L'ENVIE DE REVOIR LA REINE...
Axel von Fersen à l'époque où il rencontra Marie-Antoinette pour la première foisAvant d'évoquer la soirée du 13 février 1792 qui vit Marie-Antoinette et Axel se revoir pour ce qu'il ne savait pas « être la dernière fois », revenons quelques semaines en arrière.
A l'automne 1791 de curieuses rumeurs provenant de Paris arrivèrent aux oreilles d'Axel. La Reine doutait de lui. Selon celles-ci, la famille royale pensait que Fersen n'aurait participé à la tentative d'évasion que pour se faire valoir. Le bruit courait que le révolutionnaire Barnave serait l'amant de Marie-Antoinette. D'autres prétendaient que la Reine faisait cause commune avec ces révolutionnaires.
Le comte Esterhazy et son fils: c'est à lui que Marie-Antoinette confia un anneau pour AxelBague envoyée à Esterhazy pour Axel par Marie-AntoinetteDe son côté, depuis le retour de Varennes, Marie-Antoinette se sentait désemparée, elle était sans nouvelles d'Axel. Elle demanda à son ami, Esterhazy:
« Si vous lui écrivez, dites LUI que bien des lieues et bien des pays ne peuvent jamais séparer les cœurs; je sens cette vérité tous les jours davantage ». Elle adressa à ce même ami deux anneaux comme « il s'en vend prodigieusement ici ». Sur l'avers de chaque bague se trouvaient gravées trois fleurs de lys, sur l'envers cette inscription: « Lâche qui les abandonne » et elle écrivit ceci:
« Celui qui est entouré de papier est juste à sa mesure; je l'ai porté deux jours avant de l'emballer. Mandez LUI que c'est de ma part. Je ne sais où il est, c'est un supplice affreux de n'avoir aucunes nouvelles et de ne savoir même pas où habitent les gens qu'on aime »Antoine BarnaveAxel lui a certainement écrit mais hélas ces lettres ont dû se perdre... Toujours est-il qu'ils purent de nouveau s'écrire et Marie-Antoinette le rassura sur le rôle qu'elle jouait avec Barnave et ses amis.
Louis Stanislas Xavier, comte de Provence. Par ses actions à Coblence, il cause grand tort à son frère, Louis XVIA Coblence, Provence et Artois ne cessaient de s'agiter, ils n'avaient qu'un but: le retour à l'ancien régime. A Paris ils étaient soutenus par Madame Élisabeth qui rêvait d'absolutisme. Louis XVI savait qu'un tel programme ne pouvait se réaliser.
« Vous me faites frémir d'horreur, aurait-il écrit à ses frères en apprenant leurs fanfaronnades, puisse plutôt la Monarchie s'écrouler que d'adhérer jamais à de pareils projets ». D'après André Castelot, la lettre ne serait peut être pas authentique, mais ce sont là les sentiments du Roi. Dans son testament, il parlera de ceux qui par leur « faux zèle » ou par « un zèle mal entendu », lui auront fait « beaucoup de mal ». La reine était du même avis appelant ses beaux-frères « Caïn ! Caïn ! »
Charles, comte d'Artois. Depuis qu'il avait quitté la France il "gesticulait" dans tous les sens, causant lui aussi du tort à son frère et sa belle-sœur, prisonniers de la Révolution. Marie-Antoinette les surnommait d'ailleurs "Caïn, Caïn"Tandis que Louis XVI, en dépit de ses véto, pensait sincèrement pouvoir devenir le Roi de la Révolution, Marie-Antoinette n'avait qu'un espoir: l'Autriche. Et pourtant son frère, l'empereur Léopold II n'avait de cesse de répéter:
« Il ne s'agit pas de prodiguer notre or et notre sang pour remettre la France dans son ancien état de puissance »Qu'importait à Marie-Antoinette, chez qui sommeillait toujours l'archiduchesse, que la France sortit diminuée de la future libération, mais Louis XVI n'ignorait pas que son beau-frère aurait les dents longues... Sans cesse ces conceptions se heurtaient, sans cesse de violentes discussions opposaient Marie-Antoinette à son mari et à sa belle-sœur.
« C'est un enfer que notre intérieur » écrivit-elle à Axel.
Axel savait que les intérêts des émigrés, des Autrichiens et des Enragés étaient inconciliables.
Les complications se multipliaient de jour en jour et Axel se rendait compte qu'il n'y avait qu'un seul moyen de les éviter: aller en personne voir la Reine, négocier avec elle, discuter des mesures à prendre et lui soumettre le projet d'une nouvelle fuite.
