La ventriloquie au siècle des Lumière, entre obscurantisme et divertissement

Nombre de messages : 318 Date d'inscription : 27/07/2018

Fermez les fenêtres pour ne laisser entrer aucun mauvais esprit

car nous allons avoir des conversations bizarres La ventriloquie au siècle des Lumière, entre obscurantisme et divertissement 806120

La ventriloquie au siècle des Lumière, entre obscurantisme et divertissement 806120

Où l’on fait parler les morts affraid

Désignant étymologiquement « celui qui parle du ventre », que le mot choisi soit le dérivé latin ou, plus rare, grec (« engastrimythe »), la ventriloquie est une pratique qui n’est devenue spectaculaire que tardivement. À partir de l’ouvrage-somme que Steven Connor lui consacre , on peut distinguer trois grandes périodes. Une première, des origines à la fin du xviiie, est celle de l’occulte, des nécromanciennes (il s’agissait généralement de femmes) qui, en vocalisant l’au-delà, donnaient voix aux absents. Les historiens de la ventriloquie, de l’Abbé de La Chapelle au xviiie siècle à Valentine Vox ou Connor de nos jours, n’hésitent pas à faire remonter son origine à l’Antiquité et à la figure de la pythie, mais surtout à la Bible et l’épisode de la Sorcière d’Endor, que Saül consulta secrètement en quête des conseils du disparu Samuel, l’une des premières manifestations commentées de cette pratique (et, plus largement, si l’on en croit l’historien du théâtre Élie Konigson, l’une des origines du théâtre, cet art qui fait surgir les morts .

Alors passible de condamnation, celle-ci est crainte et perçue comme maléfique : par le ventre s’exprime le mort ; l’apparition d’une parole dans un corps qui ne lui appartient pas ne peut que dire la présence du démon. Quand le mathématicien La Chapelle publie en 1772 Le Ventriloque, ou l’Engastrimythe , une étude de plus de cinq cent cinquante pages, ce sont ces croyances populaires qu’il entend mettre à mal. Quelques années auparavant, Diderot et d’Alembert, dans l’Encyclopédie à laquelle a d’ailleurs contribué La Chapelle, proposent les deux entrées Engastremithe (1755) et Ventriloque (1765), mentionnant la division entre ceux qui font de cette parole un acte divinatoire et ceux qui y voient une maladie. Sans entrer dans les détails des considérations religieuses qui poussèrent La Chapelle à questionner l’épisode de la Bible (certains de ses lecteurs voient dans cette étude raisonnée et raisonnable de la ventriloquie une remise en cause de l’Église), on ne peut que constater la rationalité d’une approche qui s’ouvre en rappelant que « l’art de tromper est aussi ancien que le Monde animé ». Ainsi, dans son prospectus introductif, le mathématicien écrit : « Il est incroyable combien ils [les ventriloques] ont bouleversé de Têtes, combien ils ont causé de Troubles ! En faisant croire qu’ils parloient du ventre (ce qui a fondé leur dénomination, & ce qui est contre Nature) les Assistants se persuadoient que quelque Génie supérieur y avoit pris piège, & que de-là il prononçoit des Oracles .»

Pour prouver que la pratique n’a rien de magique, l’auteur s’appuie sur l’observation d’un ventriloque contemporain, épicier de son état à Saint-Germain-en-Laye : Saint-Gille, « Ventriloque moderne, actuellement vivant, d’une probité & d’une franchise parfaites, que j’ai observé avec soin, & qui s’est laissé observer sans aucun mystère  », permet à La Chapelle de mener à bien sa démonstration : « Après tous ces Faits bien établis, on éxaminera s’il y a eu véritablement des Ventriloques, aux termes de la dénomination ; c’est-à-dire, s’il y a eu véritablement des Personnes qui aient articulé des sons, ou prononcé des paroles par le ventre même, comme le faire entendre l’expression qui les désigne, & ainsi qu’on l’éxécute avec le gosier, la langue, les dents, les lèvres, etc. On tâchera ensuite de démontrer, comment, sans articuler du ventre, on pourroit produire tous les effets attribués aux Ventriloques, & même, dans quelques cas, la bouche & les narines fermées. Il y aura un Chapître sur l’Utilité Politique, Morale & Physique d’une pareille Recherche, & l’on finira par un Trait d’histoire des plus étranges, où le Génie, les Recherches, le Courage, le Sacrifice même des conventions les plus sacrées, ont dû se réunir contre les Assauts de la superstition  ».

La même année, l’Abbé Saury, ancien professeur de philosophie, dans le bref texte L’Hydroscope et le Ventriloque ; ouvrage dans lequel on explique, d’une manière naturelle, à la portée de tout le monde, & conforme aux loix de la physique, 1°. Comment il peut se faire qu’un jeune Provençal voie à travers la terre ; 2°. Par quel artifice ceux qu’on nomme Ventriloques peuvent parler de maniere que la voix paroisse venir du côté qu’ils veulent, se propose de vulgariser la compréhension du phénomène physique de la ventriloquie de telle sorte que sa démonstration soit accessible au plus grand nombre, entendant, comme La Chapelle, lever le voile sur ce qui doit être compris comme un art de l’illusion et du jeu : « On appelle Ventriloques ceux qui ont l’art de parler de maniere que leur voix paroît venir du côté du ciel, & même du côté qu’ils veulent. De-là qu’il arrive qu’un Ventriloque, qui se trouvera auprès de vous, pourra vous appeler & vous entretenir de la même manière qu’une personne qui seroit à la distance de trente ou quarante pas, & même plus loin ; de sorte que vous penserez que c’est une voix céleste, ou peut-être quelque esprit qui fait la conversation avec vous. » Et d’ajouter : « Nous croyons donc rendre un petit service au public, en faisant voir qu’il n’y a rien là de surnaturel, & que c’est un art que peut-être bien des gens apportent en naissant, & qu’un grand nombre peut apprendre, par un exercice plus ou moins long ».

Il faudra donc attendre pour que la ventriloquie commence à ressembler à l'amusement de nos jours. lol!