Et si nous entrions dans la politique et la psychologie du roi malheureux ?
Confronté au blocage de l’Ancien Régime, Louis XVI engagea des réformes de grande ampleur pour moderniser la monarchie. Mais la résistance de l’aristocratie attachée à ses privilèges fit échouer la révolution royale.
Ce mardi 10 mai 1774, à trois heures et quart de l’après-midi, à Versailles, Louis XV mourut. Se ruant aussitôt dans l’appartement du Dauphin Louis-Auguste et de la Dauphine Marie-Antoinette pour acclamer ses nouveaux maîtres, la foule des courtisans les trouva à genoux, défaits et priant: «Mon Dieu, protégez-nous, nous régnons trop jeunes!» Ils avaient 19 et 18 ans…
De son défunt gouverneur, le dévot duc de La Vauguyon, le jeune roi avait reçu une éducation certes ouverte aux humanités classiques (latin, histoire, géographie, droit) ainsi qu’aux disciplines scientifiques (mathématiques, physique), mais entachée d’un moralisme niais et déconcertant. Confondant morale et politique, le larmoyant mentor lui avait enseigné par exemple que la Providence ne dispensait qu’aux rois vertueux la gloire, les succès militaires et la prospérité de leurs peuples. La formation du nouveau roi comportait par ailleurs de graves lacunes, laissant de côté les finances, l’art de la guerre, les affaires étrangères… A ce jeune garçon de haute taille, sans grâce naturelle, pieux, modeste, rongé de timidité, secret, au caractère introverti, difficile à saisir («deux boules de billard huilées que l’on s’efforcerait de tenir ensemble», disait son frère Provence, le futur Louis XVIII), on avait omis d’apprendre à se bien tenir, à saluer, à paraître avec aisance à la Cour.
Louis pourtant n’avait rien du benêt ou du médiocre qu’on s’est plu à dépeindre. Outre la chasse, dont il raffolait, il aimait sans doute les distractions peu intellectuelles, jouer au maçon ou au serrurier. Il se passionnait néanmoins pour l’horlogerie, la cartographie, la marine, les progrès techniques et les dernières découvertes scientifiques… Orphelin de père et de mère, rencogné dans sa solitude, conscient de l’éducation incomplète et en partie sclérosée qu’on lui avait inculquée, il avait de son côté beaucoup lu, médité, se préparant avec sérieux à son rôle de futur roi. Ainsi s’était-il perfectionné seul en anglais, lisant les Posts, s’intéressant tout particulièrement aux débats politiques d’outre-Manche.
En montant sur le trône, le jeune prince n’arrivait donc pas totalement désarmé. Sous l’influence de sa tante Mme Adélaïde, il prit pour principal conseiller le vieux comte de Maurepas, ancien ministre de Louis XV, disgracié vingt-cinq ans plus tôt. Cet homme affable et fort habile, un tantinet décrépit, revenait à la Cour avec un désir de revanche et des idées bien arrêtées: renvoyer l’efficace triumvirat mis en place par Louis XV – le chancelier Maupeou, l’abbé Terray, contrôleur général des Finances, le duc d’Aiguillon, ministre des Affaires étrangères -, et rappeler les anciens parlements qui, dans son esprit, faisaient corps avec la monarchie traditionnelle.
La grande crise du pouvoir monarchique remontait aux dernières années du règne de Louis XV. A la fin de 1770 en effet, le roi avait décidé de renvoyer le duc de Choiseul, trop favorable à la réaction nobiliaire, et de supprimer les parlements, dont le tout-puissant parlement de Paris, en tant que corps politique. Ces parlements, qui incarnaient la résistance aristocratique par excellence, n’avaient cessé tout au long du règne de s’opposer à l’action réformatrice du pouvoir royal, usant et abusant de leur droit de remontrance et usurpant une partie du pouvoir législatif en s’opposant à l’enregistrement des édits royaux. La réforme visait à créer des institutions plus modernes qui s’en tiennent à leurs seules compétences judiciaires, à supprimer la vénalité des offices, et à promouvoir la gratuité de la justice. Tel avait été le «coup de majesté» mené par l’énergique Maupeou.
