Le Boudoir de Marie-Antoinette

Prenons une tasse de thé dans les jardins du Petit Trianon
 
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 Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)

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Orchidée

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MessageSujet: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 19:49

Le récit commence par une épitre dédicatoire.



O mon aimable Sœur!

Ma tendre amie, victime infortunée des tyrans cruels qui gouvernent la France, tu n'es donc plus! La mort vient de terminer tes malheurs, & d'augmenter le poids immense des nôtres; si du Ciel, où sans doute tes vertus t'ont placée, tu peux jetter quelques regards sur cette malheureuse terre, lis dans nos cœurs, vois nos regrets; ils ont pris l'empreinte de ton ame; tu nous as légué ce calme qui régnoit sur tes traits, dans ton esprit, & dans ton cœur. Aucun cri, aucun transport n'accompagne notre douleur aussi vive que profonde; elle est douce comme toi. Recueillir tes pensées, nous les répéter, nous entourer de tout ce qui t'appartenoit, nous rappeller tes goûts, pour les adopter, nous redire sans cesse: elle eut fait, elle eut dit telle chose; voilà les occupations de ton respectable époux, de tes aimables enfans, de tes bons & tendres amis. Illusion chere & funeste! Je crois encore écrire à mon aimable amie; la douce habitude de ne rien faire depuis vingt-cinq ans, sans la consulter, m'entraîne encore après sa mort, à lui demander la permission d'honorer sa mémoire, en faisant mieux connoître ses vertus & ses malheurs.
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globule
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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 19:50

OK Wink

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Orchidée

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 19:58

Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Zducre12

Gabrielle-Yollande-Martine de Palastron (sic) rassembloit en elle ce qui se trouve rarement réuni, la grace & la beauté. Des yeux bleus, remplis d'expression; un front élevé; un nez un peu en l'air, sans être retroussé; une bouche charmante; de jolies dents, petites, blanches & parfaitement rangées, formoient son agréable visage. Son regard avoit quelque chose de céleste; son sourire étoit rempli de graces; la douceur & la modestie étoient répandues sur tous ses traits; de très-beaux cheveux bruns ornoient cette figure tout-à-la-fois belle & jolie. Des épaules abattues, un cou bien détaché, lui donnoient une grace extrême, & la faisoient paroître plus grande qu'elle n'étoit.

Telle que je la peins, & ce portrait est fort au-dessous de l'original, elle épousa le 7 Juillet I767 à dix-sept ans, le Comte Jules de Polignac: il ne me permettroit pas de parler de lui, & je me tais.

Jusqu'à vingt-cinq ans, la Comtesse Jules vécut au milieu de sa famille, & de celle de son mari, chérie des deux également. Dans l'âge où la plûpart des femmes ne savent pas s'il existe d'autres jouissances que celles de la parure & des plaisirs, son jugement juste, son ame sensible, lui avoient découvert la source du vrai bonheur, de celui qui survit à la jeunesse, à la beauté. Ses occupations les plus douces étoient de remplir les devoirs de femme, de mère, & d'amie, & personne plus qu'elle n'a éprouvé le sentiment de la reconnoissance. Elle en devoit beaucoup à la Comtesse d'Andlau sa tante, qui lui avoit servi de mère & l'avoit élevée avec soin dès sa plus tendre enfance; elle n'a cessé de lui rendre ceux d'une tendresse & d'un respect vraiment filials: elle n'a négligé aucune occasion de lui être utile, & s'est trouvée assez heureuse pour y parvenir.

Les huit premières années de son mariage se passèrent donc à-peu-près dans la retraite, & n'eurent de remarquable que l'union intime qui régnoit dans son intérieur; elle & son mari paroissoient peu à la Cour: des circonstances fort simples les y attirèrent à la mort de Louis XV.

A cette époque, la sœur du Comte Jules obtint une place dans la maison de Madame la Comtesse d'Artois. Le jeune ménage venoit souvent avec elle à Versailles, passer une partie du tems qu elle étoit obligée d'y rester; ces voyages ayant fait connaître de la Reine la jeune Comtesse, sa figure aimable, son maintien modeste donnèrent à Sa Majesté le désir de l'attirer auprès d'elle. La Reine aimoit la musique, elle sût que la Comtesse Jules avoit une voix charmante, elle l'appela à ses ses concerts, l'admit dans tous les quadrilles qu'elle vouloit danser, enfin chercha tous les moyens de la rapprocher d'elle.

