Bien chers Amis du Boudoir de Marie-Antoinette,
On nous annonce la parution prochainement d'une étude dévolue au pouvoir féminin.
Du balai !
À l'évocation du mot « sorcière », l'imagination frétille. Vieilles femmes au nez crochu, chaudrons fumant d'un liquide visqueux, sortilèges effrayants... Et cet incroyable balai magique sur lequel ces chevalières de mauvais augure fendent les airs tout en ricanant de leurs méfaits. On se prend alors à sourire... Comment diable - si j'ose dire - a-t-on pu croire à de telles sornettes ? Et l'on continue, petits et grands, à se délecter de ces histoires de fées Carabosse qui peuplent nos contes.
L'histoire de celles - plus rarement de ceux - qui furent qualifiées du titre de « sorcière » n'a pourtant rien d'un conte de fées. Rien qui puisse prêter à sourire, encore moins à rire. C'est l'histoire abominable de milliers de femmes qui, du XIVe au XVIIIe siècle, sont envoyées par dizaines de milliers au bûcher, au motif le plus souvent fallacieux qu'elles auraient fait mourir leur mari. Un enfant. Leur belle-mère. Du bétail. C'est l'histoire de ces boucs émissaires qui servent à catalyser la fureur ou la crainte, à une époque où bien des phénomènes demeurent inexpliqués.
C'est aussi, finalement, l'histoire d'une terreur masculine face au sexe féminin. Ces femmes dérangent parce qu'elles savent. Elles savent mettre au monde les enfants, soigner par l'imposition de leurs mains ou par les plantes. Par quelle supercherie ces descendantes de Pandore et d'Ève ont-elles acquis ce savoir, si ce n'est du diable lui-même ? Ces femmes savantes, encore raillées par Molière au XVIIe siècle, concentrent donc toutes les haines misogynes de leur époque - celles des autorités religieuses, politiques et juridiques, verrouillées en l'occurrence par des hommes. Et ce balai servant d'emblème aux sorcières est loin d'être anodin : symbole ménager par excellence, l'objet - dont la forme phallique n'aura échappé à personne -, est scandaleusement détourné de son usage habituel, témoignant de l'insupportable liberté de ces effrontées.
Il fut un temps où accuser quelqu'un de sorcellerie revenait à signer son arrêt de mort. Ce temps, du reste, se conjugue toujours au présent dans certains pays comme le Népal, l'Inde ou le Cameroun. « Mais toutes les femmes, même celles qui n'ont jamais été accusées, ont subi les effets de la chasse aux sorcières, écrit l'essayiste Mona Chollet (1). La mise en scène publique des supplices, puissant instrument de terreur et de discipline collective, leur intimait de se montrer discrètes, dociles, soumises, de ne pas faire de vagues. En outre, elles ont dû acquérir la conviction qu'elles incarnaient le mal ; elles ont dû se persuader de leur culpabilité et de leur noirceur fondamentales. » D'autant que toutes les filles d'Ève sont des sorcières en puissance. Ne dit-on pas d'une jolie femme qu'elle a du charme ? C'est pour mettre fin à cette suspicion généralisée que, dans les années 1970, des intellectuelles ou activistes ont décidé de revendiquer haut et fort le titre de sorcière. L'écrivaine Xavière Gauthier lance ainsi la revue Sorcières en 1975, conçue comme un espace de liberté de parole féminine. Et aujourd'hui, les descendantes de Circé font partie intégrante de la pop culture. Fin d'une superstition ou ultime sortilège ?
(1) Sorcières, la puissance invaincue des femmes, par Mona Chollet (La Découverte, à paraître en septembre 2018).
Virginie Larousse
http://www.lemondedesreligions.fr/
Bien à vous
madame antoine
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Plus rien ne peut plus me faire de mal à présent (Marie-Antoinette)