(D’après
« Les parlements de France: essai historique sur leurs usages, leur organisation et leur autorité » (Tome 1) paru en 1858 et
« Louis XV: son administration et ses relations diplomatiques avec l’Europe » (Tome 2) paru en 1844)
La suppression de la question préalable, torture infligée aux individus reconnus coupables afin d’obtenir le nom d’éventuels complices, a lieu huit ans après celle de la question préparatoire, supplice appliqué à des personnes potentiellement innocentes au cours de l’instruction.
Jadis, chaque parlement de France avait un genre de question plus habituellement employé. Au parlement de Paris, on donnait la question en faisant souffrir aux membres une extension douloureuse, ou en froissant les jambes avec des brodequins: l’estrapade n’avait été défendue qu’en 1697.
Au parlement de Bretagne, on attachait le patient sur une chaise de fer; on lui faisait présenter les jambes au feu, et on les en approchait par degrés. Au parlement de Rouen, on administrait la question à l’eau et aux brodequins; on serrait le pouce, ou un autre doigt, ou une jambe, avec une machine de fer, pour la question ordinaire. On comprimait les deux pouces pour la question extraordinaire. Les menottes, en sont le dernier souvenir, comme les aiguillettes de la cavalerie ne sont que les anciennes cordes que la maréchaussée portait toujours dans ses expéditions contre les malfaiteurs.
Au parlement de Besançon, on donnait la question à l’estrapade. On liait les bras du patient dans le dos, et on relevait en l’air avec une corde attachée à ses bras, qu’on tirait par le moyen d’une poulie de tour. Pour la question extraordinaire, on lui attachait de plus un gros poids de fer à chaque pied, et les poids demeuraient suspendus en l’air lorsqu’on élevait l’accusé.
« O hommes ! s’écrie l’auteur qui donne ces tristes détails, il n’y avait donc pas assez de souffrance attachée à votre malheureuse condition ? Vous avez mis plus d’art et de recherche pour créer des maux étrangers à votre existence que pour la soulager de ceux qui en sont inséparables. Vous avez calculé le degré de la sensibilité humaine avec un sang-froid barbare. Vous avez recueilli les cris, vous les avez comparés, afin de pouvoir marquer précisément le terme où votre fermeté devait s’arrêter pour ne pas perdre la victime »On voit, par le commentaire de Ségla sur le procès de Gairaud, Burdéus et autres, que la question préparatoire se nommait, à Toulouse, bouton de gehenne (gêne), ce qui semble indiquer une pression douloureuse imprimée sur l’un des membres. On y revenait jusqu’à trois fois, et on y joignait aussi celle de l’eau. On voit aussi que l’on faisait jeûner un malheureux pendant vingt-quatre heures, et qu’on le menaçait de ne pas lui donner à manger s’il ne confessait la vérité.
Mais les deux genres de question le plus généralement employés au moment de la suppression de tous les supplices préalables étaient la question à l’eau et les brodequins. Toutes deux se divisaient en ordinaire et extraordinaire.
Après avoir mis le corps du malheureux dans un état de tension extrême au moyen de cordes attachées à ses poignets et à ses pieds et retenues par des anneaux de fer, on lui passait sous les reins un tréteau qui empêchait le corps de retomber. Alors le questionnaire (c’était l’homme destiné à ce triste ministère) faisait avaler au patient, au moyen d’une corne creuse de bœuf qu’on lui mettait dans la bouche, quatre pintes d’eau pour la question ordinaire et huit pour l’extraordinaire.
Il s’arrêtait, sur l’avis du chirurgien présent, si la victime faiblissait, et, dans ces intervalles, le juge interrogeait l’accusé pour obtenir l’aveu de son crime et la révélation de ses complices. Le patient ressemblait à un cétacé, rendant l’eau par toutes les ouvertures de son corps, nous dit un vieux procès-verbal de torture. La question ordinaire par l’eau s’employait avant la condamnation.
Celle des brodequins et des coins était réservée aux condamnés avant de leur faire subir le dernier supplice. Elle était usitée en Angleterre comme en France. On faisait asseoir le patient, on lui plaçait chaque jambe entre deux planches, que l’on serrait sous le genou et au-dessus de la cheville. Les jambes étaient rapprochées et liées ensemble avec des courroies; alors des coins étaient placés entre les deux planches intérieures, à l’endroit des genoux et des pieds, et enfoncés à coups de maillet au point de faire craquer les os. La question ordinaire était de quatre coins; l’extraordinaire, de huit. Plus d’un condamné était ainsi estropié et brisé avant d’être livré à l’exécuteur des hautes œuvres. La question des coins fut appliquée à Ravaillac et à Damiens, avant leur exécution.
D’autres fois, dit Merlin, on suspendait le patient par des cordes placées entre ses doigts, avec des poids à ses pieds: c’est ce que l’on nommait l’estrapade. On plaçait des mèches allumées entre les doigts du patient, et on les laissait brûler pendant un temps déterminé, à moins que l’aveu ne vînt interrompre le supplice. Ce mode de question n’était plus employé à la fin du XVIIe siècle.
On avait réduit en principe et en axiome les cas où l’on pouvait donner la question préparatoire. Ainsi on trouve dans un ancien auteur du parlement de Toulouse:
« Il est véritable qu’ès choses anciennes la renommée est une preuve certaine (...) et suffit pour donner la question »Il y eut longtemps à Paris deux chambres de question, l’une au Châtelet, l’autre au grand Palais de Justice ; celle-ci était placée au rez-de-chaussée de l’une des tours donnant sur la rivière. Elle était en communication directe avec la tournelle. Au XVe siècle, cette chambre sans fenêtre s’éclairait (selon un auteur quelquefois cité pour l’étude qu’il a faite du vieux Paris) par le brasier qui servait à chauffer les instruments de la torture. On posait le patient sur un matelas, ou lit de cuir, qui était presque au niveau du sol, et on l’attachait au milieu du corps par une courroie à boucle, munie d’un anneau de cuivre, lequel était retenu par un crochet encastré dans la clef de voûte.
Dès le début de son règne, Louis XVI s’occupa d’améliorations publiques. En parcourant le recueil des arrêts du conseil, les registres du parlement pour l’enregistrement des édits, on doit se faire une idée étendue de toutes les mesures d’administration durant cette période.
Ce serait à tort qu’on attribuerait aux ministres du roi l’initiative des mesures de bienfaisance et de réforme ; la plupart des préambules des ordonnances ou des édits sont écrits de la main de Louis XVI, et l’un des plus beaux monuments de ce règne, la déclaration, en date du 24 août 1780, qui abolit la question préparatoire — employée au cours de l’instruction dans le but de provoquer des aveux, elle s’appliquait donc à des prévenus, peut-être innocents, à la différence de la question préalable, imposée seulement aux individus reconnus coupables —, est entièrement rédigée par le roi, avec des vues admirables de raison, d’humanité et de bien public.
On trouve des édits sur le régime des prisons, sur les hôpitaux, sur l’amélioration des procédures, sur les dépôts de mendicité, sur le sort du pauvre et de l’ouvrier. La question préalable, torture infligée aux condamnés à mort peu de temps avant l’exécution dans le but de leur faire dénoncer leurs complices, fut abolie par déclaration de Louis XVI en date du 15 février 1788.
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