La jeune Comtesse, sans se refuser aux bontés d'une Reine charmante, y répondoit avec respect, mais sans empressement. On fut étonné de cette conduite sage & réservée; car, bien souvent à la Cour on abuse des bontés des souverains: on prend leurs manières obligeantes pour des marques certaines d'une préférence, ou d'une amitié particulière. On se presse pour les obtenir; on les force même quelquefois à vous accorder l'extérieur d'un sentiment, qu'ils sont loin d'éprouver. La Comtesse Jules fut donc critiquée, louée, blâmée de sa réserve. Mais la Reine l'en estima davantage, & s'y attacha de plus en plus.

Comment parler de l'auguste Antoinette? Comment se rappeller ses bienfaits, sans rappeller aussi sa beauté, son esprit, sa grace, & la bonté de son cœur? Des écrivains se serviront de leur esprit pour la peindre; leur stile brillant plaira sans doute davantage. Le lecteur doit s'attendre à ne trouver ici que l'éloquence du cœur, que des expressions simples & vraies, inspirées par un sentiment de reconnaissance, que rien ne peut détruire, & qui la suit au-delà du tombeau.


J'ai laissé l'orthographe d'origine. Wink
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Orchidée

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:06

La nature avoit formé Marie-Antoinette pour être assise sur un trône. Une taille majestueuse, une beauté noble, une manière de porter sa tête, difficile à dépeindre, inspiroient le respect. Dans ces jours destinés à recevoir les hommages de sa Cour, on croyoit voir la Reine du Monde; ses traits, sans être réguliers, avoient de l'agrément; la blancheur de son teint les embellissoit & donnoit à son visage un éclat éblouissant. Les manières les plus séduisantes étoient jointes à tous ces charmes. J'ajouterai que personne n'a jamais sû obliger comme cette Princesse. La grace la plus simple qu'elle accordait, doubloit de son prix, pénétroit l'ame de la plus vive reconnaissance, par toutes les recherches qu'elle savoir y ajouter.

La Reine voulant donc attacher près d'elle l'amie dont elle avoit fait choix, titre que son cœur lui a donné pendant quinze années, elle en chercha tous les moyens. Sa Majesté n'ignoroit pas que le Comte Jules ne jouissoit pas encore du quart de sa fortune, & qu'il avoit deux enfans; elle savoit de plus, que la Cour est un séjour dis-, pendieux. Elle se détermina donc, après en avoir.conféré avec le Roi, de donner au Comte Jules la survivance de la charge de son Premier Ecuyer, le titulaire n'ayant point d'enfans.

A cette époque commencèrent l'envie & la jalousie. Je ne m'arrêterai point à répéter toutes les petites tracasseries, que cette première grace occasionna. Il me suffit de dire, que la Reine mit à cette affaire autant de bonté que de suite. Elle avoit été touchée de voir que la Comtesse Jules, bien loin de s'empresser à solliciter des graces pour elle, n'avoit été occupée que d'obtenir de son amitié & de là justice du Roi, une pension pour cette tante qu'elle aimoit, & qui lui avoit servi de mère. La Comtesse d'Andlau avoit peu de fortune: elle était veuve d'un Lieutenant-Général, dont les services distingués lui avoient mérité la promesse d'être fait Maréchal de France, à la première promotion; mais sa mort ayant prévenu l'exécution de cette promesse, le traitement ordinaire que l'on faisoit aux veuves des Lieutenans-Généraux, ne fut point accordé à la sienne: elle n'eut rien. Louis XVI & la Reine, d'après la demande de la jeune Comtesse, s'empressèrent de réparer cet oubli. La Comtesse d'Andlau eut une pension de six mille livres. Ce bienfait toucha plus vivement l'ame sensible de sa nièce, que toutes les faveurs personnelles qu'elle obtint par la suite.

