Marie Antoinette par Jacquot vs Coppola, que préférer?
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pimprenelle
Nombre de messages : 40552 Date d'inscription : 23/05/2007
Sujet: Marie Antoinette par Jacquot vs Coppola, que préférer? Ven 4 Juil - 10:47
Je viens de tomber sur une super comparaison entre les deux films les plus récents consacrés à notre reine. C'est une étude très sérieuse, qui commence par les sources et analyse la pensée des cinéastes. Le tout avec une plume très fine et agréable à lire! http://sympathyfortheprojectionist.unblog.fr/2012/02/27/une-reine-pin-up-une-pomme-de-reinette-marie-antoinette-au-cinema/
Une reine pin-up, une pomme de reinette : Marie-Antoinette au cinéma
Le 21 Mars, Les Adieux à la Reine de Benoît Jacquot sortira en salles. Adapté du premier roman de Chantal Thomas, ce film suit le destin de la lectrice de Marie-Antoinette entre le 14 et le 17 juillet 1789. 6 ans après la version sulfureuse de Sofia Coppola, que reste-t-il à dire de la dernière épouse de France ? Bataille de jupons et crêpage de perruques en perspective.
«Bientôt, je serai loin de Versailles, bientôt je ne serai plus personne.» Avant de nous atteler à la confrontation des pellicules, il convient que nous nous arrêtions un instant sur les livres adaptés. D’un côté, il y a Marie-Antoinette d’Antonia Fraser (2001), qui a donné la version Coppola ; de l’autre Les Adieux à la Reine de Chantal Thomas, dont les droits ont été acquis dès sa publication en 2002. La première est américaine, la seconde est française. Toutes les deux sont historiennes, mais leurs techniques d’analyse diffèrent. Fraser présente son ouvrage comme un manuel historique, or nous sommes loin de la distance amusée d’un Stefan Zweig sautillant de joie à l’écriture d’épisodes croustillants (à la manière de Stéphane Bern et ses visites exceptionnelles-jamais-vues-à-la-TV-exclusivité-mondiale-potin-d’il-y-a-deux-siècles). Fraser prend le parti pris de défendre ce personnage royal, qui a défrayé la chronique de son vivant, mais qui fascine depuis une grande part de la population universitaire. Elle participe ainsi à l’élaboration du mythe de la reine-martyr là où un universitaire franco-gallico-français se serait contenté de plates mises en perspective. L’ouvrage de Thomas est, cependant, un roman. L’auteure est une habituée des milieux spécialisés en Histoire, mais il s’agit ici de fiction. Du moins, de semi-fiction. Son livre s’appuie entre autres sur les mémoires de Mme Campan «lectrice de Mesdames et première femme de chambre de la Reine», qui évoque une ambiguïté relationnelle entre la Reine et une de ces favorites : la duchesse de Polignac (traduction instantané pour toi, jeune internaute venu ici par hasard, lecteur plus habitué aux commentaires Skyblog : la Toinette elle est gay quoi, avec l’aut’ Popopo, mais c’est pas sûr t’as vu ils avaient pas la fonction photo à l’époque). La différence de base est donc énorme. Elle pourrait presque convenir à deux personnes distinctes. Et pourtant, Marie-Antoinette n’a pas deux têtes (la suite de l’article ne parviendra malheureusement pas à prouver sa schizophrénie, malgré tous les efforts éthiques et esthétiques mis en oeuvre pour l’élaboration de cette Focale, N.D.L.R.).
