Louis-Alexandre Berthier (1753 - 1815)
Le maréchal de l'ombre
Louis-Alexandre Berthier, prince de Neuchâtel et prince de Wagram, n'est pas le plus célèbre des maréchaux d'Empire. Homme de l'ombre, sans le panache d'un Lannes ou d'un Murat, cet officier d'état-major fut pourtant de presque toutes les batailles napoléoniennes où ses talents d'organisateur furent décisifs et contribuèrent aux succès des armées de Napoléon Ier.
De l'Amérique à l'Italie
Fils d'un lieutenant de l'armée royale, Berthier est né à Versailles le 20 novembre 1753. Dans la lignée de son père, il décide de rentrer dans le génie et intègre l'école royale de Mézières. D'une grande précocité, il en sort en 1766 et est nommé ingénieur géographe à tout juste treize ans !
Quelques années plus tard, en 1772, il devient lieutenant à la légion des Flandres, avant d'entrer quatre ans plus tard dans les dragons de Lorraine où il est nommé capitaine en 1777. La guerre d'indépendance américaine lui donne alors l'occasion de vivre sa première expérience de la guerre puisqu'il est nommé à l'état major de Rochambeau durant les trois dernières années de la guerre de 1780 à 1783.
La révolution va alors être pour lui, comme pour beaucoup de soldats, un formidable accélérateur de carrière. Cette même année, il est fait lieutenant-colonel puis major-général de la garde nationale par Lafayette qu'il a côtoyé en Amérique. Durant ces premières années révolutionnaires, en tant qu'officier de la garde nationale, il a un rôle ouvertement royaliste et facilite l'émigration de certains membres de la famille royale comme Madame Adélaïde, Madame Victoire ou le comte d'Artois. Cette attitude lui vaut d'être destitué par les nouvelles autorités républicaines après la chute de la monarchie en août 1792.
Berthier devra alors attendre le Directoire pour être réintégré au sein de l'armée en 1795. Il est alors désigné comme général et chef d'état- major de l'armée d'Italie. L'année suivante, Bonaparte en prend le commandement. Berthier va alors sceller son destin à celui du futur Empereur
L'organisateur de la victoire
En tant que chef d'état-major, Berthier seconde efficacement Bonaparte et contribue activement aux victoires de la campagne d'Italie. Le futur empereur s'appuie ainsi sur son talent d'organisateur et de coordinateur afin de mettre en place ses décisions stratégiques et de faire appliquer ses ordres.
Berthier n'est toutefois pas seulement un officier d'état-major, il sait également s'engager sur le terrain et commander efficacement les troupes au cœur du combat quand cela est nécessaire. Après la bataille de Lodi, Bonaparte envoie une lettre au Directoire et souligne son attitude courageuse :
«Si j'étais tenu de nommer tous les militaires qui se sont distingués dans cette journée extraordinaire, je serais obligé de nommer tous les carabiniers et grenadiers de l'avant-garde et presque tous les officiers de l'état-major : mais je ne dois pas oublier l'intrépide Berthier qui a été dans cette journée canonnier, cavalier et grenadier.»Bonaparte ne peut plus se passer de cet officier qu'il emmène avec lui en Égypte. Toujours indispensable, il jouera également un rôle actif dans le coup d'état du 18 brumaire. En raison de ses talents d'organisateur et d'administrateur, le nouveau Premier Consul le nomme ministre de la guerre en novembre 1799 (il le sera jusqu'en 1807). Il excelle dans cette tâche, en s'occupant de réorganiser les armées, le ravitaillement et en modernisant le génie et l'artillerie. Berthier sera un des grands artisans de la domination militaire de la France sur le reste de l'Europe.
Un homme aux talents multiples
Lors de la proclamation de l'Empire en 1804, il est fait maréchal et sera abondamment récompensé de son travail et de son total dévouement à Napoléon. En 1806, il est fait prince de Neufchâtel, puis prince de Wagram en 1809. Le château de Chambord lui est même offert en dotation ainsi qu'une rente annuelle d'un million de francs.
Le maréchal participe activement à toutes les grandes victoires de l'Empire. Il est l'homme de l'ombre de l'épopée napoléonienne. S'il ne se couvre pas de gloire comme d'autres maréchaux ou généraux, sa présence est la plupart du temps essentielle aux succès de la Grande Armée. Sa grande compétence sera reconnue par Napoléon lors de son exil à Saint Hélène :
«Il expédiait... tous les ordres et les différents détails particuliers avec une régularité, une précision et une promptitude admirables... ; c'est un travail pour lequel il était toujours prêt et infatigable. Voilà quel était le mérite spécial de Berthier; il était un des plus grands et des plus précieux pour moi, observait l'Empereur; nul autre n'eut pu le remplacer».
À ces talents militaires et administratifs, s'ajoutent également des talents diplomatiques. Napoléon y fera parfois appel. En 1800, il est ainsi envoyé en négociation auprès du roi d'Espagne et, en 1810, il représentera Napoléon lors de sa demande en mariage de l'archiduchesse Marie-Louise d'Autriche.
Fidèle à l'empereur jusqu'à la défaite de 1814, le maréchal se met ensuite au service de Louis XVIII quelques jours après l'abdication. Il demande à Napoléon l'autorisation de rejoindre Paris. L'empereur déclare à ce moment :
«Il ne reviendra pas». L'avenir lui donne raison : Berthier a définitivement changé de camp.
Le retour de Napoléon de l'île d'Elbe en 1815 ne le fera pas se déjuger et revenir sur son serment de fidélité au roi. Berthier décide même d'accompagner Louis XVIII dans sa fuite. Or, durant cet exil, il meurt mystérieusement défenestré le 1er juin 1815. Suicide, meurtre ou accident ? L'opacité autour de sa mort reste entière. Celle-ci se produit seulement quelques jours avant Waterloo où son absence s'est fait tragiquement ressentir. L'Empire s'éteint dans le sang seulement dix-sept jours après la disparition d'un de ses plus grands défenseurs.
Benjamin Fayet