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 Petite histoire des réformes de la monarchie, où comment la Révolution naît des impôts

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MessageSujet: Petite histoire des réformes de la monarchie, où comment la Révolution naît des impôts   Petite histoire des réformes de la monarchie, où comment la Révolution naît des impôts Icon_minitimeMer 8 Nov - 7:53

Claivoyant ! Petite histoire des réformes de la monarchie, où comment la Révolution naît des impôts 914132

Petite histoire des réformes de la monarchie, où comment la Révolution naît des impôts

Petite histoire des réformes financières de la monarchie française et de son échec, 1770-1789, où comment la Révolution naît d’un mauvaise politique des impôts. La monarchie a engagé le pays dans les réformes, cassant les cadres rigides et inopérants de « l’Ancien Régime ». L'accident de la Bastille donnera un sens inédit à cette histoire qu'il faut rappeler à nos décideurs.


1770 La cure de l’Etat

Sans déficit, la Révolution aurait-elle éclaté ? Inutile d’accabler la reine, dont les dépenses décriées ne jouèrent qu’un faible rôle dans la mise en difficulté du trésor royal, d’autant que l’endettement de la monarchie française n’est pas exceptionnel. Celui du régime anglais est plus important, proportionnellement parlant, sans pourtant que les adversaires du gouvernement n’en profitent. Pour comprendre l’enchaînement qui se produit en France, il convient de revenir au début des années 1770. A cette date, le déficit du trésor, aggravé par les dépenses militaires, est évalué à une centaine de millions de livres et les recettes des années à venir sont d’emblée absorbées par le service de la dette.

Pour réduire le train de vie de l’État, les intérêts servis sur les rentes de l’État sont brutalement réduits, des retenues ponctionnent pensions et gratifications et les fonctions municipales redeviennent des offices à acheter. Ces mesures, initialement acceptées par l’opinion, sont considérées comme iniques et injustes, lorsque des pensions médiocres sont lourdement taxées. Les financiers, qui soutenaient le trésor en avançant continuellement les fonds destinés à couvrir les dépenses, craignent que des troubles n’obèrent les rentrées de taxes et d’impôts dont ils vivent et font des « remontrances » au Contrôleur général, responsable de la politique financière du royaume.

En 1772, le résultat est apparemment favorable. Les charges ont été réduites et le budget ordinaire en expansion est même légèrement excédentaire, mais la dette publique continue à augmenter, atteignant 116 millions. Surtout, les dépenses militaires, qui devaient diminuer, ne baissent pas et, en 1774, à l’arrivée de Turgot, le déficit budgétaire est évalué à 21 millions, sans compter 15 millions pour rembourser les arriérés d’une dette estimée à 235 millions. La politique a échoué confirmant la dérive « despotique » de la monarchie.

1774 la réforme suspendue

Turgot a beau inauguré son ministère en refusant les emprunts, les impôts et la banqueroute, il a beau lancer un programme de rénovation de l’économie et de la fiscalité, son action achoppe sur l’hostilité d’une majorité de l’opinion. L’opposition de Turgot à l’engagement de la France auprès des Américains, aux dépenses de la Cour et aux demandes de Marie-Antoinette, lui valent sa disgrâce. Le budget national n’a pas été véritablement amélioré pendant ses années de ministère, le déficit réel demeure d’une trentaine de millions, le recours aux emprunts n’a pas été évité ; surtout les Parlements se sont mis au travers des décisions obligeant le roi à exercer son autorité contre son ministre.

Les raisons de dysfonctionnements sont importantes. Les impôts sont calculés en fonction des dépenses, leur répartition dépend des statuts des imposés, qu’ils soient personnels ou collectifs, et leur levée est confiée aux communautés ou à des régies de financiers. Le royaume vit continuellement sur le crédit parce que ses rentrées d’argent sont mal contrôlées et mal organisées, augmentant les dépenses inutiles. La connaissance exacte de la situation financière étant quasi impossible. Tout le système ne tient que par la confiance accordée à l’État et aux différentes caisses, qui couvrent ses dépenses, si bien que le roi et ses conseils ne peuvent qu’essayer des solutions spéculatives ou des passages en force.

