Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, par Pierre-Paul Prud'hon, 1809 (Château de Valençay)Charles-Maurice de Talleyrand-Périgordhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Maurice_de_Talleyrand-P%C3%A9rigord
homme d'État françaisCharles-Maurice de Talleyrand-Périgord, communément nommé TalleyrandN 1, est un homme d'État et diplomate français
né le 2 février 1754 à Paris
mort le 17 mai 1838 à Paris à l'âge de 84 ans
Issu d'une famille de la haute noblesse, souffrant d'un pied bot, il est orienté par sa famille vers la carrière ecclésiastique en vue de lui permettre de succéder à son oncle, l'archevêque de Reims: ordonné prêtre en 1779, il est nommé en 1788 évêque d'Autun. Il renonce à la prêtrise et quitte le clergé pendant la Révolution pour mener une vie laïque.
Talleyrand occupe des postes de pouvoir politique durant la majeure partie de sa vie et sous la plupart des régimes successifs que la France connaît à l'époque : il est notamment agent général du clergé puis député aux États généraux sous l'Ancien Régime, président de l'Assemblée nationale et ambassadeur pendant la Révolution française, ministre des Relations extérieures sous le Directoire, le Consulat puis sous le Premier Empire, président du gouvernement provisoire, ambassadeur, ministre des Affaires étrangères et président du Conseil des ministres sous la Restauration, ambassadeur sous la Monarchie de Juillet. Il assiste aux couronnements de Louis XVI (1775), Napoléon Ier (1804) et Charles X (1825)N 2.
Il intervient fréquemment dans les questions économiques et financières, pour lesquelles son acte le plus fameux est la proposition de nationalisation des biens du clergé. Toutefois, sa renommée provient surtout de sa carrière diplomatique exceptionnelle, dont l'apogée est le congrès de Vienne. Homme des Lumières, libéral convaincu, tant du point de vue politique et institutionnel que social et économique, Talleyrand théorise et cherche à appliquer un « équilibre européen » entre les grandes puissances.
Réputé pour sa conversation, son esprit et son intelligence, il mène une vie entre l'Ancien Régime et le XIXe siècle. Surnommé le « diable boiteux »N 3, et décrit comme un traître cynique plein de vices et de corruption, ou au contraire comme un dirigeant pragmatique et visionnaire, soucieux d'harmonie et de raison, admiré ou détesté par ses contemporains, il suscite de nombreuses études historiques et artistiques.
Le père de Charles-Maurice, Charles-Daniel de Talleyrand-Périgord (1734-1788), chevalier de Saint-Michel en 1776, lieutenant général en 1784, appartient à une branche cadette de la maison de Talleyrand-Périgord, famille de haute noblesse, même si sa filiation avec les comtes de Périgord est contestée2. Il vit à la cour de Versailles, désargenté, avec sa femme née Alexandrine de Damas d'Antigny (1728-1809)N 4,3. Talleyrand a surtout pour oncle Alexandre Angélique de Talleyrand-Périgord (1736-1821), archevêque de Reims, puis cardinal et archevêque de Paris. Il compte parmi ses ancêtres notamment Jean-Baptiste Colbert et Étienne Marcel4.
Né le 2 février 1754N 5 au numéro 4 de la rue Garancière à Paris, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord est baptisé le même jour5.
Avant la parution de ses mémoires, plusieurs versions circulent déjà sur l'enfance de Talleyrand, en particulier sur l'origine de son pied-bot6. Depuis leur divulgation en 1889, ces mémoires sont la source d'informations la plus exploitée sur cette partie de sa vie ; la version donnée par Talleyrand est cependant contestée par une partie des historiens.
Selon la version donnée par ses mémoires, il est immédiatement remis à une nourrice qui le garde quatre ans chez elle dans le faubourg Saint-Jacques, ce qui n'est pas le cas de ses frères. Toujours selon l'intéressé, il serait tombé d'une commode à l'âge de quatre ans, d'où son pied-bot : cette infirmité lui vaut de ne pas pouvoir accéder aux fonctions militaires et d'être destitué de son droit d'aînesse par ses parents qui le destinent alors à une carrière ecclésiastique. Son frère cadet, Archambault, prend sa place (l'aîné des fils étant mort en bas âge).
