Quelques points épinglés chez Madame de Tourzel

Voilà, comme promis, j'ouvre un sujet qui contiendra des points importants, frappants ou étonnants (hé, ça rime ! ) des souvenirs de Madame de Tourzel. Dès le début, à peine le décor planté, un passage m'interpelle :

Je m'établis à Versailles, les premiers jours d'août 1789. Le Roi et la Reine ne pouvaient voir sans effroi les décrets désorganisateurs de l'Assemblée se succéder avec une rapidité effrayante. La plupart des domestiques de la famille royale étaient gagnés par les factieux, en étaient les espions et leur rendaient le compte le plus exact de tout ce qu'on y faisait, de ceux qui y étaient admis et des diverses impressions qu'elle éprouvait. D'autres personnes, qui désiraient conserver à la fois leur influence politique et leur attachement pour Leurs Majestés, jetaient dans l'esprit de celles-ci des inquiétudes continuelles, sous prétexte de leur rendre compte de ce qui se passait, les empêchant ainsi de prendre un parti décisif, en leur mettant perpétuellement sous les yeux les inconvénients qui en pourraient résulter.

Au mois de septembre de cette année, le Roi, fatigué de sa position et ne pouvant se dissimuler l'avantage que tiraient les factieux de la proximité de Paris, pensa sérieusement à quitter Versailles. Il voulait, en s'éloignant de cette ville, ôter la possibilité de réaliser des projets que les propos incendiaires des Jacobins ne donnaient que trop de raisons de redouter. Leurs Majestés, toujours pleines de bonté, eurent celle de me prévenir de me mettre en mesure de partir sans aucune préparation, si les circonstances l'exigeaient. Elles n'étaient point encore décidées sur le lieu où elles devaient s'établir, et je l'ai toujours ignoré; mais elles changèrent bientôt d'avis et se résolurent à rester à Versailles.

Voilà une description particulièrement claire de la situation où se débattaient le roi et à la reine dans les derniers temps de Versailles. Espions infiltrés parmi les membres de leurs Maisons, d'où suspicions perpétuelles, projets de départ, qui pourraient se réaliser dans la précipitation. Les opinions de la marquise ne laissent aucun doute : l'assemblée auto-proclamée n'apporte que désordre.

Pour Madame de Tourzel, il est certain que le duc d'Orléans est impliqué dans les événements :

Ils feignirent d'abord les plus vives inquiétudes sur les suites d'un repas qui n'était, disaient-ils, que le prélude de la contre-révolution; ils parvinrent ensuite à organiser un mouvement assez violent pour forcer le Roi à venir à Paris et consommer plus facilement l'exécution de leurs desseins. Quoiqu'ils cachassent encore le projet de renverser le Roi de son trône pour y placer le Duc d'Orléans, la violence de leurs déclamations contre leur souverain et la conduite du côté gauche de l'Assemblée ne laissaient que trop apercevoir le vœu réel de leur cœur.

Continuant sur sa lancée, elle nous présente les journées d'octobre non comme une émeute, mais comme un événement mis au point :

Quand les factieux eurent disposé la populace au rôle qu'ils voulaient lui faire jouer, ils rassemblèrent leurs troupes auxiliaires, composées de tous les bandits de la capitale, et s'en allèrent tumultueusement en armes à l'Hôtel de ville se plaindre de la rareté du pain. Elle était, disaient-ils, occasionnée par des accaparements faits par ordre de la Cour, qui voulait, par la famine, les remettre sous le joug du despotisme. Ils forcèrent les membres de la Commune à donner l'ordre à M. de la Fayette de conduire la garde nationale à Versailles, pour obliger le Roi à venir à Paris, et à ramener par sa présence l'abondance dans la capitale. Une troupe de brigands, parmi lesquels étaient beaucoup d'hommes habillés en femmes et de poissardes ivres, qui avaient l'air de véritables furies, précéda la garde nationale, forçant à la suivre toutes les personnes qu'elle rencontrait sur son chemin.

