Le serment obligatoire
Le 26 novembre, Voidel, député de la Moselle,dénonce la formation d'une ligue contre la Constitution civile.
Il propose le serment obligatoire comme le moyen indispensable de régénérer l'église de France.
Le décret est voté, le roi doit le sanctionner le 26 décembre 1790 ayant vainement espéré des concessions de la part du pape :
« Par décret de l'Assemblée nationale, et conformément à la constitution civile du clergé en date du 24 août 179014, tous les ecclésiastiques prêteront le serment exigé un jour de dimanche après la messe, en présence du conseil général de la commune et des fidèles. Ceux qui ne le prêteront pas seront réputés avoir renoncé à leur office et il sera pourvu à leur remplacement »Le serment était le suivant :
« Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse (ou du diocèse) qui m'est confiée, d'être fidèle à la nation, à la loi, au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi. »Le serment obligeait prêtres et évêques à maintenir la nouvelle organisation du clergé15
Pour les 250 officiers écclésiastiques membres de l'assemblée, le serment devait être prêté dans les 8 jours, soit le 4 janvier 1791 au plus tard.
À la suite de l'abbé Grégoire, cent cinq députés prêtent serment à la barre. Enfin, le 4 janvier 1791, malgré la pression des tribunes, quatre seulement jurent.
En tenant compte des rétractations, ce sont 99 députés ecclésiastiques qui prêtent le serment16.
Le 7 janvier, commencèrent les prestation de serment dans les provinces.
Elles furent échelonnés tous les dimanches de janvier et février 1791, à des dates différentes selon les diocèses.
La quasi-totalité des évêques, sauf quatre17 et la moitié des curés refusèrent de prêter serment.
« Je jure de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution. »
Plat commémoratif de la Constitution civile du clergé (1790)
Musée Carnavalet
Réponse officielle du pape Pie VI
Le pape Pie VI fit connaître sa réponse officielle par les brefs Quod aliquantum du 10 mars 1791, et Caritas du 13 avril 1791.
Il demandait aux membres du clergé n'ayant pas encore prêté serment de ne pas le faire, et à ceux qui avaient déjà prêté serment, de se rétracter dans l'espace de quarante jours.
Les élections épiscopales et paroissiales sont déclarées nulles.
Les consécrations d'évêques sacrilèges.
La publication des brefs étant interdite, ceux-ci circulent clandestinement et sont largement connus18.
Malgré les nombreuses rétractations de prêtres assermentés, au sein de l'Église de France, une situation de schisme divise le clergé en prêtres constitutionnels, désignés comme intrus et prêtres insermentés, désignés comme réfractaires.
La rupture entre la Révolution et l'Église catholique semble inévitable19.
Par souci d'apaisement, et en application de la liberté religieuse affirmée par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, sur proposition de Talleyrand et Sieyès, l'assemblée constituante vote le 7 mai 1791 un décret qui donne le droit aux prêtres insermentés de célébrer la messe dans les églises constitutionnelles.
Les catholiques qui refusent la nouvelle église ont la possibilité de louer des édifices pour le culte20.
Assermentés et insermentés
- Insermentés : ce sont les prêtres qui refusèrent de prêter serment à la Constitution civile du clergé. La quasi-totalité des évêques (sauf cinq) et une grosse moitié des curés furent des prêtres réfractaires.
- Assermentés : ce sont les prêtres qui prêtèrent serment de fidélité à la Constitution civile du clergé. Ils furent aussi appelés « jureurs », et plus communément, « intrus ». Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, Henri Grégoire,Yves Marie Audrein furent les premiers à appartenir au clergé constitutionnel. Le premier évêque constitutionnel fut Louis-Alexandre Expilly de La Poipe, recteur (curé) de Saint-Martin-des-Champs près de Morlaix, élu député du clergé en août 1788, et qui présida ensuite à l'Assemblée constituante la commission qui a promulgué la constitution civile du clergé. Il fut sacré évêque de Quimper à Paris par Talleyrand, lui-même évêque, en 1790, avant d'être finalement guillotiné le 22 mai 1794.
Typologies des prestations de serment
Avec l'historien Jean de Viguerie21, on peut distinguer six manières de prêter le serment :
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[*]le serment prêté purement et simplement
[*]le serment d'abord refusé est prêté
[*]le serment prêté avec restriction ou avec rétractation partielle, ainsi Bernard Bellegarrigue, curé de Born en Haute-Garonne, jure le 13 mars 1791 en précisant « D'après l'instruction de l'Assemblée Nationale qu'elle n'entend porter aucune atteinte à la religion catholique, apostolique et romaine22 »
[*]le serment est prêté puis entièrement rétracté
[*]le refus avec explication, souvent fondé sur l'argument de l'impossibilité en conscience
[*]le refus pur et simple
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En fonction de la position hiérarchique
L'historien américain Timothy Tackett note que la proportion de réfractaires était très supérieure dans le haut clergé (évêques) que dans le bas clergé (prêtres et vicaires)
Il note que les vicaires étaient statistiquement davantage réfractaires que les curés.
En fonction de la géographie
En général, les régions périphériques ont été davantage réfractaires.
Cela pourrait tenir aux différences culturelles, aux langues régionales encore très présentes ; en Bretagne avec 20 % de jureurs23, en Alsace (8 % de jureurs dans le Bas-Rhin)
On peut y adjoindre le Nord, la Lorraine, le Languedoc et l'Auvergne.
Une certaine méfiance envers les décisions de la capitale a pu aussi être une explication.
La diffusion des idées des Lumières est certainement aussi un des facteurs de motivation pour prêter ou non serment.
La présence d'un nombreux clergé gallican et/ou janséniste dans le Bassin Parisien est, pour certains historiens, une des raisons pour lesquelles le serment y a eu beaucoup de succès (90 % de jureurs dans le Loiret)
Les autres régions à majorité de jureurs sont la Bourgogne, la Provence (96 % de jureurs dans le Var24) et les régions littorales du Sud-Ouest.
Au total, au niveau national, en tenant compte des rétractations intervenues après les brefs pontificaux on atteindrait une proportion de 47 % à 48 % de jureurs25.
Élection du nouveau clergé
Pour remplacer les prêtres réfractaires, il fallut élire de nouveaux prêtres : 80 évêques furent élus et environ 20 000 prêtres furent remplacés.
L'abbé Grégoire, curé et député, qui avait participé à la rédaction du projet de constitution civile du clergé, fut élu évêque constitutionnel du Loir-et-Cher, et devint de fait le chef de l'Église constitutionnelle de France.