Bonjour,
C'est en écoutant cette émission -
https://maria-antonia.forumactif.com/t24793-les-clandestines-des-mers#357129 - que j'ai eu l'idée de me documenter sur l'étonnant personnage qui fut la première femme à faire le tour du monde
- Jeanne Barret - Jeanne Barret naît le 27 juillet 1740 dans le petit village de La Comelle en Saône-et-Loire. Elle est la fille de Jean Barret et de Jeanne Pochard, tous deux paysans. Personne ne signera son acte de naissance, pas même d'une croix. Sa famille est pauvre et illettrée. Sa mère décède quelques années après sa naissance. La petite Jeanne passe les premières années de sa vie à la ferme de son père mais celui-ci meurt aussi en 1760.
Orpheline et réduite à la misère, elle entre comme domestique chez un notable, un certain Docteur Commerson, savant et botaniste émérite. Ce n'est pas loin de chez elle, à Toulon-sur-Arroux. En 1762, la femme du célèbre docteur décède après avoir mis au monde un garçon, Anne François Archambaud. Jeanne Barret devient alors sa gouvernante et veille à son éducation.
Décelant le potentiel de la jeune femme, Commerson lui donne des cours de botanique et lui confie la préparation des herbiers. Jeanne se passionne vite pour cette discipline et devient la secrétaire particulière du docteur. Elle fut aussi vraisemblablement sa maîtresse, puisqu'elle fut enceinte en 1764. Commerson vient d'être nommé « médecin et botaniste du Roi » à Paris. Ils vont s'y installer ensemble. Le savant apprend aussi qu'il est choisi pour accompagner Bougainville pour son voyage autour du monde. La joie pour Jeanne qui rêve de l'accompagner !
Hélas, ce bonheur est de courte durée. Embarquer des femmes est interdit sur les navires du roi. Et leur enfant meurt vient de mourir. Elle va devoir rester seule à Paris avec son chagrin. De plus, le bon docteur n'est plus très jeune et sa santé lui cause de l'inquiétude. Et s'il allait tomber malade pendant cet interminable périple ?
- Le docteur Commerson -
En effet, le 14 décembre 1766, Commerson dépose son testament devant un notaire. Ne nous inquiétons pas trop, c'était la coutume lorsqu'on s'apprêtait à un voyage lointain. Nous nous arrêterons sur la huitième clause, qui constitue pratiquement le seul texte de Commerson évoquant Jeanne Barret :
- « Je lègue à Jeanne Baret, dite Bonnefois, ma gouvernante, la somme de six cents livres, une fois payée, et ce, sans déroger aux gages que je lui dois depuis le 6 septembre 1764, à raison de cent livres par an, déclarant au surplus que tous linges de lit et de tables, toutes nippes et habits de femmes que je peux avoir dans mon appartement lui appartiennent en propre, ainsi que tous les autres meubles meublant, tels que lits, chaises, fauteuils, tables, commodes, à l’exception seulement des herbiers et livres ci-dessus spécifiés et de ma dépouille propre à ma personne léguée à mon susdit frère. Voulant que les susdits meubles lui soient délivrés sans aucune difficulté après ma mort, même qu’elle jouisse une année encore après icelle de l’appartement que j’occuperai pour lors et dont le loyer sera entretenu à cet effet, quand ce ne serait que pour lui donner le temps de mettre en ordre les collection d’Histoire naturelle qui doivent être portées au Cabinet des Estampes du Roi, ainsi que sus est dit […] Fait et passé à Paris le 14 décembre 1766 à la veille d’un voyage entrepris par ordre du Roy aux Terres australes où je vais accompagner Monsieur de Bougainville en qualité de médecin botaniste de sa majesté pour y faire des observations sur les trois règnes de la nature dans tous les pays ou (sic) cet officier me conduira ; ainsi Dieu me soit en aide… »
Revenons à l'expédition. Il se trouvait que, malheureusement, une vieille ordonnance royale du 15 avril 1689 interdisait la présence de toute femme à bord des navires de Sa Majesté. Qu'à cela ne tienne ! Jeanne Barret, avec la complicité de son maître, se travestit en homme...