Lâchons maintenant les roquets et autres caniches hargneux permanentés. À ma gauche, un film sélectionné au festival de Cannes, encensé par une presse qui n’avait vu que des extraits. Des murmures d’extase autour de la prestation de Kirsten Dunst, une autorisation exceptionnelle pour une Ricaine de tourner à Versailles quelques jours… Et puis, houleuse réprobation du public lors de la projection officielle et fiasco monumental aux résultats de la quinzaine. Repartie bredouille, Sofia Coppola a dû assumer un film ‘trop personnel pour être historique’, ‘brouillon’, ‘esthétique mais pas plus’… À ma droite, le dernier poulain de Benoît Jacquot, sponsor officiel des bobos du canal Saint-Martin (reprezent). Sélectionné à la dernière Berlinale, il rassemble à l’écran Virginie Ledoyen, Diane Krüger et Léa Seydoux. Le projet aboutit après 10 ans de travail pour le propriétaire des droits du livre et producteur du film Jean-Pierre Guérin. Seulement voilà, pas de récompense à Berlin. Pas de scandale éthique non plus. Lequel l’emporte sur l’autre ? Les festivals semblent incapables de s’en charger, heureusement que the Projectionist est là. La preuve par 3.
voir aussi http://vimeo.com/37387542
La photo : Point pastel pour Coppola
Elle l’a utilisé outre mesure dans tous ses films publicitaires par la suite, mais qu’importe. Ce qui frappe le plus dans l’esthétique de Marie-Antoinette, c’est sa palette de couleurs, qu’on croirait issue d’un tableau de Fragonard. Les promenades dans les champs (qui rappellent aisément celles des soeurs Lisbon de Virgin Suicides) prennent des airs de pastorales. Le mobilier, la nourriture, les vêtements se confondent avec les sucreries en tout genre. Versailles est le lieu de l’illusion, du jetable, du paraître poussé à son maximum. Un monde où l’on aime s’y prélasser, prétendre ne pas voir les tensions politiques qui se forment autour d’une grossesse qui n’arrive pas à point nommé. Dans Les Adieux à la Reine, c’est la mise en scène de ces privilèges qui est montrée. Comme nous suivons la lectrice, nous passons avec violence de la bulle intemporelle et gracieuse de la Reine à la fluctuation des serviteurs et autres acteurs de l’ombre. L’envers du décor se révèle autant, sinon plus cruel que les velléités de la Cour et de son étiquette. Car une lectrice d’origine modeste se doit de donner l’illusion d’être l’égale de la Reine lorsqu’elle la demande. L’image est donc volontairement trouble, éclairée par des bouts de chandelle. Ici une scène de panique dans un couloir, là une conversation de nobles, l’oeil ne s’habitue pas, bringuebalé dans les passages secrets du palais royal.
La reine dans tout ça ? Jacquot historien.
N’est pas royale qui veut. Kirsten Dunst ne l’est absolument pas. Et c’est pour ça qu’elle a été choisie dans ce rôle. Sofia Coppola a voulu filmer une personne qui fait tache. Dans tous les sens du terme. Cette Marie-Antoinette-là parle anglais avec un accent chewingué, écrit en faisant des ratures, ne connait pas les règles d’éthique de son pays d’adoption ni celles de bien-séance. Le portrait est peut-être trop appuyé. Et pourtant, dépoussiéré comme ici fait, il n’a jamais retenti avec autant de modernité. C’est une gamine qui fait son caprice, enfermée dans une cage dorée, mais qui, au final, arbore le costume de la royauté par contrainte. Jamais par choix. Diane Krüger dessine les traits d’une reine aussi déconnectée de la réalité qu’ancrée dans son époque. Seul son accent (accentué pour l’occasion) trahit ses origines. Elle est le centre du monde, c’est évident. Sa lectrice lui voue un culte chaste. Sa duchesse de Polignac entretient un amour dévorant, physique pour elle. Sa, son, ses. Tout est à elle. Sauf peut-être la révolte du peuple, qu’elle préfère assumer seule. C’est une Marie-Antoinette de la représentation, même lorsque les circonstances ne l’y forcent pas : la scène déchirante où elle se sépare de la duchesse de Polignac se déroule au milieu des servantes qui préparent les valises royales. Que ce soit pour choisir un service à thé adéquat ou discuter de quelle position le Roi doit adopter face au peuple, la reine affiche toujours une aptitude à la prise de décision assumée. La véracité historique nous pousse donc à choisir Jacquot (à moins que ce ne soit le charme de Krüger qui a fonctionne à merveille).