L'amitié & la confiance de la Reine s'établissant de plus en plus, la Comtesse Jules fut plus recherchée, & mieux connue. On commença, malgré la jalousie, à rendre justice à ses qualités. Jusqu'à ce moment on n'avoit parlé que de sa beauté. Sa réserve, & son peu de coquetterie, avaient fait supposer que la nature ne s'étoit occupée que de former la plus agréable figure, qui eut paru depuis longtems. On vit alors qu'elle possédoit doit un jugement sain, un esprit pénétrant, beaucoup de raison, un calme imperturbable; toujours maîtresse d'elle-même, jamais dans aucun instant elle n'a dit un mot, une phrase, qu'elle ait pu se reprocher. Elle parloit peu dans le grand monde, causoit volontiers dans un très petit cercle, s'énonçoit avec une éloquence claire & simple. Son ame étoit aussi pure, que son cœur étoit sensible. Ce caractère de douceur, qûi repandoit tant de charmes dans la société, lui acquit des amis vrais. Une conduite sage & conséquente fut le seul bouclier qu'elle opposa à tous les traits de l'envie & de l'intrigue; qui furent bien longtems à pouvoir la frapper.

L'ambition n'ayant eu aucune part à ce haut degré de faveur où elle étoit parvenue, il lui fut bien aisé de s'y soutenir. La faveur n'est souvent fondée que sur des bases peu solides; on la doit à quelques agrémens extérieurs, à un peu de fausseté, à beaucoup d'intrigue.s Un instant fait la fortune d'un favori, un autre instant la détruit. On ne doit donc pas appeller faveur, la position brillante, où la Comtesse Jules s'est trouvée placée; placée; les sentimens de la Reine pour elle, étoient ceux de la plus tendre amitié. C'était par degrés qu elle avoit acquis cette estime, cette confiance, qu'un éloignement forcé a suspendues, que la mort seule a pu détruire. Son caractère plein de franchise, n'a jamais craint de parler à son auguste amie le langage de la vérité; elle respectoit sa Souveraine; elle vouloit sa gloire; mais elle aimoit Marie-antoinette, & désiroit son bonheur. Ces deux sentimens réunis dans son ame noble, fiere & pure, lui firent regarder avec mépris ces milliers de petites intrigues formées contre elle.

Lorsque des gens officieux venoient l'avertir de prendre garde à telles & telles personnes, que la Reine paroissoit distinguer, elle répondoit avec ce calme & cette douceur, qui ne la quittoient jamais: "J'estime trop la Reine pour la soupçonner de vouloir s'éloigner d'une amie dont elle a fait choix, & dont la tendresse & le dévouement lui sont bien connus. Je ne crains point qu'on m'enleve son cœur; mais si la Reine cessoit de m'aimer, je pleurerais la perte de mon amie, & n'employerois aucun moyen pour conserver les bontés particulières de celle, qui ne seroit plus que ma Souveraine. Vous voyez, ajoutoit-elle, que les personnes dont vous me parlez, peuvent être bien tranquilles ;je ne les gênerai ni dans leurs projets, ni dans leur marche. Ce pays, dont on dit tant de mal, ne m'a fait encore éprouver que le bonheur d'être utile; & si pour bien des gens, c'est un plaisir de nuire, je ne leur envie point cette méprisable jouissance, & ne la partagerai jamais."

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:07

Orchidée a écrit:
J'ai laissé l'orthographe d'origine. Wink

Oui c'est mieux. Wink

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:10

Le Comte Jules avoit une fille de onze ans; la Reine, avec sa grace ordinaire, lui dit: "Dans peu, sans doute, vous penserez à marier votre fille; lorsque votre choix sera fait, songez que le Roi & moi nous nous chargeons du présent de noces."

Parmi ceux qui se présentèrent, le Comte de Gramont fut choisi. Le Roi lui permit alors de prendre le titre de Duc de Guiche, & le fit Capitaine des Gardes, en faveur de ce mariage. Leurs Majestés ne s'en tinrent pas là. Le Roi, qui commençoit à s'attacher à cette famille autant que la Reine, approuva l'idée de cette Princesse, de donner au Comte Jules le titre de Duc-Héréditaire. "C'était, disoit la Reine, un moyen de prouver au public l'estime qu'il leur avoit inspirée, & celui d'assurer en partie le bonheur de ses enfans." Ce fut avec la manière séduisante qui n'appartenoit qu'à elle seule, que la Reine apprit au Comte Jules cette nouvelle grace.

On croira difficilement, qu'une grande Reine puisse s'occuper avec tant de recherches, de repandre de graces utiles & honorables, sans être sollicitée. Notre auguste Souveraine en est un exemple. Eclairée par l'amitié, elle n'attendoit pas les demandes de son amie, pour lui être utile; elle connoissoit sa réserve, & la prévenoit toujours; mais, dans ses dons, elle savoit allier la noblesse du Souverain qui donne, aux sentimens délicats de celui qui reçoit.

