Louise Jeanne Françoise Contat, dite Mademoiselle Contat ou La Contat

Nous avons déjà évoqué ce beau personnage dans plusieurs sujets, dont le plus récent présente un échantillon de son écriture:
https://maria-antonia.forumactif.com/t5361-a-vendre-documents#318578

Il est temps d'ouvrir un sujet rien que pour Mademoiselle Contat.



par Janinet


Louise Jeanne Françoise Contat est née à Paris, un 6, 16 ou 17, suivant les sources  ... mais toujours au mois de juin, en 1760. Elle a donc quelque cinq ans de moins que notre reine adorée. De famille bourgeoise, elle est la fille d'un soldat de la maréchaussée qui est aussi marchand de bas privilégié dans le quartier des Halles.

Voici, pour nous faire une idée, la place des Halles au XVIIIe siècle, par le peintre Etienne Jeaurat:



http://www.akg-images.fr/C.aspx?VP3=SearchResult&VBID=2UMESQJMBE8JU


Louise et sa jeune soeur Emilie s'essaient aux arts de la scène, mais seule l'aînée connaîtra la célébrité. Louise devient la protégée d'une cliente de la mercerie de son père, Madeleine Angélique Michelle Drouin dite Madame Préville, une actrice très fine de grand talent. Le 3 février 1776, Louise Contat, âgée de 16 ans, débute à la Comédie Française dans le rôle d'Atalide dans Bajazet.

Elle semble avoir moyennement convaincu son public. On la dit plus jolie que douée. Qu'à cela ne tienne! La jeune femme ne se décourage pas et suit des cours de déclamation pour s'améliorer. Elle décroche ainsi un rôle dans Zaïre, et dans Britannicus. En 1777, la belle actrice est reçue sociétaire de la Comédie Française. Les mauvaises langues racontent que c'est autant dû à sa relation avec le fils de Meaupou qu'à son talent.

Ne l'appelle-ton pas la Vénus aux belles fesses?  



Boizot, Thalie, muse de la comédie, sous les traits de Louise Contat

Elle a pourtant l'air bien sage, la petite actrice, sur ce portrait peint en 1780...  



christie's


En réalité, elle fait perdre la tête aux hommes. Après le fils du ministre, dont elle a deux enfants (ou un, selon les sources ), ce sera Artois. Du frère du roi aussi, elle tombe enceinte. Ces deux galants hommes vont l'entourer de leur protection et promouvoir sa carrière.

La comédienne joue de son physique avenant et de son air piquant, tant et si bien qu'elle obtient le succès. Elle brille particulièrement dans l'emploi d'ingénue, où sa gaieté et sa malice font merveille.



portrait par Dutertre


La situation financière de Louise est florissante également. Déclaré en décembre 1780 sous le nom de Charles Louis Philippe, le fils qu'elle a eu du comte d'Artois a été doté d'une pension de 8.000 livres au capital de 100.000 livres. Bientôt, la comédienne acquiert un petit hôtel qu'elle partage avec sa soeur Emilie et où elle mènera grand train.

En effet, dès 1783, l'affaire Beaumarchais va la propulser aux nues. Le dramaturge avait-t-il repéré les yeux vifs de Louise et vu en elle les manières de la Suzanne de son Mariage de Figaro? Ou lui donna-t-il le rôle par calcul? Nous savons que Mademoiselle Contat était la favorite d'Artois. Or Beaumarchais comptait sur l'appui de Vaudreuil, l'ami d'Artois, pour obtenir l'agrément du roi sans lequel c'en était fini de sa pièce subversive... choisit-il dès lors Louise par diplomatie?

Toujours est-il que, malgré la fureur de l'actrice évincée, Mademoiselle Faniez, l'écrivain imposa Louise Contat.

Quant à Vaudreuil, plutôt que de tenter en vain d'arracher un consentement à Louis XVI, il préféra le surprendre en faisant jouer l'objet du scandale chez un ami. Ce soir-là, Madame Vigée Lebrun, proche du comte de Vaudreuil, assistait à la pièce:

Le dernier spectacle qui fut donné dans la salle de Gennevilliers fut une représentation du Mariage de Figaro par les acteurs de la Comédie Française. Je me rappelle que Madame Sainval jouait la comtesse, Mademoiselle Olivier le page, et que Mademoiselle Contat était charmante dans le rôle de Suzanne.



Mademoiselle Contat dans le rôle de Suzanne

Il fallait néanmoins que Beaumarchais eût cruellement harcelé Monsieur de Vaudreuil pour parvenir à faire jouer sur ce théâtre une pièce aussi inconvenante sous tous les rapports. Dialogues, couplets, tout était dirigé contre la Cour, dont une grande partie se trouvait là, sans parler de la présence de notre excellent prince*. Chacun souffrait de ce manque de mesure, mais Beaumarchais n'en était pas moins ivre de bonheur: il courait de tous côtés comme un homme hors de lui-même; et comme on se plaignait de la chaleur, il ne donna pas le temps d'ouvrir les fenêtres et cassa tous les carreaux avec sa canne, ce qui fit dire après la pièce qu'il avait doublement cassé les vitres.

