Après leurs exécutions en 1793, les souverains français font figure de martyrs et les monarchistes s'arrachent leurs objets intimes… même faux.
Par Marc Fourny
La mort de Louis XVI et Marie-Antoinette, en 1793, donna rapidement lieu à un culte particulièrement vivace, comme le rapporte Charles-Éloi Vial dans le livre qu'il consacre à leur captivité dans la prison du Temple*. « Les témoins ne demandaient qu'à écrire, souligne l'historien dans son ouvrage. Les objets ayant appartenu aux martyrs royaux avaient été en grande partie sauvés, et tout un public, qu'il soit royaliste ou simplement compatissant au malheur, en France comme à l'étranger, ne demandait qu'à s'émouvoir. »
Les premiers souvenirs sont récupérés par Jean-Baptiste Cléry, fidèle valet de chambre des monarques, au point d'accompagner Louis XVI dans sa captivité au Temple. Quelques heures seulement après l'exécution de son maître, il parvient à mettre de côté plusieurs objets personnels, notamment du linge, dans le but de les remettre un jour aux frères du roi. Fin janvier 1793, Marie-Antoinette complète le tout en lui confiant des chemises, un crucifix, un gilet du dauphin, des mèches de cheveux, une tapisserie qu'elle avait réalisée en détention, ainsi qu'un petit couteau…
Mais, très vite, les chefs de la Terreur se soucient d'effacer toute trace qui pourrait se transformer en reliques… En septembre, on prend soin de brûler en public les affaires du roi place de l'Hôtel-de-Ville pour éviter les trafics et le culte du souvenir : redingotes, vestes, pantalons, robes de chambre, tout doit disparaître dans les flammes. Et lorsque la reine est décapitée, en octobre, on n'hésite pas à enfermer un fripier qui avait trempé des souliers dans le sang de la « veuve capet »… La Convention vote dans la foulée la destruction de tous les symboles rappelant l'ancien régime.
Trois ans plus tard, nouveau tour de vis quand le ministre de l'Intérieur envoie un huissier au Temple pour éliminer les dernières hardes de l'ex-reine de France. Mais c'est déjà trop tard : les anciens geôliers ont emporté dans leurs malles bon nombre de souvenirs de la famille royale, juste avant la fermeture définitive de la prison… Et au printemps 1797, l'État décide finalement de vendre aux enchères les affaires de la souveraine qu'on lui avait confisquées à son arrivée à la Conciergerie, à savoir un miroir, des portraits, un portefeuille de maroquin… De quoi finir d'alimenter un trafic juteux autour des souverains défunts. « Dans les décennies qui suivirent, explique l'historien Charles-Éloi Vial, les chaussures, chemises, gants, tabatières, bagues, mèches de cheveux ou mouchoirs trempés dans du sang, tous plus ou surtout moins authentiques, s'échangèrent dans les milieux royalistes avant d'échouer sur les étagères des collectionneurs ou dans les vitrines des musées. »
Cléry participe activement à cet engouement en publiant ses mémoires, truffés d'anecdotes, qui s'arrachent dans l'Europe entière – près d'une cinquantaine d'éditions depuis 1798. Si l'ancien valet ne vendit aucun souvenir, ses descendants alimentèrent en revanche un trafic lucratif auprès des monarchistes. En parallèle, des gravures émouvantes de la famille royale au Temple s'arrachent comme des petits pains. Et à Londres, on se presse devant une maquette de la prison parisienne pour frémir devant tant d'infamie…
La prison du Temple devient vite un lieu de pèlerinage, explique Charles-Éloi Vial. Les habitants du quartier se signent lorsqu'ils longent les murs de la forteresse et certains aristocrates londoniens ou russes obtiennent le droit de visiter les lieux qui ont connu les dernières heures de la monarchie… Napoléon s'agace de ces vestiges politiques : il ordonne la démolition de la prison, vendue à un entrepreneur pour 33 100 francs… qui s'empresse de vendre des billets de visite aux Parisiens, forçant la police à intervenir. En 1811, une grande partie des bâtiments médiévaux est rasée, on croit le symbole définitivement effacé. Mais quand Louis XVIII, frère du roi défunt, revient sur le trône, il s'empresse d'installer là un couvent pour pleurer sur les âmes martyres de la monarchie française… Jusqu'à l'avènement de la Seconde République, en 1848, qui chassa définitivement les religieuses.
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