Le 1er février 1767, à Rochefort, Commerson suivi de son valet Jean Barret dit « Bonnefoy » monte à bord de l’Étoile en tant que médecin-naturaliste du Roi. La Boudeuse filait déjà vers les mers du sud depuis deux mois. La jonction de L’Etoile avec le trois mâts de Bougainville se fit à Rio de Janeiro le 20 juin, pénalisant ainsi l’expédition d’un retard de près de six mois.
A bord, la traversée n'est facile pour personne, encore moins pour
Jean Barret qui doit dissimuler sa féminité aux yeux de l'équipage. Son astuce, c'est de rester boutonnée, la poitrine bandée et toujours habillée de beaucoup de vêtements, même dans les pays tropicaux. Par son courage et sa force de caractère elle parvient à s'adapter à la rude vie des marins. Déployant un travail acharné, elle suit Commerson dans toutes ses herborisations. C'est elle qui porte les provisions, les armes et les cahiers, qui collecte et range les fleurs et les plantes. Cependant, malgré tous ses efforts, la mystification s’effrite et des soupçons ne tardent à apparaître...
Un sursis va survenir, paradoxalement, grâce à la santé défaillante du docteur. En effet, il n'a pas le pied marin, il se voit contraint de s'aliter pendant presque deux semaines.
Monsieur Jean Barret, qui auparavant dormait dans l'entrepont, obtient alors l'autorisation de partager sa chambre pour le soigner. Un moment de répit pour cette courageuse petite femme qui peut enfin cesser de calfeutrer son intimité.
- Jean(ne) Barret -
- Collection Grob/Kharbine TAPABOR tirée de la revue
Histoires Vraies -
- « la petite taille, courte et grosse, de larges fesses, une poitrine élevée, une petite tête ronde, un visage garni de rousseur, une voix tendre et claire, une adroite et délicatesse … faisaient le portrait d'une fille laide et assez mal faite ».
Voilà le portrait peu flatteur qu'a laissé de notre héroïne François Vivès, chirurgien major. Peut-être est-ce lui qui a fait courir le bruit qu'il y a une femme à bord ? Jeanne est obligée d'aller rejoindre les autres domestiques sous le gaillard dans un hamac pour éviter les soupçons. Tout émoustillés, les hommes se permettent des agaceries et des grivoiseries déplacées. Pour avoir la paix, la jeune femme prétend alors être un eunuque et ne se déplace plus qu'armée. C’est alors que Commerson découvre cette belle plante mauve qu’il baptise Bougainvillée. L'apport de ce scientifique est immense pour l'expédition. Le commandement fait donc mine d'ignorer la sulfureuse rumeur qui court sur le pont.
A son tour, Jeanne tombe malade à son tour lors de l’escale en Amérique du sud. Certains n'hésitent pas à évoquer un avortement. Mais peut-être ce petit bout de femme, si volontaire soit-elle, a-t-elle brièvement succombé à l'épuisement ?
Elle se remet et, jusqu’à l’escale de Tahiti, elle poursuit son assistance auprès de Philibert avec ténacité. Hélas pour elle, après 16 mois de navigation, un incident vient mettre fin à la supercherie. Le 4 avril 1768, un insulaire du nom de Aotourou (Ahutoru en langue vernaculaire) monte à bord de l’Étoile.
- « L'équipage se pressa dans la grande chambre de bord autour d'Aotourou qui criait « ayene », une fille ! (en fait vahiné en langue locale). Les marins se tournèrent vers l'armurier Labarre, dont la figure était efféminée. Mais Aotourou désignait le domestique de Commerson, qui perdit contenance et vida la place ». Un autre événement de ce genre eut lieu quelques jours après, le 7 avril 1768 : « Notre botaniste se rend à terre pour herboriser, selon son habitude, et il est accompagné de son valet. Un groupe d'autochtones entoure alors le jeune Bonnefoy, se met à crier « ayenene ! Ayenene ! » (fille ! Fille!) et entreprend de le déshabiller. Il ne s'agit pas là d'une quelconque agression mais , d'un signe de bienvenue, d'une invitation à participer aux rituels locaux assez festifs. Il fallut l'intervention musclée de quelques marins pour que Bonnefoy soit libéré(e) et ramené(e) au bateau. ?»