Merci Pim...C'est étonnant qu'on n'avait pas encore consacré de sujet pour ces Mémoires...Voilà qui est réparé
On peut goûter à l'atmosphère intérieure de la cour pendant l'été de la Révolution...

Bien à vous.

Madame de Tourzel apportera d'autres éléments montrant l'existence d'un complot plus que d'une émeute. La foule massée dans la cour de marbre présente de bien étranges caractéristiques, dit-elle :

On remarqua, comme chose singulière, que toutes les poissardes avaient le teint blanc, de belles dents, et portaient un linge plus fin qu'elles n'ont coutume d'en porter: ce qui prouve évidemment qu'il y avait parmi elles beaucoup de personnes payées pour jouer un rôle dans cette horrible journée

Autre fait qui m'avait échappé : une fois dans l'appartement du roi, après l'attaque nocturne, Marie Antoinette ressort :

Ne voyant point avec moi Madame, que je n'avais eu que le temps de faire avertir, elle descendit chez elle par un petit escalier intérieur qui y communiquait par mon appartement, et y trouvant mes filles, qui y avaient passé la nuit, elle les rassura, leur dit de monter chez le Roi, et y conduisit Madame avec une fermeté et une dignité remarquables en un pareil moment.

Encore un passage qui met en cause Orléans :

M. le duc d'Orléans était sur le chemin de Passy, et ses enfants, avec madame de Genlis, sur le balcon de la maison qu'il y avait louée. Il les y avait placés pour jouir à son aise du spectacle de l'abaissement de la famille royale, qui ne put s'empêcher d'en faire la remarque. La Reine en parla historiquement à madame la duchesse d'Orléans, qui soupira sans pouvoir rien répondre. Cette excellente princesse était bien loin de partager les sentiments du duc, son époux. Elle s'aveuglait encore sur son compte, et elle fut complètement malheureuse quand, l'illusion cessant, elle ne put s'empêcher d'apercevoir la part active qu'il prenait à cette affreuse Révolution.

Donc, toute la famille royale remarqua les Orléans paradant sur le balcon d'une maison louée pour l'occasion, en prit ombrage, et Marie Antoinette en parla avec la duchesse d'Orléans.

Voilà l'arrivée à Paris. Ici, Madame de Tourzel épingle le manque de sens des convenances dont Bailly fera preuve, selon elle, à plusieurs reprises. D'abord en forçant la famille royale à prolonger son exhibition, en dépit de son humiliation et de sa fatigue. Plus tard, en lui offrant des médailles commémorant ces journées où elle avait failli perdre la vie. Marie Antoinette ressentira profondément ces blessures.

La Fayette n'est pas épargné non plus et apparaît comme un gros incapable.

Selon Madame de Tourzel, la gaffe du mont de piété est un plan aussi :

Ils imaginèrent encore un autre moyen pour indisposer le peuple contre la Reine. Deux jours après l'arrivée de cette princesse, ils insinuèrent dans la classe malheureuse l'idée d'aller lui demander de retirer du Mont-de-piété tous les effets que la pauvreté avait forcé de mettre en gage. La terrasse des Tuileries était couverte de femmes qui s'étouffaient à force d'être pressées, et qui demandaient à parler à la Reine. Les personnes qui entouraient cette princesse en ce moment l'engageaient à acquiescer à leur désir. Je l'en dissuadai, lui représentant le danger de compromettre sa dignité en se prêtant aux caprices de cette multitude, et je lui conseillai seulement de lui faire dire qu'elle s'occuperait des moyens de lui être utile. Tout le monde était si effrayé, que personne n'osait se charger de la commission. J'offris à la Reine de parler moi-même à ces femmes, avec madame la princesse de Chimay, sa dame d'honneur. Elle y consentit; et de l'appartement de cette dernière, qui donnait sur la terrasse des Tuileries, nous haranguâmes cette multitude. Nous lui dîmes que quoique les malheureux eussent de grands droits sur le cœur de la Reine, elle ne pouvait prendre d'engagements sans en connaître l'étendue, mais qu'on pouvait se reposer sur sa bienfaisance et sur sa bonté. Cette démarche la satisfit; le rassemblement se dissipa, et chacun s'en retourna tranquillement. Peu de jours après, le Roi autorisa la Reine à retirer du Mont-de-piété les effets qui n'excédaient pas la valeur d'un louis.

