Agrégé d’histoire, Benoît Garnot a été professeur à l’université de Bourgogne, à Dijon, et est l’auteur de nombreux ouvrages, dont une « Histoire de la justice du XVIe au XXIe siècle », Gallimard, collection Folio histoire. Il revient sur l’histoire des jurés populaires.
- La cour d’assises est une invention de la Révolution française, en quoi a-t-elle été un élément de rupture avec l’ancien régime ?
BENOÎT GARNOT. La Révolution a créé les tribunaux criminels départementaux, qui ont reçu en 1811 le nom de cour d’assises. La rupture avec la justice d’Ancien Régime porte sur quatre points. Tout d’abord, les juges chargés de décider de la culpabilité de l’accusé, nommés jurés, ne sont plus des professionnels de la justice mais des citoyens tirés au sort. Ensuite, les jurés se fondent, pour prendre leur décision, sur leur intime conviction, alors que la justice d’Ancien Régime exigeait des preuves réelles (aveux, témoignages, indices indubitables…). Troisième nouveauté : l’existence d’un Code pénal (1791) qui définit dans un volume unique (alors que les lois pénales de l’Ancien Régime étaient éparses) les crimes et qui précise pour chacun d’entre eux les peines encourues. Enfin, l’introduction d’une procédure essentiellement accusatoire, c’est-à-dire orale et publique, alors que la procédure pénale de l’Ancien Régime était dite inquisitoire (ce qui n’a aucun rapport avec l’Inquisition, mais avec la notion d’enquête), c’est-à-dire écrite et secrète.
- Quels sont les principes qui assoient la légitimité des jurés populaires ?
Le principe qui fonde la légitimité des jurés populaires est celui de la souveraineté du peuple (et non pas de son infaillibilité, comme on le dit souvent à tort), sachant que la justice était considérée auparavant comme la première responsabilité du roi ; mais, dorénavant, le roi, c’est le peuple, donc c’est lui qui devient le justicier.
- Les jurés ont-ils existé auparavant dans l’histoire ? Quels sont les pays qui s’en sont inspirés ?
Le jury n’est pas une nouveauté : on rencontrait pendant l’Ancien Régime des tribunaux similaires, mais qui ne traitaient pas des crimes, par exemple les tribunaux de commerce. L’introduction du jury dans la procédure criminelle s’est inspirée principalement de l’exemple de l’Angleterre, qui le pratiquait depuis longtemps. Le jury a ensuite été exporté dans plusieurs pays européens avec les conquêtes de la Révolution et de l’Empire, puis hors d’Europe à la suite de la colonisation.
- En plus de deux cents ans, les assises ont connu plusieurs modifications. Quelles sont les plus importantes ? S’il y a « évolution », est-ce dans un sens particulier ?
Le nombre des jurés a été plusieurs fois modifié, ainsi que la majorité requise pour décider une culpabilité. En 2000, on a créé les cours d’assises d’appel, une nouveauté très importante car, jusqu’à cette date, les cours d’assises jugeaient sans appel. Mais la principale modification date de 1941 : on a introduit dans le jury trois magistrats professionnels, les neuf jurés et trois magistrats professionnels statuant dorénavant ensemble, d’abord sur la culpabilité de l’accusé, ensuite sur le choix de la peine. On peut considérer que cette réforme a fortement dénaturé le principe même des cours d’assises vues comme l’émanation de la volonté populaire. Dans le même esprit, on a créé en 1986 une cour d’assises spéciale, chargée de juger les crimes de terrorisme, composée exclusivement de magistrats professionnels.
- L’actuel projet de réforme envisage de remplacer dans certains cas la cour d’assises par des tribunaux composés exclusivement de magistrats professionnels. Que peut en penser un historien ?
Les projets de modifications n’ont pas manqué pendant les deux siècles derniers. Ce dernier, qui prévoit la création de tribunaux criminels, va dans le même sens que la réforme de 1941, en privant les cours d’assises d’une grande partie du contentieux qu’elles avaient à traiter jusqu’à maintenant. A dire vrai, c’est là une tendance qui n’est pas nouvelle, puisque au fil des années on a « correctionnalisé » de nombreux crimes, qui sont ainsi passés de la compétence des cours d’assises avec leurs jurés populaires à celle des tribunaux correctionnels avec leurs magistrats professionnels. Aujourd’hui, les cours d’assises ne traitent plus qu’environ 1 % du contentieux pénal.
- Que peut penser un historien de cette réforme ?
L’historien n’a pas de jugement à porter sur cette évolution, mais le citoyen, s’il est attaché aux principes de la démocratie, ne peut que la déplorer.
Les jurés, unis par un sermentA l’ouverture d’un procès, d’assises, le président lit aux jurés, en présence de l’accusé, l’article 304 du Code de procédure pénale. Qui assiste à un tel moment sait combien l’émotion et la concentration sont alors intenses, et combien ces citoyens se sentent requis pour une cause supérieure.
Voici ce texte : « Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X…, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions. » Chaque juré répondra en levant la main : « Je le jure. »