les héros de la révolution

C'est la lecture du portrait de Drouet par Michel de Lombarès, dans son excellente Enquête sur l'échec de Varennes qui m'a donné envie d'ouvrir ce topic.

J'aurais pu le mettre tout simplement dans le dossier "Drouet", déjà ouvert, mais j'ai trouvé plus amusant d'en faire le début d'une série. Avis aux amateurs pour les autres images d'Epinal !

Un faux grand rôle, démonte d'emblée Michel de Lombarès. Mais, avant de nous expliquer pourquoi, il s'étonne quelque peu :

Que, dans l'ambiance révolutionnaire, sous le coup de l'émotion, les membres de l'Assemblée nationale aient admis l'invraisemblable récit de Drouet, et qu'ils aient couvert d'or (30 000 livres pour commencer), d'honneurs puis de pouvoirs, ce héros du jour, cela peut se comprendre. Que Napoléon, héritier de la Révolution, avec son esprit très « politique », ait jugé utile de lui dire: «Monsieur Drouet, vous avez changé la face du monde », cela s'explique: le monde c'était lui, et, sans Varennes, que serait devenu le lieutenant de Buonaparté? Que la tradition « républicaine» n'ait jamais voulu laisser toucher à la légende de ce célèbre «patriote» de peur de voir s'effriter les légendes de la Révolution, passe encore! Mais les historiens, les professeurs...? Pourquoi ne crient-ils pas que Drouet mentait effrontément ?

L'auteur nous donne alors une version des faits moins héroïque, mais plus conforme à la réalité. Sitôt la berline partie de Sainte-Ménehould, le bruit se répand qu'elle transporte le roi. La municipalité demande alors des comptes à Drouet, le maître de poste. A-t-il contrôlé les passeports des voyaguers, fait son devoir, quoi ?

Drouet s'en tire en répondant qu'il est rentré des champs trop tard, juste au moment où le convoi allait quitter le relais. Ca, c'est pas de bol !

C'est surtout faux. Il est revenu bien cool et a même taillé une petite bavette avec le courrier qui précédait le roi. Ensuite, toujours aussi à relax, il a assisté au relais de la berline.

Seulement, voilà... Deux heures plus tard, la municipalité envoie un messager de Paris pour faire comprendre à Drouet qu'il est en faute professionnelle, et que ça va chauffer pour son matricule.

Il ne fait ni une, ni deux, il saute sur son cheval, court comme un dératé après la berline qu'il avait laissé filer. Il tient à sa tête, le bougre ! Heureusement pour lui, il parvient à rattraper la voiture en panne à Varennes et à faire arrêter les voyageurs.

Hélas... A quoi ça tient, quand même ! Je n'en reviendrais jamais ! Tant de malchance, c'est pas possible !

Ce n'est évidemment pas ainsi que, le 24 juin à 9 heures du soir, le même Drouet raconte ses prouesses «patriotiques» à l'Assem-blée qui l'acclame et le récompense.



Sainte-Ménehould oublie ce qui s'est réellement passé. Fière de la gloire qui rejaillit sur elle, consciente des avantages que ses «patriotes» et elle-même peuvent en tirer, elle établit un «Mémoire tendant à éclairer la religion de l'Assemblée nationale dans la distribution des témoignages de sa magnificence ». Elle fait de Drouet le lieutenant-colonel de sa garde nationale. Aux élections de 1792, le maître de poste est élu député à la Convention nationale. En janvier 1793 il vote la mort du roi.

Ou comment la politique, d'abord, l'Histoire, ensuite, vous transforme en héros un plouc qui n'a même pas été fichu de faire son travail correctement.

Comment aussi, moins drôle, cet homme aura deux fois l'occasion de détruire Louis XVI. Deux fois pour un seul homme, c'est beaucoup... :s:

La suite de la vie de Drouet témoignera du même sens aigu de l'opportunisme. Officier général dans l'armée, il est fait prisonnier par les Autrichiens. Il va sans dire qu'il ne leur fait pas le coup de l'assignat !