Selon Franz Blei, dans ses mémoires, Talleyrand « évoque ses parents avec une surprenante antipathie7 »:
« Cet accident a influé sur tout le reste de ma vie; c'est lui qui, ayant persuadé à mes parents que je ne pouvais être militaire, ou du moins l'être sans désavantage, les a portés à me diriger vers une autre profession. Cela leur parut plus favorable à l'avancement de la famille. Car dans les grandes maisons, c'était la famille que l'on aimait, bien plus que les individus, et surtout que les jeunes individus que l'on ne connaissait pas encore. Je n'aime point m'arrêter sur cette idée… je la quitte »— Mémoires de Talleyrand8
Chaussure orthopédique de Talleyrand, conservée au château de ValençayUne partie des biographes, comme Jean Orieux, donnent raison à Talleyrand, qui laisse entendre que ses parents ne l'aimaient pas, ne tolérant pas qu'il fût « simultanément pied bot et Talleyrand9 ». De leur côté, ses deux frères cadets, Archambaud (1762-1838) et Boson (1764-1830), se marient avec de riches héritières de la noblesse de financeN 6,10.
Il séjourne de 1758 à 1761 chez sa bisaïeule et « femme délicieuse », Marie-Françoise de Mortemart de Rochechouart, au château de Chalais, période dont il garde un souvenir ému. Il est ensuite envoyé au collège d'Harcourt (futur lycée Saint-Louis) de 1762 à 1769, puis chez son oncle archevêque, où on l'incite à embrasser la carrière ecclésiastique ; il obtempère11.
Cette version de son enfance est contestée par plusieurs biographes. Si Michel Poniatowski parle d'un pied-bot de naissance, Emmanuel de Waresquiel va plus loin et affirme que Talleyrand souffre d'une maladie héréditaire (un de ses oncles en étant affecté), le syndrome de Marfan12. Toujours selon Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand est devenu prêtre non pas à cause d'un manque d'affection de ses parents, mais de la volonté de le placer dans la succession du richissime et puissant archevêché de Reims promis à son oncleN 7, perspective susceptible de vaincre ses réticences, son âge le plaçant comme le seul en mesure de le faire au sein de sa fratrie13. Ainsi, Talleyrand n'aurait blâmé ses parents que dans le contexte de la rédaction de ses mémoires, où il devait faire apparaître sa prêtrise comme ayant été contrainte14.
C'est ce qui amène Georges Lacour-Gayet à parler d'un « prétendu abandon15 ». Pour Franz Blei, s'il est exact qu'il « n'a pas eu de maison paternelle pleine de sécurité et d'affection », il se montre injuste envers sa mère, qui n'a fait que suivre les usages d'éducation de l'époque, avant la mode de l’Émile de Jean-Jacques Rousseau16 ; ses parents ont aussi des charges très prenantes à la cour.
Carrière ecclésiastiqueConsécration épiscopale le 16 janvier 1789 par Mgr Antoine de Malvin de Montazet
Évêque d'AutunEn 1770, âgé de seize ans, il entre au séminaire Saint-Sulpice, où, selon ses mémoires, il fait preuve de mauvaise humeur et se retranche dans la solitude17.
Le 28 mai 1774, il reçoit les ordres mineurs.
Le 22 septembre, il obtient un baccalauréatN 8 en théologie à la Sorbonne. Sa thèse est acquise grâce à sa naissance plutôt qu'à son travail : elle est rédigée au moins en partie par son directeur de thèse de la Sorbonne, Charles MannayN 9,N 10,18, et il obtient une dispense d'âge qui lui permet de la présenter à 20 ans au lieu des 22 requis19.
À 21 ans, le 1er avril 1775, il reçoit le sous-diaconat en l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, premier ordre majeur, en dépit de ses avertissements:
«On me force à être ecclésiastique, on s'en repentira20 », fait-il savoir. Il bénéficie par la suite d'une dispense du diaconat.
Peu après, le 3 mai, il devient chanoine de la cathédrale de Reims, puis, le 3 octobre, abbé commendataire de Saint-Denis de Reims, ce qui lui assure un revenu confortable21.
