Boucles de Chaussures dites d'Artois

Notre ami Diphildor me demandant quelles dimensions caractérisent une boucle de chaussure dite d'Artois, je prends la liberté d'y répondre en public, car j'ai besoin également, à partir de mes constatations, de vos connaissances.

De quoi s'agit-il ? La boucle de chaussure d'Artois est une large boucle, de grandes dimensions, à la mode du milieu des années 1770 jusqu'au début des années 1790. Si la mode en est en France et en Angleterre, ce n'est qu'en Angleterre qu'on leur donne ce nom de "Artois Shoe Buckles". Les historiens, les collectionneurs anglais reprennent de publication en publication l'idée selon laquelle ce nom vient du comte d'Artois, frère de Louis XVI, qui en aurait importé l'usage lors de son "ambassade" à Londres. Or, sans être spécialiste de Charles X, je ne vois pas du tout quelle ambassade il effectue à Londres, où l'appellation "Artois Shoe Buckles" est attestée dès 1777. Cette année-là, le Gentleman’s Magazine de Londres note que « les boucles de chaussures d’Artois deviennent universelles pour les dames comme pour les gentilshommes [The Artois buckles are become universal for ladies and gentlemen]: les tailles de certaines, portées à la cour, sont gigantesques ». Soit ce nom vient effectivement du comte d'Artois, dont l'élégance affectée était bien connue, soit l'origine est autre...Et l'on sait combien en matière de noms, de qualificatifs, ce cher XVIIIe siècle est inventif (robe à la Polonaise, couleur les yeux du roi, etc..).

Cela ne répond pas à la question de Diphildor : quelles dimensions ? A partir des années 1740, la taille de la boucle se stabilise à environ 6x5cm. Donc les boucles d'Artois mesurent davantage. Dans les années 1770-1780, la dimension moyenne des boucles - je me fonde de manière très parcellaire sur celles qu'il m'a été donné d'étudier - augmentent : elles s'élargissent pour couvrir totalement le coup de pied; En moyenne 7 à 8 x 5 cm, environ. On voit qu'elles ne font que s'élargir, sans gagner en hauteur. Mais elles peuvent en effet être bien plus imposantes, ce qui explique la raillerie de Frédéric II le Grand sur nos boucles de "harnais de carrosses".... J'en connais une paire étonnante, et esthétiquement pas très heureuse, de 11,6 x 4,6 cm ! Celles d'un genre dont se plaint Vaublanc dans ses Mémoires... J'en connais également une paire, très jolie, des années 1780, de 9,7 x 7,5 cm. Elles ressemblent tout à fait à celles que porte Lavoisier dans le tableau de David, et qui couvrent entièrement le cou de pied. J'ai également publié sur mon blog sur ces boucles en Wedgwood du V&A : elles mesurent 8,6 x7,8 cm.

Voilà pour l'histoire. Les boucles d'Artois étant les plus prisées par les collectionneur outre-Manche, elles sont en général qualifiées ainsi dès qu'elles mesurent plus de 6 ou 7 cm de large. Sont également appréciées, aujourd'hui, dans les Maisons de Ventes, ses qualités esthétiques. Aujourd'hui, boucle d'Artois veut dire essentiellement boucle de belle dimension, et de belle facture. Des boucles un peu grossières, même de grandes dimensions, ne seraient sans doute pas qualifiées de "Boucles d'Artois".
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Merci de votre intérêt, Diphildor.

Merci de nous avoir expliqué ce qu'étaient les boucles d'Artois, Charles-Frédéric.
De quelles connaissances avez-vous besoin car il me semble que vous en connaissez un rayon ...

Madame de Chimay a écrit:

De quelles connaissances avez-vous besoin car il me semble que vous en connaissez un rayon ...

Merci Madame. Tout d'abord, j'en suis arrivé à ce degré de connaissance par la somme de toutes celles que je n'avais pas, et qui m'ont été aimablement communiquées. J'ai donc toujours besoin de la science ou de l'intuition des autres. Ensuite, et très spécifiquement ici, je me dis qu'un ami du boudoir pourra peut-être m'aider à étayer, ou à déconstruire, le lien entre le nom "Artois Buckle" et le comte d'Artois...

Ah, pour cela, il faut se pencher sur la vie du comte d'Artois.
J'ai des livres sur ce personnage que je compte bien lire mais pour le moment , je me penche sur la famille royale d'Angleterre...