Réussi sur le plan technique, ce coup avait contribué à la formation d’un vaste courant d’opposition hétérogène, un «Parti patriote», hostile à la modernisation de l’Etat et au «despotisme royal», qui allait du haut clergé (entièrement constitué de nobles) et de l’aristocratie d’épée aux franges de la petite bourgeoisie et de l’artisanat des villes, en passant par la noblesse de robe ou de finance et la bourgeoisie industrieuse. Ce front, disparate et multiforme, aux intérêts divergents, s’appuyait sur une puissance nouvelle, redoutable et dévastatrice, l’opinion publique, et sur le mouvement ambivalent des Lumières. Pour beaucoup, en effet, l’aspiration à la liberté se mêlait à la nostalgie des libertés au pluriel, c’est-à-dire des privilèges et des franchises. On était à la fois libéral et rétrograde, progressiste et réactionnaire. En montant sur le trône, le jeune Louis XVI avait hérité de cette situation politique dangereuse, qui laissait peu de relais au gouvernement au sein d’une société travaillée par les «idées nouvelles».
Le roi, qui avait approuvé la révolution royale de son grand-père, n’entendait nullement se séparer du chancelier ni faire revenir les indociles magistrats exilés. Mais Maurepas sut le circonvenir si habilement que les derniers ministres de Louis XV furent remerciés le 24 août 1774 et que le Parlement revint en triomphe au Palais de justice le 12 novembre, acclamé par la populace. Ce fut la première grande erreur du règne, car cette décision relevait de ses ruines une force d’opposition arrogante et rétrograde, enivrée d’un esprit de revanche, prête à contrecarrer systématiquement les efforts de rénovation de la vieille monarchie française.
Des réformes nécessairesUn des hommes nouveaux qui accédaient au ministère, Anne Robert Jacques Turgot, économiste, physiocrate, ancien intendant du Limousin, convainquit le monarque de la nécessité d’entreprendre de profondes réformes. Pour remettre de l’ordre dans les finances, sans banqueroute ni taxes nouvelles, le nouveau contrôleur général tailla dans les dépenses inutiles et accrut la rentabilité des biens de la Couronne ; sur le plan économique, il instaura la liberté partielle du commerce des grains, entravée jusque-là par une réglementation tatillonne et l’existence de douanes d’une province à l’autre. Malheureusement, la récolte de l’année ayant été mauvaise, des révoltes populaires éclatèrent en Ile-de-France, en Champagne et en Bourgogne. Telle fut la «guerre des Farines» que Louis XVI, qui n’avait pas encore versé dans le pacifisme tolstoïen, n’hésita pas à réprimer avec fermeté.
En janvier 1776, Turgot, toujours avec l’appui du souverain, voulut remplacer la corvée en nature, cette obligation de réparer les routes qui pesait exclusivement sur les paysans, par une contribution généralisée et abolir, au nom de la liberté du travail, les jurandes et maîtrises, souvent sclérosées, qui faisaient obstacle à l’innovation économique, ainsi que toute espèce d’association entre maîtres, compagnons ou apprentis. A cette époque, nul n’entrevoyait les conséquences pernicieuses de ces dernières mesures sur le sort des ouvriers et artisans.
C’était sans compter sur le parlement de Paris qui prit feu et flamme contre ces édits et refusa de les enregistrer. Les magistrats, membres de la haute noblesse de robe, tous propriétaires de leurs charges, agitèrent, à propos de l’impôt de substitution de la corvée, la vieille division trifonctionnelle de la société: le prêtre devait au roi ses prières, le noble, son sang, et l’homme du commun, son argent. Il revenait par conséquent à ce dernier et uniquement à lui de payer la nouvelle taxe! Une telle distinction des rangs était d’évidence un archaïsme largement dépassé par l’évolution de la société depuis deux siècles, l’émergence de la noblesse de robe (qui ne payait pas l’impôt du sang), la multiplication des anoblissements, la poussée du monde des officiers (titulaires de charges administratives de police ou de judicature) et de la bourgeoisie industrieuse et commerçante.
Louis, irrité de voir renaître l’agitation des cours souveraines, imposa le 12 mars l’enregistrement des édits au cours d’un lit de justice qui se tint au château de Versailles. Enhardi, Turgot rêva de réformer la fiscalité en instituant un impôt direct proportionnel aux revenus des propriétaires, de supprimer les fermiers généraux, de moderniser les procédures de la comptabilité publique et de créer dans le royaume un réseau d’assemblées municipales et provinciales, élues par les propriétaires. Esprit ouvert, le jeune roi n’était pas hostile à ces idées, mais il ne voulait pas de Premier ministre. Souffrant des aspérités de caractère de son contrôleur général, dogmatique et sentencieux, il le contraignit à la démission le 12 mai.