Le 11 juin 1775, il assiste au sacre de Louis XVI, auquel participent son oncle comme coadjuteur de l'évêque consécrateur et son père comme otage de la sainte Ampoule22. Cette année-là, en dépit de son jeune âge, il est député du clergé ou second ordre, et surtout promoteur de l'assemblée du clergé23.
Toujours la même année, il s'inscrit à la Sorbonne et y obtient le 2 mars 1778 une licence en théologie24. Le jeune licencié rend visite à Voltaire, qui le bénit devant l'assistance25. La veille de son ordination, Auguste de Choiseul-Gouffier raconte l'avoir découvert prostré et en pleurs. Son ami insiste pour qu'il renonce mais Talleyrand lui répond:
« Non, il est trop tard, il n'y a plus à reculer26 »; cette anecdote serait une invention, d'après Emmanuel de Waresquiel27. Il est ordonné prêtre le lendemain, 18 décembre 1779.
Le surlendemain, il célèbre devant sa famille sa première messe, et son oncle le nomme vicaire général de l'évêché de Reims28.
L'année suivante, au printemps 1780, il devient, toujours grâce à son oncle, agent général du clergé de France, charge qui l'amène à défendre les biens de l'Église face aux besoins d'argent de Louis XVI. Il fait ainsi accepter en 1782 un « don gratuit » au roi de plus de 15 millions de livres pour couper court aux menaces de confiscation venant de la couronne29. Il intervient également dans la crise de la Caisse d'escompte de 178330 et doit gérer la colère du bas-clergé en maniant la carotte et le bâton. Tous ces travaux lui permettent de s'initier à la finance, aux affaires immobilières et à la diplomatie ; il prend connaissance de l'étendue de la richesse du clergé et noue de nombreuses relations parmi les hommes d'influence de l'époque. Élu secrétaire de l'Assemblée générale de 1785-1786, il est félicité par ses pairs à l'occasion de son rapport final31.
Il fréquente et anime les salons libéraux proches des Orléans et noue de nombreuses relations dans ce milieu. Installé rue de Bellechasse, il a pour voisin Mirabeau: les deux hommes se lient d'amitié, de politique et d'affaires. Il est alors proche de Calonne, ministre impopulaire de Louis XVI32; il participe à la négociation du traité de commerce avec la Grande-Bretagne conclu en 178633. Il fait ainsi partie des rédacteurs du plan de Calonne pour réformer complètement les finances du royaume et qui reste à l'état de projet en raison de la crise financière et du départ du ministre34.
Son statut d'ancien agent général du clergé doit en principe le propulser rapidement à l'épiscopat35 alors que croissent ses besoins d'argent36; pourtant, la nomination tarde à venir. L'explication généralement donnée par les historiens est sa vie dissolue, avec son goût pour le jeu, pour le luxe, et ses maîtresses, ce qui indispose Alexandre de Marbeuf, évêque d'Autun et responsable des nominations37, et qui choque Louis XVI. Emmanuel de Waresquiel conteste cette analyse38, expliquant cette attente par la notoriété de ses amitiés orléanistes hostiles au clan de la reine et par la perte d'influence de sa famille39.
Le 2 novembre 1788, il est finalement nommé évêque d'Autun, grâce à la requête que son père mourant a adressée à Louis XVI.
« Cela le corrigera », aurait déclaré le roi en signant la nomination.
Le 3 décembre, il reçoit également le bénéfice de l'abbaye royale de Celles-sur-Belle40.
Il est sacré le 16 janvier 1789 par Mgr de Grimaldi, évêque de Noyon41. Ernest Renan raconte, parlant d’un de ses professeurs à Saint-Sulpice:
« M. Hugon avait servi d'acolyte au sacre de M. de Talleyrand à la chapelle d'Issy, en 1788. Il paraît que, pendant la cérémonie, la tenue de l'abbé de Périgord fut des plus inconvenantes. M. Hugon racontait qu'il s'accusa, le samedi suivant, en confession, « d'avoir formé des jugements téméraires sur la piété d'un saint évêque » »
— Ernest Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse
Après une campagne courte et efficace, il est élu le 2 avril député du clergé d'Autun aux états généraux de 1789.
Le 12 avril au matin, un mois après être arrivé et esquivant la messe de Pâques, Talleyrand quitte définitivement Autun et rentre à Paris42 pour l'ouverture des états généraux, le 5 mai, qui marque le début de la Révolution française