La légende raconte que les Tahitiens ont immédiatement décelé la présence féminine à cause de leur odorat subtil et de l’hygiène très négligée à bord des navires. Probablement aussi parce qu’ ils n'avaient pas d’a priori sur le langage social du vêtement chez les Européens.
Jeanne reste désormais consignée à bord par mesure de sécurité. Bougainville, qui se trouve sur la Boudeuse, commandite une enquête discrète. On s'en doute, une convocation officielle aurait fait scandale et compromis toute l’expédition. Mais le sort semble s'acharner sur la jeune botaniste: malmené par le scorbut, l'équipage menace d'entrer en mutinerie pour protester contre les régimes de faveur. Un mois après ces incidents à répétions, le 28 mai 1768, Bougainville décide de trancher dans le vif et convoque le
matelot Jean pour lui intimer l’ordre de se déshabiller pour prouver sa bonne foi. Jeanne craque.
- « Elle m’a avoué, les larmes aux yeux, qu’elle avait trompé son maître en se présentant à lui sous des habits d’homme à Rochefort au moment de son embarquement. Elle savait, qu’en embarquant, il était question de faire le tour du monde, et ce voyage avait piqué sa curiosité. Elle sera la seule de son sexe et j’admire sa résolution, d’autant qu’elle s’est toujours conduite avec la plus scrupuleuse sagesse. La Cour, je crois, lui pardonnera l’infraction aux ordonnances. L’exemple ne saurait être contagieux ?»
C'est le récit que, grand seigneur, Bougainville consigne dans son journal Il est à souligner qu'il témoingna d’une grande indulgence envers le couple et de beaucoup de sympathie pour le naturaliste. En véritable gentleman, il dut faire montre d’une tolérance peu commune pour l’époque envers la “clandestine du voyage” jusqu’à la secourir efficacement après son retour en France. Par prudence sans doute, après cet entretien, il se montre clément sous réserve qu'il n'y ait pas de nouvelles incartades et que Jeanne conserve son poste. A la condition impérative qu’elle reste habillée en homme. Par prudence sans doute, il les consigne sur l’Etoile mais interdit leur cohabitation. Pour éviter le scandale et sauver la face de son commandant, Commerson doit déclarer qu’il ignorait la présence de la jeune femme à bord et qu’il a été abusé. Pieux mensonge car il risque beaucoup : toute sa carrière scientifique est en jeu ! Aussi pour prévenir toute procédure judiciaire, et un éventuel retour infamant en France, Bougainville leur impose de débarquer à l’île de France (île Maurice). Cette mesure arrange bien Commerson, car l'intendant de l'île, Pierre Poivre est l'un de ses amis . Avec Jeanne, ils pourront vivre tranquilles, chargés de développer la « plantation d'épicerie » dans les Mascareignes.
- Louis-Antoine de Bougainville -
Le couple débarque donc le 8 novembre 1768 à Port-Louis avec tous les herbiers. De son côté, Bougainville peut terminer son tour du monde avec plus de sérénité. En 1771, dans son
Voyage autour du monde il parlera peu de l'affaire Jeanne Barret. Officiellement, en effet, il était censé ignorer toute l’histoire puisqu’il commandait la Boudeuse alors que le couple avait embarqué sur l’Étoile bien après lui.