Vers une monarchie administrativeL’arrivée quelques mois plus tard à la tête des finances du banquier genevois Jacques Necker, sur le conseil de Maurepas, marqua un changement dans le rythme des réformes. Empirique, conservateur, prudent, celui-ci se garda de heurter de front la haute aristocratie et le Parlement. Il se contenta de faire des économies. Le gaspillage à la Cour était effrayant. Il supprima de nombreuses charges qui faisaient double voire triple emploi, mit de l’ordre dans la distribution des pensions et gratifications, rénova en l’épurant l’administration des finances, s’occupa de l’Hôpital général et des prisons, pour lesquelles il imposa des mesures humanitaires, supprima la «question préparatoire», c’est-à-dire la torture au cours de l’instruction. Louis XVI se montra ouvert à cette nouvelle orientation. Il appuya les initiatives de son directeur des finances.
Un des grands moments du règne fut la guerre contre l’Angleterre qui éclata en juillet 1778 en raison du soutien, d’abord timide puis affirmé, de la France aux insurgents d’Amérique. Louis XVI et son ministre des Affaires étrangères Vergennes avaient soigneusement préparé cette revanche en développant, avec le concours d’Antoine de Sartine, secrétaire d’Etat, une puissante marine de guerre. D’où l’expédition du comte de Rochambeau, l’exploit naval de l’amiral de Grasse en baie de Chesapeake et la victoire de Yorktown, à laquelle contribua le marquis de La Fayette. Les traités de Paris et de Versailles (septembre 1783) replacèrent le royaume au premier rang des puissances continentales.
Malheureusement, Necker avait commis une grave erreur. Pour se procurer des fonds à bon compte, il avait misé sur une indolore mais dangereuse politique d’emprunt qui allait creuser rapidement le déficit. Alors que l’opinion, ardemment nationaliste et anti-anglaise, aurait sans doute accepté sans renâcler un accroissement exceptionnel de la fiscalité directe, elle comprit mal pourquoi, une fois la victoire acquise et la paix revenue, il fallut augmenter les impôts.
Entre-temps, Necker crut triompher en publiant en février 1781 un Compte rendu au roi qui dévoilait tous les secrets budgétaires et affichait un surprenant – et douteux – excédent de 10 millions de livres. Il fit une sorte de chantage au roi, exigeant d’accéder à son Conseil, où il savait que Maurepas, ministre d’Etat, et Vergennes, ministre des Affaires étrangères, ne cessaient de l’attaquer. Louis XVI, à la fois influençable et opiniâtre, qui refusait toute tutelle, lui opposa une fin de non-recevoir et le contraignit au départ.
Il n’en continua pas moins la politique de réformes. Le «plan d’amélioration des finances» que le contrôleur général Charles Alexandre de Calonne lui proposa le 26 août 1786 visait à résorber le déséquilibre budgétaire et à rénover la monarchie et l’Etat sur des bases assainies: on établirait la liberté totale du commerce des grains, on supprimerait les barrières d’octroi entre provinces, on diminuerait les différents tarifs de la gabelle, on créerait une banque d’Etat ainsi qu’un réseau d’assemblées de propriétaires à trois niveaux – municipalités, districts, provinces -, chargées d’aider l’intendant dans la perception des impôts directs. Ces assemblées seraient élues sans aucune distinction d’ordre ni de classe. Enfin, pièce maîtresse de l’ensemble, on instaurerait un impôt de quotité, proportionnel aux revenus de chacun. Cet impôt permanent, appelé subvention territoriale, serait payable en nature (de façon à ne pas désorganiser l’économie rurale qui n’était que partiellement monétarisée) et frapperait tous les revenus fonciers, quelle que soit la qualité de leurs propriétaires, ecclésiastiques, nobles ou roturiers. Même les terres du domaine royal y seraient soumises. Le plan Calonne débouchait sur une véritable révolution royale visant à édifier une authentique monarchie administrative, rationalisant l’Etat, desserrant l’étau des ordres privilégiés et restaurant le pouvoir central dans toute sa puissance.