Aucun doute pour la marquise, la fermentation est entretenue dans Paris.

Dès 1789, le duc de Lévis tente d'organiser une rencontre entre la reine et Mirabeau, mais Marie Antoinette ne donne pas suite.

La Fayette, qui redoute Orléans, travaille avec succès à lui obtenir une "soi-disant" mission en Angleterre.

C'est ici que Madame de Tourzel parle d'Ernestine. Elle nous donne aussi une vision assez inhabituelle du caractère de Madame Royale, qu'elle ne voit ni fière, ni dissipée :

Je n'ai jamais pu concevoir ce qui avait pu donner lieu à cette opinion. Cette jeune princesse était, au contraire, bonne, affable, timide, et avait même besoin qu'on lui inspirât de la confiance. Il lui eût été plus utile de voir un peu plus de monde, que d'être toujours seule dans son appartement, avec ses femmes et la jeune personne à qui la Reine avait permis de partager ses études et ses jeux. Privée si jeune de tout appui, livrée à elle-même dans une cruelle captivité, elle seule a fini son éducation; le malheur a été son instituteur, et n'a heureusement pas altéré les grandes qualités que les circonstances l'ont mise à portée de développer dans tout le cours de sa vie.

Très intéressant merci Pim

J'ai lu ces mémoires il y a pas mal de temps et du coup je redécouvre ces passages moi aussi, qui ne m'avaient pas choqué à l'époque car j'avais lu peu de livres encore
Mais sa vision des événements est excellente car elle était là, et manifestement elle n'était pas dupe quant aux manipulations de foule.
Sa description de Madame Royale est aussi intéressante car on peut estimer qu'elle la connaissait mieux que beaucoup d'autres

C'est pareil que toi. J'ai lu ces mémoires il y a trop longtemps, et ces détails m'étaient passé au dessus de la tête. Pour ce qui est de l'analyse politique de Madame de Tourzel, il faut bien dûr tenir compte de son esprit de classe et de son conservatisme. Mais ses remarques sur l'aspect non spontané des émeutes sont particulièrement intéressantes. Il est clair qu'elle n'a pas tout à fait tort, nous le savons...

Par exemple, sa version de la gaffe du monte de piété m'interpelle : pourquoi les biographes n'en tiennent-il en général pas compte ? On épingle la maladresse de Marie Antoinette, sans creuser plus loin.

En ce qui concerne Madame Royale, je resterai prudente, parce qu'il me semble que Madame de Tourzel s'intéressait surtout au dauphin. C'était Madame de Mackau qui s'occupait plus particulièrement de la princesse.

C'est tout pareil pour moi ...je ne découvre pas ces propos mais ton rappel m'est nécessaire car je n'en ai pas toujours perçu le poids au moment de la lecture des Mémoires de Madame de Tourzel...
Merci Pim !!!

Bien à vous.

Nous en sommes tous là ! Merci, Pim !!! Les allusions à Ernestine ne sont pas si nombreuses bizarrement : elles valent la peine d'être soulignées !

pimprenelle a écrit:

En ce qui concerne Madame Royale, je resterai prudente, parce qu'il me semble que Madame de Tourzel s'intéressait surtout au dauphin. C'était Madame de Mackau qui s'occupait plus particulièrement de la princesse.

Je pense aussi que la duchesse de Tourzel était moins proche de Madame Royale avant 1789, donc il se peut qu'elle ait raté quelques scènes peu avantageuses pour Marie-Thérèse Car après 1789, je pense que cette jeune fille avait bien murie

Citation :

Nous en sommes tous là ! Merci, Pim !!!  Les allusions à Ernestine ne sont pas si nombreuses bizarrement : elles valent la peine d'être soulignées !

