres"Un garde du corps, le comte de Saint-Aulaire, observe ce qui se passe dans la cour de Marbre depuis la salle des gardes de l'appartement du dauphin, au rez-de-chaussée
Depuis la porte vitrée, il voit un homme armé d'une massue gravir les marches de la cour
Cet homme est un ouvrier ébéniste nommé Lhéritier
Parvenu au fond de la cour, il se met à escalader une des colonnes soutenant le balcon de la chambre du Roi, comme l'avaient fait plusieurs militaires, on l'a vu, à l'issue du banquet du 1er octobre
Soudain, un coup de feu retentit
Il est tiré par un garde du corps depuis une des fenêtres de la salle des gardes du Roi, au premier étage
Lhéritier est tué sur le coup
Ce coup de feu est mentionné par Madame de Gouvernet, qui poursuit son récit:
"Au même moment, mon mari entendit un coup de fusil. Pendant le temps qu'il mit à descendre l'escalier et à se faire ouvrir la porte du ministère, les assassins (...) avaient franchi le passage de la Colonnade pour se diriger sur le corps de garde de la cour Royale, à l'emplacement de la partie septentrionale de la grille Royale)
Une partie d'entre eux, ils n'étaient pas deux cents, se précipita dans l'escalier de marbre, escalier de la Reine, tandis que l'autre se jeta sur le garde du corps de faction, que ses camarades avaient abandonné sans défense en dehors du corps de garde, dans lequel ils s'étaient enfermés et que les assassins n’essayèrent pas de forcer
Pourtant ces gardes du corps étaient là dix ou douze
Ils auraient pu tirer, sabrer quelques uns de ces misérables, secourir leur camarade
Ils n'en firent rien
Aussi le malheureux factionnaire, après avoir tiré son coup de mousqueton, dont il tua le plus rapproché de ses assaillants, fut écharpé à l'instant par les autres"Le garde du corps qui utilise son mousqueton, provoquant une deuxième détonation, se nomme Des Huttes
Il est né en 1753 et appartient à la compagnie écossaise des gardes du corps depuis 1770
Désarmé par la foule qui l'entoure, il est roué de coups et traîné, plus ou moins en vie, jusqu'au-devant de l'aile sud des ministres, face au premier perron
Mathieu Jouve dit Jourdan dit Jourdan Coupe-Tête
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mathieu_Jouve_Jourdan
C'est là que Jourdan, dit Coupe-Tête, chiffonnier et ancien modèle à l'Académie royale de peinture et de sculpture, armé d'une hache, s'approche de la victime, appuie son pied sur la poitrine et tranche la tête
Cette dernière est fichée au bout d'une pique, tandis que le cadavre, dévêtu, est roulé à coups de pied jusque devant la caserne des gardes françaises, place d'Armes
Pendant que Des Huttes est désarmé, une partie de la foule se dirige vers la grille de l'escalier de la Reine, qui est gardée par deux Suisses de la compagnie des Cent-Suisses
A ces derniers, depuis la fenêtre de la salle des gardes du Roi donnant sur la cour Royale, les gardes du corps crient:
"Rendez-vos armes"Ils ne laissent désarmer et sont ainsi épargnés
La foule commence à gravir les marches de l'escalier de la Reine
Réveillés en sursaut par le bruit des détonations, alertés par les cris de la foule, les gardes du corps du premier étage sont sortis de la salle des gardes du Roi, ce celles de la Reine et de la grande salle des gardes (actuelle salle du Sacre)
Ils sont cinq ou six à descendre l'escalier de la Reine pour affronter la foule, lorsque l'ordre retentit:
"Ne tirez pas!"Ils opèrent alors un rapide repli et se barricadent derrière les portes des trois salles des gardes
Les émeutiers, vociférants, s'en prennent d'abord à la porte de la grande salle des gardes, qui fait face à la volée montante de l'escalier de la Reine
Au moyen d'une hache, ils brisent le panneau du bas, ce qui provoque la fuite des gardes du corps vers la salle des Cent-Suisses (actuelle salle de 1792)
Parmi ceux qui fuient, il y a Rouph de Varicourt, garde du corps depuis 1779 et frère du curé de Gex, député à l'Assemblée nationale, et de la marquise de Villette, ancienne amie de Voltaire
FRappé dans le dos, il s'affaisse
Saisi, il est traîné par les cheveux dans l'escalier de la Reine, dans la cour Royale, puis dans le passage de la Colonnade
Comme Des Huttes, il est décapité par Jourdan, alors qu'il se débat encore, devant le perron du comte de Saint-Priest, le premier de l'aile sud des Ministres en venant du château (actuelle entrée de la librairie des Princes)
Son cadavre en ensuite transporté, lui aussi, devant la caserne des gardes françaises
plusieurs hommes ramassent des caillots de sang et s'en frottent les bras et le visage
Ces deux assassinats se font avec la complicité, au moins passive, des gardes nationaux postés à la grille de la cour des Ministres, qui voient passer les deux corps sanguinolents
L'installation de Jourdan devant l'aile sud des Ministres laisse penser à une préméditation
Depuis les escaliers de la Reine, les émeutiers parviennent à atteindre la salle des gardes de la Reine
Seuls deux gardes du corps s'y trouvent, les autres on fui vers la grande salle des gardes et la salle des Cents-Suisses, qui se placent devant la porte de l'antichambre du Grand Couvert
Ils s'appellent Du Repaire et Miomandre de Sainte-Marie
Le premier est mis à terre, on l'entraîne sur le palier de l'escalier de la Reine où on s'apprête à le transpercer d'une pique
il parvient toutefois à s'agripper à cette dernière, à se redresser et à désarmer son assassin avant de gagner la loggia de l'escalier de la Reine
Là, il s'engouffre dans la porte entrouverte de la salle des gardes du Roi
Resté seul devant la porte de l'antichambre du Grand Couvert, Miomandre de Sainte-Marie se défend comme il peut
Selon Madame Campan, qui tient son récit de sa sœur Madame Auguié, femme de chambre de la Reine, "ma sœur vola vers l'endroit où lui paraissait être le tumulte. Elle ouvrit la porte de l'antichambre du Grand Couvert qui donne dans la (...) salle des gardes et vit un garde du corps, tenant son fusil en travers de la porte et qui était assailli par une multitude qui lui portait des coups
Son visage était déjà couvert de sang
il se retourna et lui cria:
"Madame, sauvez la Reine. On vient pour l'assassiner"Selon le comte d'Hézecques,
"Miormandre reçoit un coup de crosse de fusil sur la tête, le chien pénètre le crâne et sa tête aurait augmenté les trophées sanglants de cette matinée si plusieurs de ses camarades, réfugiés dans la grande salle et revenant sur leurs pas pour se soustraire à une autre bande de brigands montés par l'escalier des Princes, ne l'eussent secouru et ne se fussent fait jour jusqu'à l'autre salle (salle des gardes du Roi) qui précédait les appartements du Roi"