Ce plan, naturellement, s’attaquait de front à des intérêts et des positions acquises considérables, ceux de la haute aristocratie et de l’Eglise de France, qui payaient peu ou pas d’impôt. Calonne pensa que le meilleur moyen d’obtenir le consentement du Parlement était de réunir au préalable une assemblée des notables, comme l’avaient fait en leur temps Henri IV et Louis XIII. Devant le consensus des élites, laïques ou religieuses, ce corps rétrograde ne pouvait que s’incliner.
La fronde aristocratique et nobiliaireLes vues novatrices du contrôleur général enthousiasmèrent le roi. Le 29 décembre, passant outre aux vives réticences de son Conseil, il annonça la convocation d’une telle assemblée. Pour la première fois, il s’investissait personnellement en politique intérieure, comme il ne l’avait jamais fait, même au temps de Turgot. «Je n’ai pas dormi de la nuit, avoua-t-il à Calonne, mais c’est de plaisir.»
Composée de cent quarante-quatre membres choisis par le roi et Calonne, l’assemblée, qui se réunit le 22 février 1787 à Versailles, à l’hôtel des Menus Plaisirs, avenue de Paris, comprenait outre les deux Fils de France, frères du roi, les comtes de Provence et d’Artois, les princes du sang, des membres du haut clergé, de l’aristocratie d’épée et de la noblesse de robe ainsi que des représentants des cours souveraines et des municipalités. Optimiste de nature, le contrôleur général pensait que ces gens seraient sensibles au langage de la raison et que, moyennant quelques sacrifices financiers, ils sauraient renoncer à leurs intérêts et à leurs égoïsmes de caste.
Quelle erreur! Très vite, il se heurta à une vigoureuse fronde aristocratique et nobiliaire, menée par le clan de Monsieur, frère du roi, celui du duc d’Orléans, les amis de Necker (qui ne rêvait que de revenir aux affaires) et les membres du clergé derrière Mgr de Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse. La subvention territoriale, cet impôt égalitaire sur les revenus fonciers, était pour eux inacceptable. D’ailleurs, clamaient-ils, c’était aux états généraux de se prononcer sur le principe d’un impôt perpétuel. Dans l’esprit des opposants, cet antique monument, hérité des temps médiévaux, avec sa paralysante représentation de la nation en trois ordres bien séparés, clergé, noblesse et tiers état, votant par ordre, était le meilleur moyen de paralyser toute réforme. Simple organe consultatif, ayant à plusieurs reprises dans le passé tenté de partager la souveraineté législative avec le pouvoir royal, ces états généraux n’avaient pas été convoqués depuis 1614.
Calonne chercha un accommodement raisonnable avec les principaux meneurs, mais il dut faire face à la mauvaise volonté générale, aux attaques grossières, aux bottes captieuses, y compris des prélats, tous grands seigneurs attachés aux privilèges aristocratiques, qui en aucun cas n’admettaient la «compression des rangs». Le débat avait gagné l’opinion éclairée. Les salons du faubourg Saint-Germain étaient pris d’une fièvre nouvelle. Au Palais-Royal, les clubs à l’anglaise discutaient de la subvention territoriale entre deux parties de whist, concentrant leurs attaques sur Calonne.
Le monarque et le contrôleur général imaginèrent une parade: en appeler aux humbles contre la trahison des élites, renouer l’alliance médiévale du roi et du peuple contre les baronnies et les féodalités. Les mémoires présentés aux notables furent largement diffusés, précédés d’un Avertissement pointant du doigt l’égoïsme des privilégiés. L’appel tomba à plat. L’opinion publique, toujours subjuguée par le Parti patriote, ne voyait que despotisme dans le pouvoir royal. On tenait Calonne pour un coquin malhonnête. Louis qui désirait tant le bonheur de son peuple, son épanouissement, avait donc échoué. La pression autour de lui fut telle, y compris de la part de la reine, qu’il dut se résigner à renvoyer Calonne et à faire appel à Mgr de Loménie de Brienne, chef de l’opposition. Il s’était fait imposer par la force un gouvernement dont il ne voulait pas. Amer, découragé, perdant toute confiance en lui, il vécut l’échec de sa révolution comme un drame. Il sombra alors dans une profonde dépression, frappé de dégoût et d’une insurmontable aboulie le rendant incapable de s’arrêter à une décision et de s’y tenir.