- le roi? Il ne l'avait pas reconnu; un message de Paris asignalé sa fuite;
- la poursuite? Il n'est parti de Sainte-Ménehould qu'en sa qualité de maître de poste, sur réquisition et avec un employé de la municipalité;
- l'arrestation? Il n'y est pour rien; à Varennes il a remis la question entre les mains des autorités;
- la mort du roi? Oui, c'est vrai, il l'a votée, mais parce qu'il croyait cette mort nécessaire, comme celle de Jésus-Christ.

Pfffff...



Enfermé en Moravie dans une forteresse perchée sur un rocher qui domine la vallée à la verticale, Drouet, qui ne manque pas d'énergie, tente une évasion au mois de juillet 1794. Laissant dans sa chambre une lettre à l'empereur qui donne une idée de sa modestie (« Les ressources de mon génie et de mes forces naturelles m'ont suffi pour forcer ma prison »), il se lance, de sa terrasse, avec une « machine volante », inspirée du cerf-volant dira-t-il. Il se foule un pied. Repris aussitôt, échangé en décembre 1795 contre Madame Royale (la jeune voyageuse de Varennes, seule survivante du Temple, future duchesse d'Angoulême), il croit bon de cultiver son image républicaine.

L'héroïque personnage prend donc contact avec l'extrémiste Babeuf. Mais sans trop s'engager, vous comprenez... il ne veut pas vraiment se compromettre, il ne sait trop quel parti épouser, en ces temps si changeants...

Cette indécision énerve Babeuf, qui le menace s'il ne se décide pas à se joindre franchement aux tyrannicides. Il cède. Mauvaise idée. Lui et Babeuf se font arrêter. Evadé, il passe à l'étranger, où il apprend son acquittement par contumace. Babeuf aura moins de chance, il sera guillotiné. :s:

L'homme de Varennes rentre alors en France, se voit nommer commissaire du Directoire dans la Marne, puis sous-préfet de Sainte-Ménehould, puis encore chevalier de la Légion d'honneur. Le petit Corse sait bichonner ses héros.

Au premier retour des Bourbons Drouet essaie de se faire oublier. Ce serait difficile. Il est destitué, sans plus.

L'empereur rentre. Drouet vole aux Tuileries. Il réclame «sa» sous-préfecture; mais, lassé de ces aventures, il la demande - et l'obtient - pour son gendre.
Les Cent-Jours finissent. Cette fois, Drouet juge prudent de disparaître, ce qu'il fait en emmenant la femme d'un médecin de la ville. Il se cache désormais sous un faux nom. Il se couvre même contre tout soupçon en devenant le fidèle lecteur d'un vieux marquis très attaché au passé.

Sa mort, survenue en 1824 à Mâcon, clôt cette page glorieuse de l'Histoire de France.

Très intéressant ce sujet Pim

Il est vrai que Drouet a clairement enjolivé son rôle dans l'arrestation de la famille royale, et même dans leur reconnaissance, mais je ne savais pas que la version "bis" était si différente
Auquel cas en effet, Drouet nous a bien joué du pipeau

J'aime beaucoup cette phrase :
Mais les historiens, les professeurs...? Pourquoi ne crient-ils pas que Drouet mentait effrontément ?
C'est si vrai... :s:

Je pense que le Blondinet aura son rôle dans ce sujet...je vais fouiller

Ah, super ! Je suis sur des charbons ardents ! Yeap !

Ben oui, le Blondinet ne va pas s'en tirer comme ça lui non plus
La Fayette...un grand nom dans les livres d'histoire, et c'est vrai que ses actions en Amériques sont remarquables, mais souvent on ne retient de lui que cette période...le reste m'intéresse bien plus...surtout quand il est arrivé le 6 Octobre 1789 à Versailles, bien après les assaillants alors qu'il était supposé défendre la famille royale, avec la marque du coussin sur sa joue

La famille royale fut reconnue par d'autres que Drouet, et bien avant en effet.
Madame Royale le souligne dans ses Mémoires, notamment pour Châlons ; le roi sort à plusieurs reprises de la Berline, et la population est attentive à ces voyageurs car la livrée jaune des gardes ressemble fort à celle du prince de Condé, émigré, et seigneur de nombreuses terres dans cette région.
Aussi, il n'était pas aimé dans le coin.