1776… les mécontentements techniques

Un mécontentement inédit naît paradoxalement de l’efficacité du gouvernement. L’un des exemples suivis dans cette voie par Necker, lors de son deuxième ministère, est celui de l’intendant Bertier de Sauvigny, qui applique, avec intelligence et rigueur, les principes brutaux d’une saine administration fiscale dans la généralité de Paris (ce sera une des raisons pour lesquelles il sera massacré en 1789). Techniquement, ces mesures sont pertinentes, si bien que si la France, pays riche, ne croule pas sous les impôts, moins lourds qu’en Angleterre par exemple, le pays suffoque sous l’iniquité du système fiscal.

Les parlements, le clergé, les corps intermédiaires, les grandes régies personnelles et les princes peuvent arguer avec une bonne foi, apparente, que toute levée d’impôts doit être consentie par une assemblée ad hoc (assemblée des notables ou États généraux) pour garantir les constitutions du royaume. Tous se retrouvent finalement unis sur le maintien, loin du modèle anglais, d’une société fondée sur le privilège et l’exemption, tandis que le roi ne voulant pas répéter les errements de son grand-père, refuse de mettre l’État en faillite et d’imposer ses sujets sans leur consentement.

1776 La recherche des puissants

Les années entre 1776 et 1787 sont ainsi marquées par l’absence d’une politique claire de gestion et par les querelles, à l’intérieur de la cour, entre partisans de la reine et conseillers du roi. A côté des mesures financières, le Conseil du roi crée les Assemblées provinciales, dont la première est installée en 1778 dans le Berry. Composée pour un tiers de membres nommés, eux-mêmes désignant les deux autres tiers, les trois ordres sont inégalement représentés. Cependant, le Tiers État obtient autant de représentants que les deux premiers ordres et le vote se pratique par tête.

La composition de ces assemblées, réunissant des propriétaires, annonce clairement les principes qui seront retenus pour les assemblées révolutionnaires, entre corporatisme et individualisme. L’essentiel des travaux de l’assemblée est consacré aux impôts, aux routes et à la charité. Une autre assemblée est installée en Haute-Guyenne, les séances se tenant à Villefranche en 1779.

Non seulement le roi a échoué à contenir les ordres privilégiés et les parlementaires, à réformer les finances et à restaurer la confiance dans l’économie, mais il rate ce qui était devenu une des clés de la monarchie louis-quatorzienne, la force de son image au sein même de la cour et des ministres.

1786… La quête de l’opinion

La rétractation du marché financier et l’hostilité publique qui suit, provoquent son renvoi par le roi et son remplacement par l’intendant Calonne. Confronté à l’insuffisance des recettes alors que les dépenses s’envolent, il réinstalle la Ferme générale, relance la Caisse d’Escompte, facilite la circulation de l’argent et emprunte pour des travaux d’intérêt général, lançant le creusement du canal de la Saône, la création d’une route dans la Meuse, soutenant la forge du Creusot. Dans cette politique que l’on peut qualifier positivement de keynésienne avant la lettre, il recrée la Compagnie des Indes, signe, en 1786, un traité de commerce avec l’Angleterre, et modifie les rapports entre les cours de l’or et de l’argent, dans l’espoir de favoriser l’activité économique. Ces opérations suscitent des critiques accusant Calonne d’enrichissement frauduleux et de spéculations, d’autant que pour éviter les dépréciations des emprunts d’État qu’il a lancés, il décide de bloquer les cours et de baisser la valeur des actions.

Après 1786, Calonne propose une véritable révolution fiscale : un impôt uniforme, proportionnel, la « subvention territoriale », payable en nature et affectant directement ou indirectement tous les ordres – tout en maintenant les impôts relatifs aux biens mobiliers et industriels et en étendant les droits de timbre, sur le tabac... Comprise comme un impôt de quotité, perpétuel, cette subvention territoriale donnerait à la monarchie un pouvoir inédit, allant contre la tradition qui veut que l’État proportionne ses recettes à ses dépenses et les répartisse selon les ordres, les statuts et les provinces.

