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| La galanterie depuis le XVIIe siècle, cadeau empoisonné ou vraie humiliation ? | |
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madame antoine
Nombre de messages : 6902 Date d'inscription : 30/03/2014
| Sujet: La galanterie depuis le XVIIe siècle, cadeau empoisonné ou vraie humiliation ? Jeu 18 Jan - 12:48 | |
| Bonjour à tous les Amis du Boudoir de Marie-Antoinette, Dans le contexte des événements médiatiques actuels autour de la Condition Féminine, voici proposée à votre attention une intéressante émission s'interrogeant sur le bien-fondé de la galanterie. Revisitez l'histoire de la galanterie, faux nez de la domination masculine, depuis Louis XIV qui en fît un art de vivre à la française jusqu'à #balancetonporc et la liberté d'importuner, en passant par les féministes du XXe siècle.Un homme galant aidant une femme, Londres, 1925 • Crédits : Hulton Archive - Getty“Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste.” C’est ainsi que s’ouvrait la tribune, publiée dans le journal Le Monde, dans laquelle cent femmes revendiquaient mardi 9 janvier “une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle", alors que la parole féminine se libérait tous azimuts après l’affaire Weinstein.
Il est frappant de voir que le terme "galanterie" est convoqué dès la deuxième phrase de la tribune polémique. Une courte recherche dans un dictionnaire en ligne permet de définir ainsi le substantif :
- Disposition à se montrer courtois envers les femmes, à les traiter avec déférence, à les entourer d'hommages respectueux, d'aimables prévenances. -
Le mot est-il utilisé pour masquer une conduite qu'on ne voudrait pas regarder collectivement ? Sous couvert de flatterie et d'une soit-disant "tradition française" qui remonterait au Moyen-Âge, faudrait-il ainsi excuser, voire dé-responsabiliser, une attitude que d'autres considèrent comme un héritage empoisonné ?
Contester la galanterie, outil de domination Le jour-même où paraissait la tribune polémique, l'historienne Michelle Perrot y réagissait sur l'antenne de France Culture, dans "La Grande Table". Dans cette émission consacrée à l'héritage de Simone de Beauvoir à l'occasion des 110 ans de sa naissance, Michelle Perrot analysait la galanterie comme une construction sociale actant la dissymétrie des genres :
- On est un peu empoisonné en France par cette idée de la galanterie. La galanterie serait l’expression de la civilisation, de la culture française, des bons rapports qu’il y aurait dans notre pays par rapport aux autres, entre les hommes et les femmes. Je crois que c’est un mythe. C’est un mythe intéressant, brillant. Mais qui recouvre au fond, une domination particulière des hommes sur les femmes dans notre pays. On vous ouvre la portière et on vous donne des fleurs : ce qui est toujours une manière de mettre les femmes de côté, et qui l’a été pendant longtemps. Je crois qu’il faut y réfléchir beaucoup. Il faut déconstruire ce type de chose comme Simone de Beauvoir avait commencé à le faire dans Le Deuxième Sexe, et comme a on continué à le faire, et ne pas s’emprisonner dans des stéréotypes, des préjugés et des représentations. Ça ne veut pas dire que les rapports entre les hommes et les femmes ne doivent pas être plein d’amour, de tendresse, de taquinerie, etc. Bien sûr, c’est une merveilleuse aventure que les jeux de l’amour et du hasard. Mais attention, la galanterie, c’est autre chose. C’est une construction. -
Ecouter : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/qui-a-peur-de-beauvoir
Si la revendication d'une égalité totale entre les genres motive aujourd'hui la critique de la galanterie, cette contestation n'est cependant pas nouvelle. Au XVIIIe siècle, déjà, les esprits des Lumières s'opposaient à la galanterie, comme le rappelait l'historien britannique Theodore Zeldin dans un documentaire consacré à l'histoire de la galanterie de 1996 : chez Rousseau, la galanterie est ainsi le contraire du sentiment, alors que Mme de Staël y voit "de la bassesse" et Montesquieu "le mensonge de l'amour". Zeldin décryptait ainsi :
- La galanterie est vue comme un jeu où tout le monde triche, une parodie de l’amour. -
Écouter : La galanterie française ("Lieux de mémoire", 26.09.1996)
Au XVIIe siècle, l'âge d'or de la galanterie Cette contestation du XVIIIe siècle représente une rupture immédiate avec l'âge d'or de la galanterie, au siècle précédent. Au XVIIe siècle, l'homme galant est ainsi celui qui maîtrise parfaitement les usages de la Cour. La galanterie est un véritable ordre social à Versailles sous Louis XIV. L'universitaire Claude Habib, auteure de l'ouvrage La Galanterie française, retraçait l'évolution du terme "galant" au micro de Jean-Noël Jeanneney dans l'émission "Concordance des temps" le 13 janvier 2007.