Merci infiniment, cher ami, pour cette réponse si savante et détaillée.
Pour apporter un tout petit peu d'eau à votre moulin, voici un court document relatif à la mode de ces boucles de chaussure de grande dimension en Angleterre :


The dissipated and frivolous example of the count d'Artois at the court of France, also, had its influence on the prince of Wales.
In a spirit of rivalry with the French prince, he " launched" as it was expressed " a new shoe-buckle in the beau monde."
The regulation measure of the new buckle was " five inches long by one broad, covering the instep so as almost to touch the floor on either side." A schism arose in the " beau monde," the younger part adopting the new and narrow, whilst the elder adhered to the old and orthodox broad buckle.(*)
This incident will appear trivial to the grave reader, but it may be curious to amateurs in fashionable virtu.
The prince of Wales was soon regarded as " the glass of fashion, and the mould of form," in matters relating to the toilet, of which he continued, as every body knows, the great arbiter to the latest period of his life.

* Sheridan, in his alteration of Vanbrugh's " Relapse," has the following hit at the broad buckle, in 1777 :—" Formerly the buckle was a sort of maclune intended to keep on the shoe; but the case is now quite reversed, and the shoe is of no earthly use, but to keep on the buckle."



The History of the Life and Reign of George IV.: in 3 Volumes, Volume 1 by William Wallace 1831.

Ah, on adore le : in the beau monde...

Merci Charles Frédéric pour votre petit topo sur les boucles d’Artois.
J’ignore si le frère du roi est allé faire un tour à Londres en 1777.
Ou peut-être, à la cour française, sont-ce les visiteurs Anglais qui remarquent ce genre de boucles ?

J’ai jeté un oeil dans un de mes bouquins, mais rien à ce sujet...
Je vous propose toutefois cette gravure, avec quelques exemples de boucles (davantage époque Louis XV).
Peut-être la connaissez-vous déjà ?

En 1779, dans sa pièce The Son in Law (le gendre) l'acteur et dramaturge irlandais John O'Keeffe (1747-1833) fait de l'un de ses personnages le miroir des dernières modes. Les vers qui suivent étaient l'un des hymnes des élégants, tant que survécut la mode des boucles d'Artois!

"This face observe, discerning fair,
Observe each motion debonair;
My artois buckles when you view,
In shining sable satin shoe,
You'll say, that I'm, from top to toe,
A monstrous handsome city beau." !!!

(...lorsque vous regardez mes boucles d'Artois, sur mes chaussures satin noir brillant, vous direz, que de la tête aux pieds, je suis suis un loup d'une beauté dévastatrice!)

John O'Keeffe (1747-1833)

On apprend vraiment de tout dans notre Boudoir !
Un grand merci cher Charles-Frédéric !

Je ne crois pas non plus que le comte d'Artois se soit rendu en Angleterre avant l'émigration... Je sais qu'il est allé à cette époque en Belgique puisque reçu par le prince de Ligne.
Mais à cette date, je ne pense pas que les relations franco-anglaises étaient au beau fixe. Au pire, compte tenu des circonstances, cela aurait été une ambassade clandestine. Cependant, Louis XVI n'aurait pas envoyé son frère en toute discrétion ! Surtout s'il se retrouve à lancer la mode !

Ce qui est curieux c'est qu'on voit notre jeune prince écervelé comme un furieux anglomane, lançant en France avec son ami (pour l'instant) le duc de Chartres les modes anglaises. Or il s'avère qu'il se retrouve copié en Angleterre !

olivia a écrit:

Mais à cette date, je ne pense pas que les relations franco-anglaises étaient au beau fixe. Au pire, compte tenu des circonstances, cela aurait été une ambassade clandestine.

La Fayette va faire un tour en Angleterre, avant de foutre une merde iiiiinternationale aux States, comme dirait Chouchou...

Quid du Beau Brummel ?

http://fr.wikipedia.org/wiki/George_Brummell

diphildor a écrit:

Pour apporter un tout petit peu d'eau à votre moulin, voici un court document...

Bonjour Diphildor,

Merci de ces extraits ! M'autorisez vous à citer ces sources dans la catégorie "Documents" de mon blog ?

Bien à vous,

C.-F.

Charles-Frédéric a écrit:

Bonjour Diphildor,

Merci de ces extraits ! M'autorisez vous à citer ces sources dans la catégorie "Documents" de mon blog ?

Bien à vous,

C.-F.

Mais je vous en prie mon cher Charles-Frédéric!

Yours friendly,

D.

Cher Dilphidor,

J'ai, au gré de mes lectures, trouvé l'exacte dimension qui caractérise les boucles d'Artois :

"Proportions reached their peak in the 1770’s and 1780’s with the oversized Artois buckles named after the Comte d’Artois."

OVERSIZED. C'est exactement cela

Bien à vous,

C.-F.

Charles-Frédéric a écrit:

OVERSIZED. C'est exactement cela

That's what I call A PIECE of information, my dear Charles-Frédéric!

Thank you anyway!

D.