*Artois

Le parfum de scandale joint aux réelles qualités de la comédienne lui amènent la consécration. Les auteurs se pressent pour lui offrir des rôles. Elle mène le train brillant d'une reine de théâtre, avec cocher, carrosse, laquais, cusinier, femme de charge, soubrettes... Sa biographe, Madame Dussane, dira qu'elle fut la femme de ce temps, comme le Mariage de Figaro en fut la pièce.



biographie dédicacée par Beatrix Dussane


Pendant plus de vingt ans, Louise Contat volera ainsi de succès en succès. Elle sera Julie dans le Dissipateur, Madame de Volmar le Mariage secret, Madame Evrard dans le Vieux célibataire... passant au fil des ans de l'emploi d'amoureuse à ceux de grande coquette et de jeune mère.

La Contat était si puissante qu'elle parvint à imposer sa soeur. En 1784, c'est en effet Emilie qui avait tenu le petit rôle de Fanchette dans le Mariage de Figaro. Plus tard, Louise fera en sorte que la rivale de sa cadette chérie, Caroline Vanhove, ne joue pas à la Cour.

Louise attrapa-t-elle la grosse tête? Elle devint, selon des sources du temps, capricieuse et colère...

Je fais ici une petite parenthèse sur les liens qui rattachent Louise Contat à nos souverains préférés.

D'abord, c'est elle que des intrigants avaient essayé de jeter dans les bras de Loulou. Ecoutons donc ce que Mercy rapporte à Marie Thérèse le 16 avril 1777...

Je sais que, dans ce tourbillon pervers de la Cour, il existe des misérables qui méditent sourdement le projet d'induire le roi au libertinage. Je sais de plus qu'on a osé lui parler d'une actrice de la Comédie Française nommée Contat. Ces horribles tentatives n'ont produit aucun effet, et je suis moralement certain qu'ils n'en produiront jamais.





En effet, Louis refusa tout simplement, paraît-il... ce qui ne veut pas dire qu'il ne fut pas sensible au charme de la jeune première.   Quoi qu'il en soit, Marie Antoinette ne manifesta aucune crainte, comme on le sait. Elle appréciait même beaucoup l'actrice, comme nous allons le voir.  

N'oublions pas non plus ce point commun entre la reine et la comédienne: toutes deux interprétèrent le rôle de Rosine dans le Barbier de Séville de Beaumarchais. Voici Louise Contat interprétant Rosine:





Quant à la reine, Rosine reste sans doute dans son coeur. En effet, le 15 septembre 1785, ce sera la dernière fois qu'elle montera sur les planches... Cela se passera dans le petit théâtre bleu de Trianon, en présence de l'auteur...

En 1789, alors que la situation tournait mal et qu'il était du plus mauvais effet de se déclarer royaliste, Louise Contat aura un comportement magnifique. La reine exprime le souhait de voir la Gouvernante, une comédie en cinq actes et en vers, de La Chaussée. Elle demande aussi que ce soit Mademoiselle Contat qui tienne le rôle principal... alors que la comédienne a largement dépassé l'âge de l'emploi!



La Contat dans le rôle de Suzanne
Portrait attribué à Greuze


De plus, il faut que Louise apprenne cinq cents vers par coeur. Malgré la difficulté, elle y parvient... pour accéder au désir de sa souveraine. Elle s'en expliquera de cette façon charmante: J'ignorais où était le siège de la mémoire, je sais à présent qu'il est dans le cœur.

Sous la Révolution, ces mots si délicats, extraits d'une lettre qui fut publiée, ont failli perdre Louise...

Jamais Mademoiselle Contat ne va abjurer ses principes. Elle s'oppose au contraire férocement aux réformes que la Révolution applique au théâtre. Avec ses amis Fleury, Dazincourt et Raucourt, elle affiche publiquement son amour de la couronne et son mépris de la Révolution.



Françoise Raucourt


Membre de salons monarchistes, elle intrigue contre ses camarades qui prétendent adapter le répertoire classique aux idées du jour. En 1794, la Contat et ses amis royalistes, dits "les Noirs", sont arrêtés et incarcérés. Mais, au moment du procès, le Comité de sûreté générale s'aperçoit qu'il a égaré les pièces du dossier.

En fait, ce serait un ancien comédien, La Bussière, siégeant alors dans la police politique, qui aurait détruit les preuves compromettantes...

Louise Contat vit donc le rêve que nous tissons pour notre reine dans nos imaginations les plus folles... Elle échappe par miracle à la guillotine.