Avant le XVIIe siècle, le galant était celui qui réussissait en affaires, et c'est pourquoi La Fontaine lui donne volontiers le rôle du renard dans ses Fables. Le sens du mot évoluera au XVIIe siècle, comme le racontait Claude Habib :
- Furetière [le dictionnaire, ndlr] en atteste aussi : ce n'est plus le bourgeois qui réussit dans ses affaires, c'est l'homme qui a les parfaits usages de la cour. Là il y a une confluence avec le sens érotique, puisque, pour avoir les parfait usages de la cour, il faut d'être mis à l'école d'une dame. Et l'on ne se met à l'école d'une dame que parce que l'on est amoureux[...] Il y a un lien entre la politesse de cour et le service des dames. -
Écouter : La galanterie disparue ? ("Concordance des temps", 13.01.2007)
La galanterie, ce pays imaginaire à visiter... ou pas Souvent présenté en "art de vivre à la française" qui emprunterait à l'amour courtois au Moyen Âge, la galanterie a irrigué très largement. Jusque dans le monde des arts, comme le soulignait Alain Rey dans le documentaire Lieux de mémoire de 1996. Le lexicographe se référait à l'oeuvre de Madeleine de Scudéry, Clélie la romaine, dans laquelle on retrouve la fameuse "carte du tendre", aussi appelé "carte du pays de tendre" :
- La galanterie du XVIIe siècle s’illustre bien dans le Grand Cyrus [ndlr : autre oeuvre de Madeleine de Scudéry] et naturellement, la Clélie dans laquelle on trouve cette fameuse carte du Tendre, qui n’est d’ailleurs qu’un exemple parmi d’autres. C’est le seul qu’on a gardé de la spatialisation d’une certaine représentation mentale. Il y a même eu des cartes de la galanterie explicitement. C’est-à-dire un parcours, une sorte de représentation d’un pays imaginaire que l’on peut visiter. - Gravure : la Carte du Tendre, Paris, BNF, 1654• Crédits : WikicommonsA partir du XIXe siècle : entre coquille vide et domination masculine Après l'âge d'or du XVIIe siècle et la contestation du XVIIIe siècle, la galanterie changera de sphère pour s'exercer davantage dans le champ privé à partir du XIXe siècle. Michelle Perrot l'expliquait déjà dans ce "Lieux de mémoire" de 1996 :
- La galanterie n’est plus véritablement un mode de rapport entre les hommes et les femmes. La galanterie va devenir une coquille vide. Ça va devenir simplement des mots, des gestes, des gestes de plus en plus superficiel : ouvrir une porte, faire asseoir une femme, lui dire des compliments. Mais ça n’a plus grand chose à voir avec la Cour. -
C'est un siècle plus tard que certains mouvements féministes du XXe siècle commenceront à voir dans la galanterie un miroir de la domination masculine, dans le sillage de Simone de Beauvoir et du Deuxième Sexe. Mais le terme (et les enjeux qu'il masque) ne sera finalement jamais interrogé avec la même acuité qu'en ce début d'année 2018, dans la foulée des campagnes #metoo et #balancetonporc qui succéderont à l'affaire Weinstein.Archives INA - Radio France https://www.franceculture.fr/histoire/galanterie Bien à vous madame antoine _________________ Plus rien ne peut plus me faire de mal à présent (Marie-Antoinette)
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| | | madame antoine
Nombre de messages : 6902 Date d'inscription : 30/03/2014
| Sujet: Re: La galanterie depuis le XVIIe siècle, cadeau empoisonné ou vraie humiliation ? Mar 12 Mai - 23:19 | |