J'ai trouvé en français l'expression "boucles à la d'Artois", dans le Dictionnaire national de Chantreau (1790)

L'article "Boucles" est assez truculent :“ornement superflu, qui désigne un aristocrate ou un égoïste“

texte in extenso sur mon bloghttp://boucledechaussure.wordpress.com/

Ce document atteste notamment que les fameuses "boucles patriotiques" ou "boucles nationales", en cuivre ou en bronze, apparaissent bien dès 1790.

J'ai musardé pendant un long moment sur votre blog qui est follement intéressant. Je possède une paire de boucles, mais je n'ai toujours pas compris comment les mettre sur mes chaussures.

Mr de TALARU a écrit:

J'ai musardé pendant un long moment sur votre blog qui est follement intéressant. Je possède une paire de boucles, mais je n'ai toujours pas compris comment les mettre sur mes chaussures.

Merci de votre message encourageant, Monsieur de Talaru... Il faut des souliers spéciaux, bien sûr, avec des pattes de quartier plus longues que celles qui sont trouées pour des lacets...

The re-enactmentshop propose un feuilleton photo pour la pose des boucles, qui montre bien l'utilisation de boucle à chape et double ardillon. Hélas la boucle qu'ils utilisent est bien laide, et pas assez incurvée pour un cou-de-pied; mais leurs photos permettent de bien piger le système.

http://www.re-enactmentshop.com/p_instructions.htm

Il y a aussi une vidéo sur youtube pour apprendre à bien positionner les boucles avant d'effectuer les pré-trous sur les pattes de quartier. C'est un peu fastidieux, mais clair...



Je serais curieux de voir vos boucles. En avez-vous une photographie ?

Bien à vous. Merci encore de votre intérêt.

C.-F.

La mode des boucles de souliers changea ; de petites qu’elles étaient , on les fit d’une grandeur démesurée . Le duc de Chartres en désirant une paire d’après un certain modèle ; son joaillier est appelé ; le prix se discute , on tombe d’accord pour 24 000 livres.
L’artisan se met à l’œuvre , achète à crédit les brillans , et porte les boucles à jour fixe.
Mais elles ne plaisent pas ; on les trouve de mauvais goût , et le joaillier est accueilli par un refus. Le pauvre homme , dans son désespoir , écrit au duc de Chartres ; il peint l’embarras de sa position, dit qu’il a avancé 18 000 livres et qu’il ne peut les perdre. Alors cette somme lui est offerte ; il l’accepte, heureux de rentrer dans ses déboursés, et les boucles reviennent à celui qui devait les payer 24 000 livres.

M. le baron de Staël , ambassadeur de Suède à la Cour de France, , voit les boucles aux souliers du prince , et les admire et s’en engoue, et demande si on veut les lui céder.

-Volontiers Monsieur et au prix coûtant.
-Combien ,Monseigneur ?
-24 000 livres.

Le lendemain , un valet de chambre de l’ambassadeur apporte la somme en or et reçoit les boucles en échange. M. de Staël veut s’en parer quelques jours après ; mais comme elles ne sont pas faites pour ses pieds , il envoie demander au service de M. le duc de Chartres , l’adresse du joaillier qui les a vendues. On la donne et cet homme est appelé de nouveau . A la vue des boucles, il soupire et s’informe comment elles se trouvent appartenir à l’ambassadeur.

-Elles ont été achetées au premier prince du sang 24 000 livres.
-Vous les avez payées 24 000 livres ! …
-Oui, mon ami, n’est-ce pas le prix qu’elles ont coûté ?

Le joaillier répond affirmativement. Il emporte les boucles, les élargit ; puis il va au Palais Royal solliciter une audience du prince. Elle lui est accordée ; alors il remercie le duc de Chartres de l’avoir dédommagé du tort que lui avait occasioné sa dernière vente , en rétablissant l’affaire dans son état primitif .

-Quel conte me faîtes-vous là ? répondit le prince ; vous avez reçu 18 000 livres , les boucles sont donc à moi : peu vous importe ce que je les ai vendues.

-Quoi ! Monseigneur , vous ne me rendrez pas les 6000 livres que vous a données M. le baron de Staël ?
-Allez au diable ! s’écria le prince. On croirait que le négoce m’est interdit et que je ne puis pas tirer parti de mes bijoux si bon me semble.

Le joaillier , furieux , parlait d’intenter un procès ; mais Madame de Montesson , instruite de cette affaire , la termina en payant les 6000 livres de sa bourse particulière , car M. le duc d’Orléans qui vivait encore , ne se montra pas plus traitable que son fils. Lui aussi trouva tout simple cette manière de grossir les trésors du Palais Royal.

source :

Souvenirs sur Marie-Antoinette et la Cour de Versailles Vol 1 de
Etienne Léon Lamothe-Langon ( baron de )

Cela paraît gros, mais si c'est vrai, quel culot !!!