La Comtesse Jules, maintenant Duchesse de Polignac, passoit les deux tiers de sa vie avec la Reine, lorsqu'un événement imprévu la fixa tout-à-fait auprès de Sa Majesté.
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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:11

Bien, ce texte ! Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) 914132

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:18

Différentes circonstances ayant déterminé la Princesse de Roftan-Guêmênêe, Gouvernante des Enfans de France, à quitter cette charge, la Reine vouloit la confier à l'amitié. La Duchesse, naturellement paresseuse, aimant le repos, la tranquillité, ne se trouvant bien que chez elle, entourée de ses amis, eut de la peine à se déterminer à prendre une place pénible, & qu'elle vouloit remplir avec la plus grande exactitude: mais la reconnoissance qu'elle devoit à la Reine, & son dévouement à tout ce qui pouvoit lui plaire, eurent bientôt succédé à ce petit mouvement d'égoïsme. Elle accepta.

Dès qu'elle se vit chargée du soin & de l'éducation des deux enfans précieux qui lui furent confiés, elle oublia, & cette douce paresse à laquelle elle aimoit à se livrer, & la délicatesse de sa santé; elle s'abandonna entièrement à exercer ses nouveaux devoirs dans toute leur étendue. La santé foible du Dauphin, qui n'avoit alors qu'un an, les rendoit plus pénibles. La Duchesse ne passoit guère de nuits, sans être réveillée par l'inquiétude, ou par les cris du jeune Prince; elle elle passa trois années, toujours dans la crainte de voir périr en lui le bonheur de la Reine, & l'espoir de la France. La naissance d'un second Prince modéra ses inquiétudes, en ajoutant à ses fatigues; elles augmentèrent encore un an après, par la naissance d'une Princesse.

De ces quatre enfans de Louis XVI, tous nés avec une santé foible, il n'en reste que deux.

Augustes enfans, malheureux Princes, celle qui trouvoit tant de charmes à seconder près de vous les soins de votre illustre mère; celle qui cherchoit à imprimer dans vos cœurs ce respect filial, à les enflammer de ces sentimens d'amour & de tendresse si bien dûs aux auteurs de vos jours; qui ne négligeoit aucun moyen de former à l'héritier du trône, une santé forte, une ame noble, fiere & sensible; cette femme qui vous apprenoit à conserver toute la dignité de votre rang, mais sans orgueil; à vous occuper des malheureux, à vous en rapprocher, pour adoucir leur sort; qui vous donnoit pour récompense de vos études, l'occasion de secourir le pauvre; qui cherchoit à vous inspirer le goût & l'amour de toutes les vertus; cette femme enfin, l'amie de votre auguste mère, n'est plus. La calomnie, & vos malheurs l'ont fait descendre au tombeau; c'est au milieu de sa carrière qu'elle vient d'être enlevée à sa malheureuse famille, dont elle faisoit le bonheur. Ah! mon jeune & malheureux Roi! & vous, Princesse infortunée, dont l'ame pure & sensible peut à peine soutenir ses maux, répandez des larmes au souvenir de celle qui vous a tant aimés! Occupée jusqu'à son dernier moment d'objets si chers, de ce dépôt sacré que lui avoit confié l'amitié, elle espéroit encore que les barbares qui vous tiennent enchaînés, après avoir commis tant de forfaits, se laisseroient enfin toucher par les charmes de la jeunesse, & les graces de l'enfance ; qu'ils vous rendraient la liberté, que bientôt exilés de la France, elle pourrait jouir encore du bonheur de vous prodiguer tous ses soins: elle espérait ne vous plus quitter jusqu'au moment heureux qui vous eut fait rentrer dans vos états, entourés de vos sujets fidèles. Vain espoir ! elle n'est plus, & les poignards régicides sont encore sur vos têtes!