Exact ! On finirait même par douter de son existence... mais, non, la gouvernante elle-même atteste sa présence !

L'autre source où elle apparaît, c'est sous la plume de la reine elle-même, dans une superbe lettre à Madame de Polignac... mais reprise chez Paleo, pas chez Lever.

Aussi, comme tu dis, Eléonore, quand j'ai lu ça hier, j'ai sauté de joie !  

Tu as raison ; moi qui ne peut prétendre à votre magnifique mémoire, j'éprouve souvent le besoin de feuilleter à nouveau quelques-uns des mes bouquins.
C'est aussi un moyen de faire des économies.

Le récit de Mme de Tourzel m'avait tenu en haleine. On n'en décroche pas !  

Citation :

Tu as raison ; moi qui ne peut prétendre à votre magnifique mémoire, j'éprouve souvent le besoin de feuilleter à nouveau quelques-uns des mes bouquins.

Are you kidding me ???  

Citation :

Le récit de Mme de Tourzel m'avait tenu en haleine. On n'en décroche pas !  

Il y a une intensité dramatique, à partir de la journée du 10 août, qui prend aux tripes !!!!! ( si vous me permettez tant de trivialité ...)

C'est vrai, et je me rapelle que la duchesse de Tourzel développait beaucoup le contexte de l'époque, ce qui est très instructif

Citation :

Are you kidding me ???

Pas du tout !

Nous avons tous nos défaillances.......

Il me souvient que nous avons discuté de savoir si la reine avait été ou non au courant de l'attaque qui devait être dirigée contre sa personne dans la nuit du 5 octobre 1789. C'est bien chez Madame de Tourzel que j'avais lu cet élément :

Cette princesse était convenue avec moi qu'au moindre bruit je conduirais ses enfants chez elle; mais elle fit dire à onze heures du soir que si l'on avait de l'inquiétude, je les menasse, au contraire, sur-le-champ chez le Roi. Elle venait d'être avertie des dangers personnels qu'elle pouvait courir dans son appartement, et on l'avait engagée à passer la nuit dans celui du Roi; mais elle s'y refusa positivement: «J'aime mieux, dit-elle, m'exposer à quelque danger, s'il y en a à courir, et les éloigner de la personne du Roi et de mes enfants.» Ce fut le motif du changement de l'ordre qu'elle m'avait donné d'abord. (p. 29)

Madame de Tourzel s'attarde beaucoup sur la fête de la fédération organisée en 1790. Elle rappelle que le temps n'était pas de la partie. Mais, malgré les trombes d'eau, les bataillons avançaient sans broncher et la foule désertait les maisons pour se masser sur leur passage.

Place Louis XV, des gens essayaient de se protéger des flots, provoquant de grands cris autour d'eux : "à bas les parapluies !". La Fayette, nous rapporte la gouvernante, qui, décidément, ne l'aime guère , en pâlit même, les prenant pour les prémisses d'un attentat.

La mémorialiste regrette amèrement la mollesse dont firent preuve les ministres du roi. Elle relève que, suivant le mot que Barnave prononcera plus tard, si le roi avait su profiter de l'occasion, la révolution était perdue. Pour elle, le roi aurait dû monter sur un cheval, et se déclarer dans l'impossibilité de jurer fidélité à une constitution qui n'était pas terminée et dont seul l'ensemble eût permis de juger la pertinence.

Il aurait dû aussi, dit-elle, partir en voyage dans ses provinces pour déconcerter l'assemblée. S'il ne le fit pas, en dépit des conseils, ce fut dans la crainte d'une guerre civile.

En tout cas, l'amertume de la gouvernante éclate : "il était écrit dans l'ordre de la Providence que nous boirions le calice jusqu'à la lie". (pp 130-136)

On se demande franchement pourquoi, le même jour, il y eut à Hambourg une grande fête pour commémorer l'anniversaire de la prise de la Bastille ! De quoi je me mêle ? Beaucoup d'intellectuels y participèrent . On y lut notamment une Ode de Klopstock ...