| Voici également une émission qui s'interroge sur la galanterie. Le féminisme et la galanterie peuvent-ils s'entendre ?Comment la galanterie, idéal social de distinction sous l’Ancien Régime, est-elle devenue un sujet de polémique qui défraie régulièrement la chronique ? Traversons les siècles en compagnie d’Alain Viala, professeur émérite à l’université Sorbonne-Nouvelle-Paris-3 et à l’université d’Oxford.Il est l’auteur de La galanterie – Une mythologie française aux éditions Seuil, coll. La couleur des idées.
La galanterie se développe spécialement en France, mais elle touche à des questions qui concernent l’ensemble des cultures à travers l’Occident et le monde entier. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, elle n’est pas morte.
Sa définition varie selon les dictionnaires. Elle a en tout cas fait l’objet de quatre siècles de débats et cela continue aujourd’hui. Un débat relatif à trois domaines, selon Alain Viala :
- la civilité, le savoir-vivre, la politesse
- un style artistique
- les relations entre hommes et femmes, les relations amoureuses.
Aux origines de la galanterieIl faut remonter au milieu du 17e siècle pour voir la galanterie se développer. Au sortir de la guerre civile, la France a besoin de nouvelles élites, pour remplacer les leaders de l’aristocratie et de l’Eglise dont on ne veut plus. Elle les cherche dans les milieux de la culture et de l’esprit.
Au même moment, se développe une revendication féminine de droit à la parole. Les deux se conjuguent pour donner un nouveau style de vie appelé le style galant.
Le galant homme et la galante dame du 17e s sont des gens distingués, spirituels, dignes de confiance et attentifs à autrui. A ne pas confondre avec un homme galant, qui est un séducteur, ou une femme galante, qui est une séductrice, voire pire.
« Ce sont des gens d’honneur, qui font preuve d’esprit, et qui sont agréables dans la mesure où ils s’intègrent socialement par leurs capacités à se montrer attentifs à autrui et donc à plaire au meilleur sens du terme », précise Alain Viala.
Les gens qui adoptent le style galant sont peu préoccupés par les questions religieuses car ils cherchent à bien vivre ici-bas, dans l’agrément de ce monde. Ils sont donc suspects aux yeux des autorités religieuses et de bon nombre de catholiques. Il ne s’agit pas d’une opposition philosophique, mais d’une opposition d’attitude.Le style de la courLe style galant est omniprésent de 1650 à 1750, en littérature, mais aussi en musique, avec Lully et Rameau, en peinture, avec Watteau, Fragonard, Boucher, en danse, en arts décoratifs. Il devient aussi un instrument politique : Louis XIV l’adopte et l’incarne. Il dansera par exemple le personnage du galant dans 'Le ballet de la galanterie' et il organisera plus tard 'Les plaisirs de l’île enchantée, fête galante offerte par le roi'. Le style galant devient le style de la cour de France quand elle célèbre sa joie de vivre dans la paix et dans la postérité.De la galanterie au libertinageAu milieu du 18e s, on finit par confondre galanterie et libertinage, avec une bonne dose de misogynie. Les catholiques rigoristes, hostiles au style galant, se mettent à utiliser la connotation péjorative. Les opposants à Louis XIV suivent. Comme l’écrit Voltaire : « Le sens positif du mot s’est perdu, et c’est dommage. Aujourd’hui, ce n’est, par euphémisme, qu’un moyen de désigner le libertinage ».
