yann sinclair
Nombre de messages : 26586 Age : 66 Localisation : Versailles Date d'inscription : 10/01/2016
| Sujet: 10 janvier 1715 Mer 9 Jan - 15:54 | |
| Versailles, 10 janvier 1715
Nous avons été hier à la chasse du cerf; le temps n'était pas beau; il y avait un tel brouillard qu'on voyait à peine à quatre pas devant soi; on n'apercevait le cerf et les chiens que comme des ombres, mais ils se conduisirent bien et prirent le cerf dans cinq quarts d'heure.
Avant-hier il est arrivé de grandes nouvelles au sujet de la princesse des Ursins; celle qui a si longtemps gouverné l'Espagne et qui avait été au-devant de la nouvelle reine, dont elle devait être la gquvernante.
Son orgueil l'a perdue : elle avait écrit des lettres contre la jeune reine, à laquelle on les a remises; lorsqu'elle est allée au-devant de la reine, elle n'a descendu que la moitié de l'escalier, elle a critiqué la toilette de la reine, l'a blâmée d'être restée trop longtemps en route, et a dit qu'à la place du roi, elle pourrait bien la renvoyer.
Là-dessus la reine a ordonné à un officier des gardes du corps d'ôter cette folle de sa présence et de l'arrêter; elle a en même temps envoyé un courrier au roi, avec de grandes plaintes au sujet de la dame. Le roi a répondu qu'elle pouvait faire ce qu'elle jugerait à propos. Alors à onze heures du soir la princesse a été mise dans un carrosse avec une seule femme de chambre, des laquais et des gardes, et l'ordre a été donné de la mener de suite en France, ce qui a été effectué
1 Charles-Auguste, comte d'Hoym, ministre plénipotentiaire en France du roi de Pologne, Auguste II.
On a peu de détails sur sa vie, mais son nom est fort connu des bibliophiles.
Il avait réuni une magnifique collection de livres qui fut vendue publiquement, après son décès, en 1738; on les reconnaît à ses armoiries et ils sont fort recherchés des amateurs.
Le Bulletin du bibliophile (Paris, Techener, 1838, p. 151 et 313) contient de curieux détails sur cette bibliothèque célèbre.
1 Voir les Mémoires de Duclos et de Saint-Simon, t. XXII, p. 157 et suiv., ainsi que l'article consacré dans la Biographie universelle (t. XLV1I, p. 218 ) à Anne-Marie de La Trémoille, princesse des Ursins, née en 1659, morte à Rome en 1722. Un critique célèbre, M. Sainte-Beuve, fait de cette femme remarquable l'objet d'une bien intéressante notice ( Causeries du lundi, t. V, p. 319-350) ; il juge avec sagacité « la catastrophe qui laprécipita du pouvoir, et qui est restée un des événements les plus singuliers, les plus dramatiques et les plus inexpliqués de l'histoire. Mme des Ursins retrouva d'ailleurs dans cette chute foudroyante toute sa force, tout son sang-froid, sa modération apparente; on n'entendit de sa bouche ni une plainte, ni un reproche inconvenant, ni une parole de faiblesse »
Je ne puis la plaindre, car elle a toujours persécuté mon fils d'une manière horrible; elle avait persuadé au roi et à la reine, qui est morte, que mon fils voulait les détrôner et qu'il avait conspiré contre leur vie; ce qui est tellement faux que, quoi qu'elle ait pu faire, elle n'a jamais pu justifier le moins du monde ses accusations.
Cela fait que je ne m'afflige guère du malheur qui lui arrive, et c'est bien naturel.
Je m'inquiète de savoir si ce méchant diable viendra ici, car il ne manquera pas de jeter contre mon fils et contre moi tout son poison, dont Dieu veuille nous préserver.
Je vous instruirai de ce qui surviendra de neuf à l'égard de cette vieille dame. Nous avons reçu aussi la triste nouvelle que l'archevêque de Cambrai' est mort depuis quelques jours; il est très-regretté; c'était un grand ami de mon fils.
Le bon maréchal de Chamilly, qui était un trèsbrave homme, est mort il y a deux jours
II y a ici un prince d'Anhalt-Zeits, qui m'a apporté de grands compliments de là part du prince de Galles; mais le roi ne m'a pas fait dire un seul mot; notre duchesse de Hanovre, qui est à Modcne, n'est paâ mieux traitée que moi. Je ne sais d'où provient ce manque d'égard, car si j'étais protestante, il ne pourrait pas être roi, car j'étais plus près de la couronne que lui, et ce n'est que par ma maison et par sa mère qu'il est roi. Je vous prie, ma chère Louise, de bieii remercier, en mon nom, le prince de Galles et de lui dire que je lui suis très-Obligée. Lorsque le roi Guillaume vivait encore et que la princesse Anne n'était que la plus proche héritière du trône, elle m'écrivait, par l'intermédiaire de milord Portland, mais je vois bien que le roi actuel ne veut avoir aucun commercé avec moi, et c'est ce dont il faut se consoler.
Je suis toujours obligée d'écrire tellement à la hâte, que j'oublie la moitié de ce que j'ai à dire. M"c de Molausse est une personne de mérite que j'estime fort, et je suis bien aise qu'elle soit votre amie. Il est tard et j'ai encore trois lettres à écrire ce soir; excusez donc les défauts de celle-ci ; je n'ai le temps ni de la relire ni de la corriger.
1 Fénelon, mort le 7 janvier, à l'âge de soixante-quatre ans. D'après Saint-Simon, t. XXIV, p. 144, il avait empêché Mrae de Maintenon d'être déclarée reine, et ce fut le motif de la haine qu'elle lui apporta. 2 Noël Bouton, marquis de Chamilly, né en 1636, créé maréchal en 1703, mort sans postérité le 8 janvier 1715. SaintSimon en parle, t. XX, p. 133, et le représente comme un gros et grand homme, le meilleur, le plus brave et le plus rempli d'honneur. Dans sa jeunesse il avait servi en Portugal, et c'est à lui que furent adressées les fameuses Lettres portugaises.
_________________ 👑 👑 👑 ⚜ ⚜ |
|