Leurs Majestés, en nommant Gouvernante de leurs enfans la Duchesse de Polignac, avoient désiré qu'elle tint un état digne de cette grande charge, & digne de la Cour de France. Elles voulurent que tous les étrangers de distinction, & toute la Noblesse de la Cour fussent admis chez elle. La Reine désiroit aussi qu'il y eut des jours où la société, moins nombreuse, & choisie par elle, lui fit passer des momens plus doux & plus tranquilles. C'étoit alors qu'elle disoit, comme Henri IV: Je ne suis plus la Reine, je suis moi. Quel mot dans la bouche d'une Souveraine!
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Orchidée

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:21

La Reine venoit presque tous les jours diner chez le Duc, tantôt avec ce petit nombre de personnes qu'elle daignoit appeller ses amis, tantôt avec toute la Cour. Leurs Majestés sentirent que les appointemens très-médiocres de la charge de Gouvernante, ne pouvoient être sufrîsans pour tenir un aussi grand état; elles étoient trop justes pour mettre le Duc dans le cas de faire des dettes, ou de manger le bien de ses enfans. Le Roi ajouta donc une pension de quatre-vingt mille livres, sur les deux têtes; & peu après il nomma le duc de Polignac Directeur des Postes & des Haras. Malgré l'animosité qui s'est manifestée contre tous les individus qui composent cette famille; malgré le désir qu'on avoit de les trouver coupables, parce qu'ils étoient depuis longtems l'objet de l'envie, l'homme impartial ne peut que les juger favorablement, lorsqu'il approfondira leur conduite, qu'il verra l'ordre & l'économie qui ont régné dans les différentes administrations dont ils ont été chargés; lorsqu'il saura que personne ne s'est plaint d'une injustice, & n'a réclamé contr'eux, même depuis la Révolution: mais la calomnie, fille de l'envie, ne marche pas avec des preuves; elle crée, compose, & débite à son gré; elle séduit la multitude, & ne laisse aucun moyen de défense à celui que l'honnêteté de sa vie entière n'a pu garantir de ses traits.

La Duchesse de Polignac, occupée, à tous les momens, des soins qu'exigeoit sa place, ne négligeoit, & n'oublioit aucun des détails nécessaires pour la bien remplir; elle avoit établi le plus grand ordre, parmi les personnes attachées à l'éducation des jeunes Princes, & Princesses; une sage économie ne nuisoit pas aux grâces qu'ils étoient en droit d'attendre de leurs services, souvent très-pénibles. Comme elle joignoit à beaucoup de douceur, beaucoup de fermeté, & de justice, elle se faisoit obéir, aimer & respecter de tous ceux qui étoient sous ses ordres. Les jeunes Princes la craignoient & l'aimoient; elle avoit pour eux un sentiment aussi tendre que profond, & fut vivement affectée, lorsqu'elle remit le Dauphin entre les mains du Gouverneur que le Roi lui avoit nommé. La santé de ce jeune Prince étoit alors assez bien rétablie, mais elle se dérangea peu après; il mourut âgé de neuf ans. Heureux de n'avoir ni vu, ni partagé les malheurs qui accablent son illustre famille, & ceux du Royaume sur lequel il devoit régner!
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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:38

Pourquoi dit-elle que tous les enfants avaient une mauvaise santé ? Suspect Marie-Thérèse était forte et solide.

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:39

Passionnante lecture qui éclaire bien des zones restées dans l'ombre (du moins pour moi Wink ) jusqu'à présent.
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Orchidée

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:40

Depuis longtems la Duchesse de Polignac, menacée d'obstructions, avoit besoin d'un régime doux, & de beaucoup de tranquillité; la vie qu'elle menoit se trouyoit incompatible avec le rétablissement de sa santé, qui de jour en jour devenoit plus délicate. En 1787, les médecins lui ordonnèrent d'aller prendre les eaux de Bath. C'était un grand parti. Jamais Gouvernante des Enfans de France ne s'était éloignée pour deux mois ; il falloit donc ou donner sa démission, ou se réfuser au rétablissement de sa santé; & dans ce dernier cas, elle n'eut pas consenti à conserver une charge qu'elle ne pouvoit plus remplir avec certitude. Elle en parla donc à la Reine, & lui expliqua tous les motifs qui la déterminoient à la supplier de recevoir sa démission. Cette démarche étonna, attendrit la Reine, Elle écoutait son amie avec la plus grande attention, sans pouvoir lui répondre; elle lui dit enfin: "Je rendrai compte au Roi de tout ce que je viens d'entendre, & demain vous saurez le résultat de nos réflexions." Ce résultat fut que Leurs Majestés ne vouloient point s'opposer au voyage indiqué par les médecins; mais qu'elles désiroient vivement que la Duchesse n'abandonnât point leurs enfans; qu'à son retour des eaux, elles s'occuperoient de rendre la place moins-pénible. "Vous ne devez, ajouta la Reine, ni ne pouvez vous séparer de moi; votre cœur s'y opposeroit, je l'espère; d'ailleurs, ma tâche n'est point remplie; votre fils n'est pas marié, & vous en avez deux autres." Peut-on se refuser à tant de marques de bonté & d'amitié? Dans la société particulière, l'auguste Antoinette eut fait le charme de ses amis; ne devoit-on pas l'adorer lorsqu'au milieu des grandeurs, des richesses, de la puissance, assise sur un des plus beaux trônes de l'Europe, l'éclat qui l'environnoit ne lui ôtoit rien de sa sensibilité. C'étoit toujours avec une grace nouvelle, qu'elle cherchoit à deviner tout ce qui pouvoit plaire ou être utile à ceux qu'elle honoroit de ses bontés.