Commerson à désormais à disposition un immense jardin botanique, le Jardin de Pamplemousse. Il découvre une une plante « aux caractères sexuels douteux », Baretia bonnafidia, qu'il dédie avec élégance à Jeanne Barret :
- « Cette plante aux atours ou au feuillage ainsi trompeurs est dédiée à la vaillante jeune femme qui prenant l’habit et le tempérament d’un homme eut la curiosité et l’audace de parcourir le monde entier, par terre et par mer, nous accompagnant sans que nous-mêmes ne sachions rien. Tant de fois elle suivit les pas de l’illustre Prince de Nassau, et les nôtres, traversant avec agilité les plus hautes montagnes du détroit de Magellan et les plus profondes forêts des îles australes […]. Elle sera la première femme à avoir fait le tour complet du globe terrestre, en ayant parcouru plus de quinze mille lieues. Nous sommes redevables à son héroïsme de tant de plantes jamais récoltées jusqu’alors, de tant de collections d’insectes et de coquillages, que ce serait préjudiciable de ma part, comme de celle de tout naturaliste, de ne pas lui rendre le plus profond hommage en lui dédiant cette fleur. »
- Baretia bonnafidia - Turraea floribunda -
Mais en 1773, Pierre Poivre perd son poste de gouverneur de l'île et le nouvel intendant prend en grippe le couple Commerson. Le docteur rencontre de sérieux problèmes financiers et tombe très malade. Il meurt le 13 mars 1773, à Flacq, d'une pleurésie, à l'âge de 46 ans.
Désormais seule et sans ressources pour survivre, Jeanne ouvre un cabaret-billard à Saint-Louis mais conserve précieusement le long travail effectué avec son maître. Le nouveau gouverneur de l'île s'acharne contre la pauvre fille du peuple. A la première occasion, il la fait condamner à une forte amende pour
avoir servi de l'alcool un dimanche durant l’heure de messe, causant un trouble grave à l’ordre public de la colonie.
Par chance, elle rencontre un officier de marine français, Jean Dubernat, du régiment royal Comtois, avec lequel elle se marie le 17 mai 1774 à la cathédrale de Saint-Louis. Grâce à cette union avec un militaire on ne peut lui refuser de rentrer en France et Madame Dubernat peut être rapatriée. Le couple revient donc au pays en 1776.
Jeanne Barret fut la première femme à avoir fait le tour du monde. Son aventure dangereuse et romanesque continue de faire rêver. Sa notoriété n’a jamais été aussi connue et racontée qu’aujourd’hui.
Elle a rapporté scrupuleusement tous les travaux de Commerson aux Jardins du Roi : les herbiers, et la majeure partie de leurs récoltes, soit plus de 30 caisses scellées contenant 5000 espèces de plantes ramassées au cours de son périple autour du monde, 3000 d'entre elles sont décrites comme nouvelles. Ces collections rejoignirent celles du Muséum national d'Histoire Naturelle (Jardin des Plantes) où l'on peut toujours les consulter.
- Herbier Commerson -
Le 3 avril 1776, Jeanne reçoit l'héritage que lui a légué le Docteur Commerson. Le 13 novembre 1785, elle est reçue par Louis XVI qui reconnaît ses mérites et son travail d’ assistante... Le roi la félicite pour sa conduite héroïque et la complimente chaleureusement en la qualifiant de « femme extraordinaire ». Il lui fait verser une pension de 200 livres.
La nouvelle héroïne partagea le reste de sa vie entre sa Bourgogne natale et le Périgord.
Elle désigna comme son unique héritier le fils de Commerson dont elle n'était pourtant pas la mère mais qu'elle avait sûrement élevé comme son propre fils. Elle mourut le 5 août 1807 à l'âge de 67 ans au lieu dit « Les Graves » à Saint-Aulaye-de-Breuilh (actuellement la commune de Saint-Antoine-de-Breuilh en Dordogne). Elle est enterrée au cimetière de l'église de Saint-Aulaye où sa tombe est toujours visible et visitée .
- Sources -
https://www.tahitiheritage.pf/jeanne-baret-femme-tour-monde/
http://www.auxerretv.com/content/index.php?post/2012/07/22/Cette-sacr%C3%A9e-Bourguignonne-de-Bougainvill%C3%A9e%E2%80%A6
http://lesamisdebougainville.wifeo.com/jeanne-barret.php
https://dailygeekshow.com/jeanne-barret-tour-monde/