Les opposants au projet ont beau jeu de rappeler que le pacte conclu entre le souverain et ses peuples est rompu. Pour eux la pérennité de l’impôt et sa distribution proportionnelle aux revenus sont inconcevables, et mettraient la France au rang de l’Angleterre. Enfin la collecte en nature pose d’autres difficultés. Les biens du clergé seraient soumis à ce nouvel impôt, ce qui mettrait fin au « don gratuit » consenti au trésor royal par le premier ordre du royaume, mais entraînerait pour celui-ci la nécessité de rembourser les emprunts souscrits pour cette taxe. Pour éteindre la dette, il est envisagé de faire racheter des rentes foncières par les paysans, de vendre des droits de chasse et de justice : ces mesures inspireront l’Assemblée constituante quelques années plus tard.

1786 L’équilibrisme

Des assemblées provinciales seraient créées pour répartir l’impôt, la taille serait réduite, mais augmentée d’une taxe remplaçant les corvées, la liberté du commerce des grains serait assurée notamment par la suppression des barrières intérieures du commerce, tandis que la Caisse d’escompte serait transformée en une banque d’État. Les solutions, reprises les unes après les autres par la suite jusqu’à la création de la banque de France sous le Consulat, comptent moins que l’impopularité du ministre, lâché par des notables inquiets de se couper de l’opinion, dorénavant puissante. Si ces débats restent lettre morte, ils ont préparé l’opinion, fabriqué des arguments et imaginé des solutions.

L’État révolutionnaire reprendra à son compte la réorganisation administrative, l’instauration des contributions perpétuelles, se lancera dans des opérations financières à haut risque, activera la planche à billets, pratiquera la banqueroute en 1793-1794 et en 1797, ruinera les rentiers, enfin créera un domaine de dépenses extraordinaires pour faire face aux dépenses militaires, alors que Louis XVI s’est interdit tous les échappatoires possibles. Il a maintenu les privilèges, n’a pas créé de taxes supplémentaires et n’a pas, non plus, rénové l’administration fiscale. Les aspects positifs de sa politique sont contrebalancés par d’autres nettement négatifs, que ce soit aux yeux des contemporains ou des historiens. Il a favorisé ouvertement et outrageusement les familles princières, leur évitant des faillites et leur permettant d’acheter des châteaux. Incapable de réduire les dépenses de la cour, il ne lui est resté que les envolées spéculatives à la Necker ou les expédients de Calonne, vendant des offices, jouant sur les monnaies ou négociant des hausses d’impôts avec des assemblées théoriquement acquises. Dans tous les cas le futur a été doublement obéré. La solution ne passe plus par les bureaux des ministères mais par l’acceptation en bonne et due forme de l’opinion.

1787 Les départements (… de répartition fiscale)

En juin 1787 donc, les « assemblées provinciales » imaginées par Dupont de Nemours, créées par Necker, reprises par Calonne, sont mises en place par une succession d’édits. L’idée d’une assemblée « nationale » initialement évoquée, a été abandonnée. Mais les « municipalités », les « assemblées de département » ou de district au niveau intermédiaire et, enfin, les assemblées provinciales sont prévues pour répartir les impôts. A ce registre de la répartition appartient le mot « département » qui sera réutilisé dans le quadrillage administratif de 1790. Les membres de ces assemblées sont initialement nommés, le renouvellement étant prévu sur le mode électif. Assemblées ayant un pouvoir propre, mais soumises à des présidents désignés et au contrôle des intendants, elles sont censées occuper une position indispensable mais étroite dans le dispositif existant.

Trois ans avant leur installation réelle, les cadres de divisions du pays sont donc inventés selon des principes, destinés à durer : instaurer des fonctions électives, créer des liens entre administrés et administrations, rationaliser en respectant autant que possible les cadres provinciaux traditionnels. Il convient cependant de relever que le projet n’identifie pas les paroisses et les communautés aux « municipalités », dernier échelon administratif, comme cela sera réalisé en 1790 – avant la tentative des municipalités de canton de 1796.