Par sa correspondance, on voit qu'il y avait déjà pensé lors de son séjour à Vienne et il est même probable qu'il a eu ce projet dans l'esprit depuis Varennes. A son ami Taube, il écrivit ceci:
« Il serait nécessaire que je pusse voir le roi de France et la Reine et, si cela est possible, j'irai: mais je ne veux pas être vu: à cet effet il faudrait que le roi m'envoyât deux passeports de courriers pour l'Espagne, datés de Stockhölm, en laissant la date en blanc. Un serait en mon nom et un en celui de Reuterswerd comme si nous venions d'Espagne. Si le roi voulait leur écrire, il faudrait mettre l'adresse au Roi d'Espagne; ce paquet pourrait m'être envoyé par extra-poste à Hambourg et de là par estafette. De cette manière, je pourrais au moins leur représenter leur véritable position, leur instruire de tout et concerter quelque chose avec eux »Le 26 novembre, il écrivit à Marie-Antoinette:
« Répondez-moi sur la possibilité de vous aller voir, tout à fait et sans domestique, au cas que j'en reçoive l'ordre du roi; il m'en a déjà lâché quelque chose, sur le désir qu'il en avait »Dans l'attente de pouvoir se rendre en personne à Paris, Axel envoyait à la Reine les amis en qui il avait confiance et qui sans danger de mort pouvaient séjourner à Paris. Ce fut d'abord Monseigneur d'Agoult, ancien évêque de Pamiers et qui semblait jouir de l'entière confiance de la famille royale qui servit d'intermédiaire entre Axel et Marie-Antoinette. La lettre que la Reine adressa à Axel après son entrevue avec ce dernier exprima la joie qu'elle avait ressentie en revoyant un des fidèle de Versailles.
De son côté, Marie-Antoinette avait formellement déconseillé à Axel de venir à Paris: « C'est absolument impossible que vous veniez ici. Ce serait un risque pour notre sécurité. Et quand je dis cela, je vous prie de me croire, car j'ai une envie sans bornes de vous voir ». Mais cette idée le hantait. Son désir de la voir s'accrut encore, lorsqu'il reçut de Paris des lettres de Crauford ou ce dernier l'informait qu'il avait vu la Reine. Dans son journal intime, on peut lire ceci à la date du 11 janvier 1792 : « Lettre de Sullivan écrite par Simolin, des nouvelles, une d'elles apportée par Hodges, une de Crauford, il a vu la R. et causé avec (elle) »
Le baron Von Taube avec lequel Axel entretenait une correspondance. Il était également l'ami de Sophie von FersenLe 15 janvier 1792, dans une lettre adressé à Taube, Axel développa le plan et le but du voyage qui se proposait d'entreprendre.
Cette lettre est intéressante parce qu'elle montre que même au sujet de ce nouveau projet de la fuite de la famille royale, Axel était en désaccord avec Gustave III:
Gustave III avec lequel Axel avait un désaccord concernant le projet de fuite de la famille royale« Tout est arrangé pour mon voyage, mais j'attends pour partir le moment que le Roi et la Reine m'indiqueront (mettez aux pieds du roi toute ma reconnaissance pour vanter les précautions qu'il a bien voulu prendre et pour les choses flatteuses qu'il veut bien dire de moi dans sa lettre à la Reine)
J'ai cru plus prudent de ne pas parler de ce voyage dans ma dépêche pour que Berlin l'ignore. Le projet de départ indiqué par le roi me paraît le plus sûr mais il doit être combiné avec leur situation, je ne puis rien en dire la dessus, avant d'en avoir causé avec eux, le point le plus difficile sera de les séparer, l'idée du Roi de faire rester la Reine et le Dauphin me paraît fort dangereux, non pas qu'ELLE court aucun risque, mais parce qu'il les garderont en otages et qu'en menaçant leurs jours ils auraient un moyen d'agir sur l'esprit faible et irrésolu du Roi de France; et d'arrêter toutes les opérations, d'ailleurs il serait seul dans cette position il serait difficile de dire qu'il se livrerait, il aurait toujours devant les gens la crainte pour la reine et pour son fils, d'ailleurs les factieux déclareraient sur le champ le Dauphin Roi, avec une régence, le Roi de France serait forcé de lui faire la guerre, et avec la légèreté d'exaltation et l'exagération des têtes françaises, il aurait beaucoup de partisans, on aimerait un enfant roi parce qu'il serait nouveau et on oublierait le Roi.
Marie-Antoinette demanda à Axel de différer son voyage à Paris en raison des rumeurs qui couraient dans Paris sur la possible fuite de la famille royale.…. J'ai reçu une lettre de la Reine qui me prie de différer de quelques jours mon voyage à cause du mouvement qu'on a excité à Paris, sous prétexte d'une nouvelle fuite du roi, je vous informerai d'avance de mon départ.
… Soyez tranquille mon ami, je ne courrais aucun risque, fiez vous à ma prudence et à ma discrétion »
(Merci à Au Temps De Marie Antoinette)