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 Postérité et civisme révolutionnaire

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Chakton

Chakton


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Date d'inscription : 22/10/2017

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MessageSujet: Postérité et civisme révolutionnaire   Postérité et civisme révolutionnaire Icon_minitimeJeu 29 Nov - 10:31

Je suis en accord total avec ce qui suit. tongue

S’insurger consiste à remettre l’avenir et le jugement que porteront sur nous les générations futures au centre de nos préoccupations.


Le sociologue américain, Mike Davis, il y a déjà une petite dizaine d’années, affirmait qu’aucune analogie historique n’était évidente à mobiliser pour faire face à l’urgence de la question du changement climatique. Et il ajoutait que tous les scénarios pouvaient être projetés sur l’étrange scène du futur de nos petits-enfants, de l’effondrement des civilisations, à l’émergence d’un nouvel âge d’or grâce à l’énergie offerte par la fusion nucléaire. Certes des scientifiques de haut vol continuent de travailler sur cette fusion, mais le désastre nous habite. Notre postérité devient difficile à imaginer, et parfois nous sommes pris de vertige. Les chansons des années 70 qui affirmaient que l’éternité n’était plus en siècles mais en jours sont plus difficiles à fredonner (1). Le chaînage des générations prend une drôle d’allure quand la question «trouveront-ils encore des pommes ?» dispose de réserves empiriques solides pour que la réponse soit non… pas d’abeilles, pas de pommes.

Mais d’un autre côté, Mike Davis voulait inciter à un volontarisme révolutionnaire, capable de penser au-delà du capitalisme néolibéral, de nouvelles formes d’action, de vie, des utopies pour sauver la planète et la vie humaine. Bref, il incitait à imaginer, penser et agir au nom de la postérité. De fait, aujourd’hui, tenter d’agir selon un scénario qui infléchisse le devenir annoncé, c’est sans doute déjà être révolutionnaire !

Devenir révolutionnaire consisterait donc à remettre la postérité au centre de nos préoccupations. Celle-ci occupait d’ailleurs une place fondamentale dans les discours de la Révolution française. L’image de la postérité oscillait alors entre celle d’une figure surplombante qui viendrait juger la Révolution après coup, celle d’une figure qui agirait désormais conformément aux idéaux révolutionnaires et celle d’une figure passive et immanente sur laquelle les bienfaits de la Révolution allaient se répandre. Trois émotions différentes. Faisons-le bien pour ne pas nous sentir coupables, faisons-le bien pour offrir des modèles d’action bénéfiques à imiter, faisons-le bien pour jouir du bonheur d’un monde meilleur offert à la postérité. Ces moteurs émotionnels sont alors actifs pour des causes qui peuvent paraître désespérées, impossibles à atteindre. Ainsi peut-on lire dans le cahier de doléances de Champagney en Franche-Comté : «Les habitants et communauté de Champagney […] craignent avec raison que les générations futures, plus éclairées et plus philosophes, n’accusent les Français de ce siècle d’avoir été anthropophages, ce qui contraste avec le nom français, et plus encore celui de chrétien […]. Ils ne peuvent se persuader qu’on puisse faire usage des productions des dites colonies si l’on faisait réflexion qu’elles ont été arrosées du sang de leurs semblables.» La postérité qui juge et qui condamne l’histoire oblige ainsi, dès 1789, les acteurs révolutionnaires à prendre les mesures adéquates pour la satisfaire. L’abolition de l’esclavage est une nécessité pour sauver son nom, son honneur, son humanité. Il faudra six ans cependant pour atteindre l’objectif. Rien ne s’obtient sans conflit.

Lorsque le 20 juin 1790, une Société du serment du Jeu de paume fondée par Gilbert Romme commémore ce serment salvateur, les générations futures ont la figure de ceux qui auront de nouvelles mœurs, car on ne doute pas alors qu’elles pourront s’installer. Les générations futures incarnent alors l’évidence de la Révolution réussie. Lors de cette première cérémonie, le «Jeu de paume» de Versailles a été investi comme un temple, une inscription portant l’énoncé du serment a été scellée sur les murs du bâtiment, et un orateur a déclaré : «Nos enfants iront un jour en pèlerinage à ce temple comme les musulmans vont à La Mecque. Il inspirera à nos derniers neveux le même respect que le temple élevé par les Romains à la piété filiale.» Cette transmission filiale et civile est fantasmée et effectuée partout en France autour des autels de la patrie où est souvent gravée la Déclaration des droits. Ils ont été construits grâce à l’ardeur patriotique des villageois, de souscriptions publiques et de donateurs vertueux. C’est alors que la place devient le lieu sacré du politique, digne des réunions pétitionnaires, des fêtes, mais aussi fondamentalement de ces rituels familiaux et civiques qui associent le devenir de la patrie et le devenir des enfants.

Aujourd’hui, la planète oblige à quelques devoirs civiques, mais ces derniers sont immédiatement contredits par l’implantation de nouvelles centrales au charbon. Une seule centrale équivaut à l’émission en carbone d’un million de voitures. Le court-termisme néolibéral nie ainsi la réalité du futur. La liberté s’incarnait lors de la Révolution dans la plantation d’arbres de la liberté : le petit arbrisseau qu’on plantait pour les générations futures avait réussi à remplacer l’arbre coupé, parfois immense et majestueux. Les «gilets jaunes» en France, comme les insurgés du collectif «Extinction - Rébellion» en Grande-Bretagne, ont réinvesti la postérité. Espérons que nous pourrons bientôt planter de beaux arbrisseaux de la liberté reconquise par des peuples soucieux d’égalité, c’est-à-dire du partage du monde comme bien commun.

(1) Ça sert à quoi, Maxime Le Forestier, 1972.
https://www.liberation.fr/

Juste une remarque en passant : vous avez bien lu, c'est Mike et pas Miles. tongue
ça va, je sors tout seul.

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