En 1799, lorsque la Comédie Française se reconstitue, elle renoue avec ses anciens succès, montrant alors une préférence marquée pour Marivaux.

A la fin de sa longue carrière de trente-trois ans, elle interprète des rôles plus graves, mais toujours avec son amabilité naturelle. Pour sa dernière représentation, elle donne Othello et les Deux Pages.



Louise Contat âgée


Louise n'a pas cinquante ans. Elle laisse, pour reprendre les termes de Geoffroy, la réputation d'une actrice pleine de finesse et d'agrément, qui avait porté au plus haut point l'art du débit et la magie du jeu théâtral. Elle a épousé son amant, le chevalier Paul-Marie-Claude de Forges de Parny, dont elle a un fils*. Elle tient à Paris un salon sis au N° 1, rue Corneille, qui devient le rendez-vous de l’élite du temps.

*Mes sources ne s'accordent pas tout à fait sur les paternité, mais Louise Contat a eu quatre enfants. Le plus crédible me paraît ceci: un fils de Maupeou, un fils du comte d’Artois, une fille de Louis de Narbonne (Amalricque) et un fils légitimé du marquis de Parny.

En 1813, son médecin lui découvre un cancer du sein mais lui tait la nouvelle. La malheureuse l'apprendra incidemment par le triste hasard d'une lettre oubliée sur un bureau. Mais elle ne craquera pas. Au contraire, elle continuera à animer son salon avec son esprit, sa gaieté et sa douce ironie habituelles.

Un panache digne de la reine dont elle fut une favorite!

Cette grande dame repose au Père Lachaise, non loin de son amie Françoise Raucourt...





Sources: http://fr.wikipedia.org/wiki/Louise_Contat
http://www.appl-lachaise.net/appl/article.php3?id_article=877
http://courtisanes.e-monsite.com/pages/xviiie-siecle/comediennes/la-contat-grande-comedienne.html
http://www.siefar.org/dictionnaire/fr/Louise-Fran%C3%A7oise_Contat/Henri_Lyonnet

Impressionnant Pim, je n'aurais pas cru qu'il y avait autant d'infos sur elle

Un sacré personnage en tout cas

Elle fut, dit Bachaumont, la maîtresse du comte d'Artois -

3 décembre 1780.— Il y a à la Comédie-Française une demoiselle Contat, jeune et jolie. M. le comte d'Artois en est devenu épris et lui a fait faire des propositions. Cette actrice, en répondant avec beaucoup de respect, a témoigné qu'elle craignait l'inconstance de Son Altesse Royale, que si Monseigneur ne sentait pour elle qu'un goût passager, elle le suppliait de porter ses vues ailleurs. Le prince a voulu voir de près cette singulière courtisane; elle lui a dit la même chose ; qu'elle ne pouvait consentir à son désir, si ce n'était pas pour vivre avec elle : à quoi le prince a répliqué qu'il ne savait pas vivre. Cependant, plus amoureux que jamais, il est revenu et lui a juré une passion durable. Il est entré en jouissance ; mais rassasié dès le lendemain, il lui a envoyé 150 louis. Elle les a rejetés avec hauteur, et a prétendu qu'elle avait eu des amants qui la mettaient dans le cas de se passer d'un tel cadeau.

Cinglante réplique ! On voit que la dame avait des planches.

Effectivement !

24 novembre 1781.— Mademoiselle Contat de la Comédie-Française, se flattant qu'un grand prince avait des vues sur elle, enorgueillie de cette conquête, avait quitté M. de Maupeou qui la comblait de biens. Cependant ne trouvant pas que ce prince répondît aux vues de haute fortune auxquelles elle s'était portée, pour exciter sa générosité, elle se permit une petite ruse. Elle fit fabriquer sur un papier timbré une assignation pour payer une somme de 10,000 livres, et la laissa, comme par oubli, sur la cheminée. Son Altesse Royale arrive, voit ce papier et veut le lire; la comédienne fait semblant de l'en empêcher et de me céder qu'à regret à la curiosité de l'auguste amant. Le prince lui dit qu'elle a tort, qu'il se charge de la dette et emporte l'assignation. Le lendemain il lui envoie un arrêt de surséance pour un an. On ne doute pas que cette plaisanterie ingénieuse, et digne punition de la supercherie, n'ait été suivie de quelque cadeau consolateur, mais qui n'a pu la dédommager du regret de voir sa cupidité démasquée et frustrée. Elle a voulu retourner à M. de Maupeou, qui lui a répondu qu'il était trop tard. Heureusement sa figure et son état lui feront trouver bientôt quelque autre dupe. Vraisemblablement c'est ce qui empêchera le prince de reconnaître l'enfant qu'elle vient d'avoir et dont elle est en couche.

Pas vite gênée, la fille !