Ce ne fut qu'après une très-longue discussion, que Sa Majesté parvint à persuader à la Duchesse de Polignac, qu'elle pouvoit, sans manquer à ses devoirs, s'éloigner deux mois de ses enfans, pour s'occuper de sa propre santé, & revenir ensuite, continuer de veiller à leur éducation. Sa Majesté lui ajouta,qu'elle voudroit dorénavant partager ces soins avec elle, afin de les lui alléger; mais qu'elle ne consentiroit point à son éloignement total; que Madame de Polignac ne pouvoit pas douter qu'un des points les plus essentiels à son bonheur, étoit de penser que rien ne pouvoit plus les séparer l'une de l'autre; qu'elle seule lui avoit fait connoître & sentir le plaisir si doux d'avoir une amie. "Dans le rang que j'occupe, disoit-elle, il est si rare d'en trouver, & pourtant si utile, si heureux de donner sa confiance à un être estimable. Ne jugez pas, comme le vulgaire, du bonheur des Souverains, par l'éclat qui les environne: leur âme, souvent remplie d'amertume & de peine qu'il est nécessaire de cacher, sent le besoin de trouver un cœur qui les entende. Ne dois-je donc pas remercier le Ciel, de m'avoir donné une amie vraie, sensible, attachée à ma personne, & point à mon rang ? Ce bonheur est inappréciable, ne m'en privez pas."

Madame de Polignac ne répondit à la Reine que par de nouvelles assurances, que sa vie entière lui etoit consacrée ; mais, que plus Sa Majesté lui marqueroit de bonté, plus elle devoit chercher à obtenir l'estime publique, afin, que jamais rien ne put faire blâmer le choix de la Reine. Elle insista donc sur l'acceptation de sa démission, pendant l'absence qu'elle alloit faire; & la fit remettre au Roi. Au moment de son départ, elle promit à la Reine de reprendre sa charge à son retour, & de la garder autant que sa santé lui permettrait d'en remplir les fonctions.

La Reine, satisfaite de cette réponse, laissa partir le Duc & la Duchesse pour l'Angleterre, où ils restèrent deux mois, dont ils passèrent six semaines à Bath. Pendant le peu de séjour qu'ils firent à Londres, ils reçurent mille marques d'intérêt & de considération. Tous les Anglais qui venoient en France, si bien reçus chez eux, s'empressèrent à leur tour de prouver leur reconnoissance. Mais tandis qu'ils en recevoient les témoignages les plus flatteurs, la mort de la jeune Princesse Sophie précipita leur départ; l'Assemblée des Notables, qui avoit été cause du renvoi de M. de Colonne, le fut aussi de la nomination de l'Archevêque de Toulouse, qui devint premier ministre sans en avoir le titre.

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Airin

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:41

globule a écrit:
Pourquoi dit-elle que tous les enfants avaient une mauvaise santé ? Suspect Marie-Thérèse était forte et solide.

En effet, c'est l'impression que cette jeune personne m'a toujours donné également. Wink
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Orchidée

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:47

Le Duc & la Duchesse arrivèrent à Versailles, au moment où il venoit de proposer un grand plan de réforme qui fut accepté; il portoit presqu'entièrement sur des gens de la Cour. Les places du Duc de Polignac furent supprimées les premières; & la Reine eut la bonté de dire alors, lorsqu'on lui parloit de l'effet que pouvoît produire un tel changement: " Personne n'a droit de se plaindre, puisque le Roi a commencée sa réforme par un des hommes que nous aimons le plus."

