Arrêt du parlement de Paris contre les lettres de cachet
Fin 1787, l’agitation grandit en province parmi les parlements et nombre d’entre eux se mirent en état d’hostilité manifeste avec le gouvernement
Pendant les deux derniers mois de 1787, l’agitation grandit en province parmi les parlements et nombre d’entre eux se mirent, comme celui de Paris, en état d’hostilité manifeste avec le gouvernement, l’opposition prenant de l’ampleur avec le recours de Louis XVI aux lettres de cachet
Le 19 novembre 1787, le roi, accompagné des princes ses frères, vint à Paris, tint au parlement un lit de justice et y porta deux édits dont l’un avait pour objet un emprunt successif pendant cinq ans ; par l’autre on restituait aux non catholiques leurs droits civils dont la révocation de l’édit de Nantes les avait dépouillés.
Le roi voulut que ces deux édits fussent délibérés en sa présence : la discussion s’engagea ; mais le Garde des Sceaux s’opposa à ce qu’on comptât les suffrages, disant que partout où se trouvait le roi on ne pouvait avoir que voix consultative, et demanda que l’édit de l’emprunt fût enregistré. Cet incident causa beaucoup de rumeur ; on protesta contre la séance qu’on qualifia d’illégale ; le roi se retira ; le parlement resta en séance, et, par un arrêté, déclara ne prendre aucune part à la transcription de l’édit d’emprunt ordonnée et faite sur ses registres.
Le ministre, piqué de cette opposition, eut recours à la ressource ordinaire des lettres de cachet : il ordonna l’enlèvement des conseillers Sabatiers et Freteau, et les envoya prisonniers, le premier au Mont-Saint-Michel, le second au château de Dourlens, et fit de plus exiler le duc d’Orléans à Villers-Cotterêts. Le parlement demanda la liberté de ces deux membres et réclama contre l’exil illégal du prince. Mais le roi refusa, et la guerre entre les ministres et les parlements fut de nouveau allumée.
On se combattit à coups d’arrêts, à coups d’arrêtés ; le parlement contesta au roi le droit d’user de lettres de cachet : ces discussions, que le public partageait avec ferveur, durèrent jusqu’à la fin de l’année. Fin décembre 1787, le parlement de Bretagne envoyait des remontrances au roi au nom de la solidarité de tous les parlements pour se plaindre de l’exil du duc d’Orléans et de l’emprisonnement de deux conseillers du parlement de Paris. Le parlement de Grenoble se plaignait de ce que l’intendant de la province faisait publier les règlements relatifs à la police, à l’organisation et aux fonctions de l’assemblée provinciale.
Le parlement de Bordeaux s’élevait également contre ces assemblées et soutenait qu’elles ne pouvaient être régulièrement organisées que par les États Généraux ; il demandait à quitter Libourne et refusait d’enregistrer l’édit des assemblées provinciales. Le parlement de Rouen préparait des remontrances sur l’édit de prorogation du second vingtième. Le désordre était tel qu’on en arriva à publier un faux arrêt du parlement de Bordeaux par lequel celui-ci décidait, sans attendre les ordres du roi, qu’il allait quitter Libourne et reprendre ses audiences à Bordeaux.
Le parlement de Navarre, allié à ceux de Paris et de Bordeaux, adressait au roi des remontrances pour se plaindre de la translation du parlement de Bordeaux à Libourne, de l’exil du duc d’Orléans et de l’enlèvement de deux conseillers du parlement de Paris. Le garde des sceaux répondit au parlement de Navarre que le roi avait examiné ses remontrances, mais qu’il n’y répondrait pas, chaque parlement ne devant s’occuper que des affaires de son ressort. Loin de se soumettre, le parlement de Navarre envoya de nouvelles remontrances le 28 janvier suivant.
C’était bien une coalition qui s’était formée entre les parlements contre le gouvernement. Le 4 janvier 1788, le parlement de Paris rendit un arrêt contre les lettres de cachet, déclara illégale, nulle, contraire au droit public et au droit naturel, l’arrestation des deux conseillers, réclama leur rappel et demanda encore une fois la convocation des États Généraux. On en revenait de nouveau au procédé du commencement du règne de Louis XV.
L’arrêt du parlement fut cassé par le Conseil. La cour rendit alors un autre arrêt encore plus violent que le précédent, pour obtenir le rappel du duc d’Orléans et la mise en liberté des deux magistrats : « Nous serions, disait le parlement, désavoués par eux, si nous demandions à Votre Majesté une autre grâce que leur liberté ou leur jugement. On a porté une grande atteinte à la liberté de vos sujets. Votre Majesté ne permet pas qu’on la demande à sa justice mais la bonté qui la remplacerait ne pourrait que blesser leur délicatesse et la nôtre. »
Ce n’étaient plus des remontrances, mais des injures. Le roi le sentit et le dit. « Les expressions de votre arrêt du 4 janvier, déclara-t-il à la députation du parlement, sont aussi indécentes que celles de votre arrêt du 27 août dernier. Je les supprime l’un et l’autre de vos registres comme contraires à la soumission et au respect dont mon parlement doit l’exemple. » Le roi n’hésita pas à affirmer que l’intérêt de l’État exigeait l’existence d’un pouvoir arbitraire sur la liberté des hommes. Le parlement protesta contre ces prétentions par un arrêt qui fut cassé comme les précédents.
Malgré le silence qui lui était imposé, il rendit le 11 avril un nouvel arrêt pour s’insurger au nom de la liberté publique attaquée dans son principe par le despotisme substitué à la loi de l’État. Le roi répondit : « Tout a été légal dans la séance du 19 novembre ; la délibération a été complète parce que toutes les opinions ont été entendues. Les avis n’ont pas été comptés parce que j’étais présent. La pluralité ne doit pas être formée lorsqu’elle ne doit pas prévaloir. Il y a eu arrêt, parce que toutes les fois que je tiens mon parlement pour un objet d’administration ou de législation il n’y a d’arrêt que celui que j’ordonne de prononcer. Si la pluralité dans mes cours forçait ma volonté, la magistrature ne serait plus qu’une aristocratie de magistrats. » Le parlement réplique : « Non, Sire, point d’aristocratie, mais point de despotisme. » La lutte était en effet bien précisée : le parlement demandait une monarchie limitée dans laquelle il aurait occupé une place prépondérante. Le roi s’en tenait à la monarchie absolue.