Bref, on reconnaît le roi à Montmirail au moment du changement des chevaux, à Chaintrix (ou selon les témoignages, les voyageurs sont descendus pour une collation) enfin à Châlons par le maître de poste et d'autres, dont le maire.
La municipalité ne sait alors que faire, et ne réagira aussi que lorsque les messagers de l'Assemblée nationale signaleront le décret d'empêcher le roi de poursuivre sa route.

Voilà. Comme l'introduit d'emblée Lombarès, Drouet est le faux grand rôle.

pimprenelle a écrit:

Voilà. Comme l'introduit d'emblée Lombarès, Drouet est le faux grand rôle.

Bah...disons qu'il est LE civil qui court après la berline (il est du reste accompagné par l'un de ses amis, Jean Guillaume) et qui fait du bruit !
Je crois qu'il déclare d'abord avoir reconnu la reine, qu'il avait vue une fois à Versailles où sa compagnie était en garnison quelques années plus tôt.
Ce n'est qu'après, et du coup, qu'il comparera le visage du roi à celui des billets alors en circulation...

Et puis c'est un truc très garçon tu sais : il en faut toujours un pour pisser plus loin que les autres...

Merci à vous tous....c'était passionnant.
j'espère qu'il y aura d'autres personnages de la révolution....que nous verrons autrement

la nuit, la neige a écrit:

pimprenelle a écrit:

Voilà. Comme l'introduit d'emblée Lombarès, Drouet est le faux grand rôle.

Bah...disons qu'il est LE civil qui court après la berline (il est du reste accompagné par l'un de ses amis, Jean Guillaume) et qui fait du bruit !
Je crois qu'il déclare d'abord avoir reconnu la reine, qu'il avait vue une fois à Versailles où sa compagnie était en garnison quelques années plus tôt.
Ce n'est qu'après, et du coup, qu'il comparera le visage du roi à celui des billets alors en circulation...

Et puis c'est un truc très garçon tu sais : il en faut toujours un pour pisser plus loin que les autres...

Il était aussi accompagné d'un représentant de la municipalité, d'après Lombarès. ca commence à faire nombre, pour un exploit singulier !

Ah, il dit avoir reconnu la reine ? Ce n'est jamais qu'une version de son acte héroïque à ajouter aux autres...

Pisser le plus haut n'est pas l'apanage des humains. C'est même très canin, comme comportement. Et ma petite chienne s'y essaie aussi. C'est te dire l'importance de la chose !

Ce qui est le plus gros, c'est qu'on continue complaisamment à entretenir la légende de Drouet, bien qu'on la sache forgée de toutes pièces.

Cléry a écrit:

Merci à vous tous....c'était passionnant.

C'est que l'épisode en lui même est hallucinant, et tout à fait romanesque.
Entre la sortie périlleuse des Tuileries, les déguisements, les allées et venues des dragons sur la route, le coiffeur qui court les relais à l'avant, l'histoire du trésor qu'il faut protéger, et l'improbable dénouement que nous connaissons...
Dumas n'aurait peut-être pas même osé l'imaginer.

Je ne sais trop qu'elles auraient été les suites si cette opération avait réussi, mais cette fuite aurait été sans doute l'une des plus spectaculaires de l'histoire.
Elle l'est déjà, certes, mais se termine par le fiasco que nous connaissons, lourd de conséquences...

Le problème est que comme le dit souvent Pim, "l'histoire est écrite par les vainqueurs"
Drouet, héro qui a permi l'arrestation du dernier Roi de France et qui a sauver la république, ne peut dans les livres d'histoire que figurer comme tel.
D'ailleurs n'a t'il pas été échangé contre Madame Royale fin 1795, lui qui était prisonnier des Autrichiens? La preuve que le Directoire tenait à son héro
Par contre, je ne sais pas si sous Louis XVIII les choses ont changé en ce qui le concerne...