Il n’aimait pas cet archevêque, se méfiait de sa politique. Il le soutint pourtant lorsque celui-ci fit des réformes humanitaires, avec l’aide de Malesherbes, admis au Conseil. C’est ainsi que par l’édit de tolérance du 17 novembre 1787 fut défini un statut pour les protestants du royaume, qui n’avaient aucun droit, pas même un état civil, depuis la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV. «Monsieur de Malesherbes, dit le roi, vous vous êtes fait protestant, moi je vous fais juif ; occupez-vous d’eux.» Des mesures furent donc prises en leur faveur: construction de synagogues à Nancy et Lunéville, statut particulier pour les juifs d’Alsace, ouverture d’un cimetière particulier à Paris…
Cependant, Loménie de Brienne, qui avait déclenché la crise en empêchant la révolution royale de s’accomplir, mais qui se trouvait désormais aux prises avec ses anciens amis, dut affronter le Parlement. Il fut à son tour emporté par la vague de réaction nobiliaire.
La révolution manquée de Louis XVAu printemps de 1788, la société dans son ensemble semblait en état de révolte ouverte. Le pays était menacé d’implosion. Les difficultés financières s’aggravant dangereusement, l’Eglise de France, sollicitée, refusa d’accroître, même à titre provisoire, sa contribution financière (le «don gratuit»). Ne pouvant éviter la banqueroute, l’Etat royal se résigna à convoquer les états généraux…
Ceux-ci se réunirent le 5 mai 1789. Les députés du tiers état voulaient bien aider le monarque à lutter contre l’aristocratie. Bailly, le représentant du tiers, insista pour être reçu par lui. En mai et au début de juin, peut-être était-il encore possible pour Louis XVI de prendre la tête d’une vraie réforme des institutions et de réussir sa révolution. Encore eût-il fallu venir devant les états généraux avec un plan. Malheureusement, Necker, revenu aux affaires, était hostile à cette politique énergique. Quant au roi, déprimé, isolé au milieu d’une cour conservatrice, il venait de subir, avec sa femme, un drame: la perte du Dauphin, mort de tuberculose le 4 juin. Il aimait le peuple et aurait pu s’entendre avec lui, mais il n’avait pas su lui parler.
Le 17 juin, les états généraux se proclamèrent Assemblée nationale et, au nom des idées rousseauistes, accaparèrent la plénitude de la souveraineté. «Ce décret, dira Mme de Staël, était la Révolution même.» Le 20, les membres de la nouvelle assemblée prononcèrent le fameux serment du Jeu de paume, jurant de ne pas se séparer tant qu’une constitution du royaume n’aurait pas été écrite.
C’était un coup d’Etat, au regard du droit et des institutions monarchiques. Au nom de la souveraineté nationale, le tiers s’emparait du pouvoir constituant, tel que l’avait défini Sieyès dans sa fameuse brochure Qu’est-ce que le tiers état? dépouillant ainsi le roi de sa propre souveraineté. A partir de cet événement fondateur, qui voyait un immense déplacement de pouvoir, c’était tout l’Ancien Régime, à la fois la société d’ordres et l’édifice séculaire du mystère capétien, auréolé du sacre de Reims, qui était mis à bas.
La fin de la monarchie suivra trois ans plus tard. Une chance sans doute avait été gâchée avec le roi le plus réformiste des Bourbons, dont les projets auraient pu éviter la Révolution, les larmes et le sang versé. Pourtant il avait tout essayé: l’absolutisme éclairé avec Turgot, le libéralisme aristocratique avec Necker, la monarchie administrative rénovée avec Calonne. Constamment, il s’était heurté à une société bloquée, crispée sur ses droits, qui ne songeait qu’à se débarrasser de lui et de son prétendu despotisme. Lucide quant aux causes du mal, Chateaubriand l’avouera avec amertume: «Les plus grands coups portés à l’antique constitution de l’Etat le furent par des gentilshommes. Les patriciens commencèrent la Révolution…»
Louis XVI est un roi méconnu, mal jugé par l’histoire parce qu’il s’est trouvé dans le camp des perdants, victime d’une Révolution dont il aurait pu prendre la tête, mais qui échappa à tous. S’il était mort en 1788 ou même en 1789 lors de l’ouverture des états généraux, lorsque sa popularité était encore intacte, nul doute qu’il aurait laissé une image radicalement différente de celle qui traîne dans les manuels scolaires ou universitaires. On aurait gardé de lui le souvenir d’un bon roi, d’un nouvel Henri IV, intelligent et cultivé, d’un grand souverain scientifique ouvert aux temps nouveaux et attaché au bonheur de ses sujets.
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