Erreurs historiques ? Guillotine et champagne. Là où Coppola n’a pas été assez maline, Jacquot a choisi de ne pas s’étendre sur la durée. La période 14-17 Juillet 1789 est suffisante pour rendre compte de l’émoi qu’a suscité la prise de la Bastille, et de voir l’ensemble d’un système qui s’écroule. Seulement voilà, Sofia Coppola voulait voir l’évolution d’une jeune fille en reine. Pour cela, elle a dû sélectionner certains passages, en résumer d’autres. Notamment réduire la chute de la popularité de la reine par une succession de tableaux vandalisés, ce qui est loin de l’analyse minutieuse des relations royales au lit. Jacquot n’est pas si proche de la réalité non plus. Certes, la duchesse de Polignac faisait partie des favoris de la Reine, mais elle n’était pas la seule. Certes, leur séparation a été douloureuse pour Marie-Antoinette, mais l’Histoire ne nous dit pas s’il s’agissait d’une relation plus qu’amicale. Cela pourrait très bien être une coïncidence des plus fortuites. De plus, la Polignac est ‘morte de douleur’ à 44 ans quelques mois après la décapitation de la Reine, selon sa mention tombale. Peut-être. Ceci dit, elle avait aussi le cancer. Et ça en fait, de la douleur, au 18ème siècle.
Sad-core VS corps de Sade
Il nous a donc fallu trois points pour arriver à la conclusion que toute bataille est inutile. Tout ça pour ça, me direz-vous ? À quoi bon lire votre tartinade si c’est pour arriver à la même conclusion que les autres festoches, me lancerez-vous, armés de vos tomates pourries prêtes à être lancées ? Que nenni, défenderai-je, la lame de la guillotine au-dessus de mon échine. Que nenni, il faut juste savoir analyser ses envies et choisir en conséquence. Marie-Antoinette est une biographie transgénérationnelle qui se fond avec une aisance déconcertante au spleen pop des années 1980. Les Adieux à la Reine décrit un amour dévorant qui se craquèle quand la poudre de la représentation l’oblige à se dévoiler. En soi, le personnage de Marie-Antoinette est une excuse, un prétexte, un fantasme de la liberté de jouer à en perdre la tête. La lecture de ces deux films doit donc se faire à la lumière des réalisateurs. Ce qui intéresse Jacquot, c’est l’envers du décor, la partie immergée de l’iceberg. Ce qui est caché qui se révèle encore plus lorsqu’il est filmé comme une exclusivité d’images volés. Ce qui intéresse Coppola, c’est la bulle, le monde dans le monde, là où tout est possible. C’est pourquoi elle est considérée comme une cinéaste de la naïveté, parce qu’elle croit dur comme fer à l’influence de ces personnages totalement déconnectés de la réalité. C’est souvent ce paradoxe extrême qui devient le plus significatif. Bill Murray, le clown blanc de Los Angeles, n’a jamais fait autant rire que quand personne ne comprenait ses calembours dans Lost in Translation. Nous ne mettrons donc pas de notes, c’est trop 2008. Tout est affaire de traduction de désir. Pour l’une, c’est le désir de s’échapper de la cage la plus confortable au monde, pour l’autre c’est le désir d’assumer ses pulsions. Beau programme, non ? Rendez-vous le 21 Mars.
Chouette, non?! Je rappelle le lien: http://sympathyfortheprojectionist.unblog.fr/2012/02/27/une-reine-pin-up-une-pomme-de-reinette-marie-antoinette-au-cinema/
Il y a plein d'autres analyses passionnantes! http://sympathyfortheprojectionist.unblog.fr/
_________________ rien que la mort peut me faire cesser de vous aimer
Chou d'amour Administrateur
Nombre de messages : 31529 Age : 41 Localisation : Lyon Date d'inscription : 22/05/2007
Sujet: Re: Marie Antoinette par Jacquot vs Coppola, que préférer? Ven 4 Juil - 10:56
Très intéressant en effet! Merci Cette comparaison est précise en plus
_________________ Le capitalisme c'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Le syndicalisme c'est le contraire!
Marie Antoinette par Jacquot vs Coppola, que préférer?