La révolution française marque une césure. A partir de 1789 en effet, la production galante dans les arts et le savoir-vivre baisse fortement. Le style galant est vu comme une marque de l’Ancien Régime, qu’on rejette. Le sérieux révolutionnaire cherche davantage les références romaines.
Par ailleurs, la bourgeoisie renforce le dispositif d’alliance, ou mariage arrangé, pour ménager les fortunes. Alors que la galanterie suppose un dispositif d’élection où les deux partenaires se choisissent. La galanterie est vue comme la séduction, la drague, avec l’obsession de la femme galante, séductrice, qui croque les fortunes.
Inspiré par Jean-Jacques Rousseau, hostile à ce style galant, le rigorisme viril des révolutionnaires se traduit par de la misogynie envers les femmes, y compris pendant la Révolution lorsqu’elles essaient de faire valoir leurs droits.
Après 1815 et la restauration de la monarchie, le mythe se divise. Les nobles émigrés n’osent pas afficher le retour du style galant et participent à la pudibonderie ambiante pour s’aligner sur la bourgeoisie. La galanterie se réveille du côté populaire. On se met à appeler 'œuvres galantes' les activités de prostitution, notamment autour du palais royal.
Après 1830, quelques intellectuels et artistes s’emparent de l’art galant comme un moyen de défier la bourgeoisie. L’actrice est l’illustration de la femme galante, de la prostituée.
La bourgeoisie industrielle et bancaire de l’Empire a besoin de trouver ses signes culturels. Elle va puiser entre autres parmi le style galant et va pratiquer la collection artistique comprenant des pièces de la tradition galante. Verlaine publiera le recueil de poésie 'Les fêtes galantes' en 1869.
En 1870, la France perd la guerre contre les Prussiens. On met la défaite en partie sur le compte de la galanterie et donc de la corruption morale. La compensation à la défaite se traduit par la recherche d’une musique propre au style et à l’âme française. Debussy par exemple adapte les poèmes de Verlaine et invente le modèle de la mélodie galante comme le modèle du génie français en musique, avec une revendication nationaliste.
Au moment de la première guerre mondiale, on glisse du côté de la mélancolie. On pense que l’esprit français s’est perdu. La galanterie est désenchantée. La France de l’entre-deux-guerres ne regarde plus l’héritage galant avec plaisir et enthousiasme mais avec mélancolie, malgré les années folles, période d’intense activité culturelle et artistique.Le féminisme et la galanterie peuvent-ils s’entendre ?Au milieu du 20e s, féminisme et galanterie se trouvent en conflit. Les militantes féministes estiment que certains hommes utilisent la référence galante pour affirmer leur domination sur le mode doux, signifiant que la femme est faible. Gisèle Halimi par exemple rejette la galanterie comme une forme de domination masculine : «… parce qu’elle est dissymétrique, inégalitaire. Si on voit un jour une galanterie égalitaire, je ne la rejetterai pas. »
De nos jours, les débats continuent. Le besoin de civilité et de politesse existe toujours. On assiste à un détournement de la galanterie dans sa version bourgeoise, par exemple dans les écrits de la Baronne de Rothschild, note Alain Viala. Mais la musique galante, la peinture galante continuent à attirer les foules. Le patrimoine de la distinction française reste très présent.Ecoutez Alain Viala dans Un Jour dans l’Histoire : https://www.rtbf.be/lapremiere/emissions/detail_un-jour-dans-l-histoire/accueil/article_le-feminisme-et-la-galanterie-peuvent-ils-s-entendre?id=10219161&programId=5936 Bien à vous madame antoine _________________ Plus rien ne peut plus me faire de mal à présent (Marie-Antoinette)
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