Un épisode qui en intéressera plus d'un.
1686. La vogue des indiennes bat son plein mais le roi Soleil interdit le commerce et le port de ces tissus colorés et fleuris. Une des toutes premières mesures de protectionnisme économique qui s’avérera largement contre-productive.1764. « Manufacture de tissu d’indienne des frères Wetter ».
A gauche, M. et Mme Jean Rodolphe Wetter richement vêtus.
Au centre, un ouvrier présente une planche d’impression au directeur de fabrique, Pierre Pignet. Josse/LeemageIl y a cette petite robe à fleurs toute en couleurs que vous sortez pour aller à la plage. Ou cette nappe « colchiques et brins de lavande » achetée sur un marché provençal, parfaite pour l’apéro sous le parasol… Derrière ces tissus à motifs végétaux que l’on voit refleurir chaque été se cache une histoire insoupçonnée…
Ce 22 mai 1739, Catherine Gayet pensait avoir trouvé le plan parfait. Pour déjouer les contrôles et faire entrer sa marchandise illicite dans Grenoble, elle avait opté pour la Porte Saint-Laurent. Une tour massive bien gardée au nord de la ville, surplombée par le massif de la Chartreuse. Le genre d’endroit qu’éviterait toute contrebandière normalement constituée. C’était là l’astuce : plutôt que de tenter de passer en douce par une entrée plus discrète, autant s’avancer ici la tête haute. Qui irait fouiller sa charrette de fourrages ?
La combine avait déjà fonctionné de nombreuses fois. Sauf que ce jour-là, les contrôleurs de la Ferme générale avaient décidé de faire un tour de ce côté de la capitale du Dauphiné. Probablement pas par hasard. Quand elle vit l’un des officiers s’avancer vers elle, il était trop tard. « Mademoiselle, que transportez-vous là ? » Songeant à qui pouvait l’avoir dénoncée, Catherine ne répondit pas et laissa la maréchaussée trouver par elle-même ce qu’elle cherchait : des fleurs interdites…
Dissimulées sous le foin, point de plantes psychotropes mais des motifs végétaux imprimés sur des étoffes. Car dans la France du début du XVIIIe siècle, on fait la chasse aux indiennes, ces cotonnades colorées qui à l’origine, étaient importées des Indes. Des « toiles peintes » avec le rouge de la garance et le bleu de l’indigo, dont la technique fut ensuite introduite dans le royaume par des marchands arméniens établis à Marseille. Avant d’essaimer des fabriques spécialisées – les indienneries – dans toute la Provence… au grand dam des tisserands traditionnels de laine et de soie, qui finiront par en obtenir l’interdiction.
- Indienneries fermées par Louis XIV
« Un petit nombre de marchands, distributeurs des étoffes des Indes, sont eux seuls l’unique cause du goût dépravé que les femmes de la Cour et de la Ville ont pour ces sortes d’étoffes […] et par là ils favorisent le grand commerce que les Anglais et les Hollandais font de ces sortes d’étoffes », dénonçait ainsi un soyeux lyonnais de la fin du XVIIe siècle.
Après un intense lobbying, les tisserands de Lyon obtiennent, en 1686, la promulgation par Louis XIV d’un édit interdisant « les toiles peintes aux Indes ou contrefaites dans le royaume ». L’un des premiers actes de protectionnisme économique de France.
«Séchage des tissus d'Indienne des manufactures Wetter,
Orange» huile sur toile de Gabriel Maria Rossetti (1764-1765)/DeAgostini/LeemageLa fabrication et le commerce des cotonnades colorées sont dès lors proscrits : on fait fermer les indienneries et on menace les importateurs frauduleux de les envoyer aux galères. En 1697, un nouveau texte permet même de réprimer le port d’indiennes. On fait se déshabiller les femmes – qui constituent la grande majorité des contrevenantes – surprises avec des tissus interdits et on brûle les robes saisies dans les rues. Des amendes sont également prévues.
- La contrebande s’organise
Mais la mode résiste à tout, et la vogue des indiennes à celle la prohibition. Avec elle se développe la contrebande… et les fabriques de cotonnades imprimées aux marges du royaume. C’est par exemple le cas à Genève où plusieurs indienneries sont fondées par un petit groupe de huguenots, qui ont fui la France après la révocation de l’édit de Nantes en 1 685. Pour écouler leur marchandise, ils s’appuient sur des réseaux de passeurs. C’est à l’un d’entre eux qu’appartient Catherine Gayet, sur qui on retrouve 29 aunes (un peu plus de 34 mètres) d’indienne. Moins que les 65 aunes que transportaient Françoise Bien et Françoise Chaffart, arrêtées dix jours plus tard au Gua, à quelques kilomètres de Grenoble.
Finalement, après plusieurs décennies de fraude et l’essor de l’industrie textile aux frontières, l’importation des cotonnades blanches ou peintes est de nouveau autorisée en 1755, moyennant une taxe de 15 %.
Quatre ans plus tard, la prohibition est totalement levée et des manufactures légales se créent un peu partout dans le royaume. L’une des plus florissantes est fondée dès 1 760 par Christophe-Philippe Oberkampf à Jouy-en-Josas. C’en était bien fini de la guerre des toiles.
«Impression à la planche des tissus d'Indienne des manufactures Wetter»,
huile sur toile de Gabriel Maria Rossetti (1764-1765)/DeAgostini/Leemage- Le trafic du bandit Mandrin
Parmi la foule des contrebandiers qui en tirèrent profit, le trafic illégal d’indiennes fit le miel du célèbre bandit Louis Mandrin. Celui qui s’autoproclama « capitaine général des contrebandiers de France » achemina, au milieu du XVIIIe siècle, nombre de toiles imprimées depuis la Suisse mais aussi la Savoie, un Etat alors souverain où le forban avait l’habitude de trouver refuge.
Mandrin devint très populaire car son lucratif commerce se doublait d’un défi politique contre la Ferme générale, l’organisme alors chargé de percevoir de lourdes taxes sur les marchandises. Ce « bandit d’honneur » à la tête de plusieurs centaines d’hommes fut arrêté en 1 755 par les troupes royales, puis roué vif à Valence à l’âge de 30 ans. « Mon ami, je t’ai conservé la vie, hâte-toi de me la ravir », aurait lancé au bourreau celui qui reste, dans l’imaginaire collectif, une sorte de Robin des Bois du siècle des Lumières.
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Chaque époque a ses enjeux économiques.