Ces assemblées modifient le paysage politique ne serait-ce que parce que la propriété, d’abord foncière, est le critère central des distinctions sociales qu’elles reconnaissent. Elles sont ensuite au cœur d’un débat national complexe et conflictuel, même dans les provinces qui ne sont pas concernées par les édits, puisque des demandes pour les instituer ou pour ranimer les États provinciaux qui étaient aux mains des élites traditionnelles, entraînent aussitôt des prises de position enflammées. Les parlements, qui refusent l’innovation, apparaissent alors partisans d’un statu quo favorable aux « privilégiés ». Là où les assemblées provinciales sont mises en place, elles donnent à de nouvelles élites nobles ou roturières l’apprentissage politique et gestionnaire réservé jusque là aux membres des États provinciaux, habitués à gérer leur province et à négocier avec le roi, ses conseils et ses représentants locaux, intendants et gouverneurs.

1787 Les logiques contradictoires

Cette régénération du pays est envisagée d’un point de vue fiscal et utilitariste, met cependant en branle le mouvement de rationalisation des administrations et touche aux liens unissant le monarque et ses peuples. Elle représente ainsi en soi une mutation radicale de la monarchie. Il convient de prendre au sérieux la déclaration de Louis XVI, le 16 juillet 1787 affirmant que « c’est au milieu des Etats généraux que je veux être, pour assurer à jamais la liberté et le bonheur de mes peuples, consommer le grand ouvrage que j’ai entrepris de la régénération du Royaume et du rétablissement de l’ordre ». Les rapports entre couronne et nation ont bien été modifiés et les liens « féodaux » sont déjà mis à mal.

On comprend qu’un an plus tard, Condorcet pourra envisager dans l’Essai sur la constitution et les fonctions des Assemblées provinciales, la séparation de l’État et de l’Église, la généralisation des élections, ainsi que la création d’un cadastre indispensable pour la révision de l’assiette de l’impôt, moyen technique pour aborder les principes politiques fondamentaux. Autant de propositions qui forgent la culture politique mise en œuvre ultérieurement. Voir les Français d’avant « la Révolution » comme des ignorants de la chose politique, c’est négliger la culture politique héritée des œuvres littéraires et des pratiques sociales de tout le siècle, et oublier à quel point cette période, brève, a été riche et formatrice. La conjugaison des principes et des problèmes posés par les faits a été en elle-même « une révolution », facilitant le passage à « La Révolution ».

La force des choses

Le roi a-t-il essayé d’engager la France dans la voie du parlementarisme anglais ou plus certainement dans celle du despotisme éclairé, de cette révolution « par le haut » réalisée par les souverains autrichien et prussien ? A l’époque, la question est posée de savoir si la France est devenue une « république », ou une monarchie à l’anglaise. Le ministre a beau assurer son hostilité à l’égalité, qui ne convient qu’aux républiques, incarnée dans l’opinion par Philadelphie, et au despotisme, représenté par Constantinople, la rationalisation qu’il propose ne convainc pas. Dans les assemblées provinciales et départementales, il accorde au moins la parité des voix aux nobles et aux roturiers, représentant le reste de la Nation. La division en deux blocs brouille l’image de la monarchie. La bipolarisation, comparable aux divisions anglaises, mécontente les plus conservateurs, parlementaires ou intendants qui récusent le « despotisme » des bureaux et la novation administrative. Elle satisfait, au contraire, la partie de la noblesse provinciale, qui trouve une liberté inédite dans ces assemblées. Les libéraux l’apprécient globalement, mais en réclament l’extension aux pays d’États, comme la Bretagne ou la Provence, qui échappent à la réforme et gardent donc des assemblées traditionnelles inégalitaires : réclamation évidemment refusée au nom des « constitutions » du royaume. On voit là l’annonce des oppositions qui auront lieu deux ans plus tard au moment des États généraux, et qui feront basculer les noblesses bretonnes et provençales dans la « Contre-Révolution ».

La monarchie a engagé le pays dans les réformes qui ne seront réalisées que dans les années suivantes, cassant les cadres rigides et inopérants de « l’Ancien Régime ». Elle achoppe sur le respect suranné des procédures d’autorité, sur lesquelles elle ne peut pas transiger. La France entre en Révolution par la porte des réformes et par les basculements imprévus des positions relatives. Dans ce jeu imprévisible et incontrôlé, l’accident de la Bastille va changer le sens de l’Histoire et attribuer des significations nouvelles.



Adaptation du chapitre 5 de notre Nouvelle Histoire de la Révolution française, Perrin, 2012, p. 116-128.
https://www.mediapart.fr/offre-speciale/mediapart-live

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