Aussitôt de retour de la Duchesse, la Reine alla passer quelques jours dans ce lieu délicieux que l'art embellit, mais sans autre luxe que l'abondance & la recherche des plus agréables productions de la nature. Trianon offroit aux étrangers de toutes les contrées, même les plus éloignées, les arbres, les plantes, & les fleurs de leur patrie. Un hameau présentait l'image des occupations douces & utiles des habitans des campagnes. Cest dans ce séjour tranquille, consacré à l'amitié, que Marie-Antoinette venoit se reposer de la fatigue des grandeurs, & c'est là que son cœur fut douloureusement affecté d'apprendre chaque jour à tous ceux que Sa Majesté daignoit appeller ses amis, la suppression de leurs charges, ou des graces qu'ils tenoient de ses bontés. Tous se dévouèrent en silence, quoique intimement persuadés de l'inutilité, peut-être même du danger de leurs sacrifices. Heureux, si le Ministre n'eut pas encore porté plus loin ses manœuvres insidieuses!

Le nombre des mécontens s'accroissoit tous les jours; déjà l'esprit de critique avoit gagné toutes les classes de la société. On disoit hautement son avis; on louoit, on blâmoit avec la plus grande liberté, les opérations du Gouvernement. La Reine ne l'ignoroit pas; toutes les méchancetés que le public se permettoit de débiter contre elle, lui étoient connues. Elle en étoit vivement touchée; souvent elle venoit repandre des pleurs dans le sein de son amie. La Duchesse agitée des mêmes craintes, les renfermoit avec soin, montroit de la sécurité pour calmer les inquiétudes de la Reine; elle soutenoit son courage, elle lui représentait qu'avec de la sagesse, de la fermeté, & de la douceur, on pouvoit ramener les esprits les plus égarés.

Cependant, le trouble augmente; les Etats-Généraux sont demandés, l'Archevêque renvoyé, M. Necker rappellé, & la Cour n'est pas plus tranquille. Louis XVI, qui ne désiroit que la paix, & le bonheur de ses peuples; Louis XVI, qui d'après sa conscience pure, ne pouvoit penser qu'il y eut des hommes assez pervers pour le trahir, pour lui cacher des vérités utiles, & mettre à leur place des illusions séduisantes; Louis XVI se laissa entraîner par la fausse vertu d'un homme hypocrite, bouffi d'orgueil, & dévoré d'ambition. L'âme sensible de ce vertueux Monarque ne pouvoit résister à ces mots: Le bonheur de vos peuples demande des sacrifïces. Cet infortuné Souverain n'a cessé d'en faire, sans obtenir le succès de ses vœux; il épargna le sang de ses sujets, & le sien fut versé: il espéroit au moins que sa mort rendroit le calme à la France; cette pensée adoucît l'amertume de ses derniers momens. C'étoit encore une illusion! Ce Royaume jadis si beau, si florissant, n'est plus qu'un théâtre de sang & de crimes. Cette Nation si douce, est devenue l'horreur de toutes les autres, par l'excès & la recherche de ses cruautés. Bientôt il ne restera plus que le sol de la France, si la justice Divine ne fait sentir promptement son bras vengeur, aux scélérats qui la gouvernent.
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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:55

Les Etats-Généraux s'étant assemblés à Versailles,on vit les différentes opinions se manifester, les partis se former. Celui du Ministre Necker, contre le Clergé & la Noblesse, étoit connu depuis longtems. Protestant, républicain, & banquier, il vouloit détruire la Religion, la Monarchie, & se conserver puissant & riche. Son amour-propre, & le peu de connoissance qu'il avoit des hommes qu'il vouloit gouverner, ont perdu le Royaume & lui-même.

La maison du Duc & de la Duchesse de Polignac fut ouverte à tous les députés. La sagesse de leur conduite leur gagna l'estime de tous ceux dont les principes étoient purs ; mais leur attachement, leur fidélité, leur dévouement pour les Souverains qui les aimoient, ne fit qu'irriter, & leur perte fut jurée.

La Majesté Souveraine en impose longtems: ce n'est que par degrés qu'on parvient à l'attaquer; il faut d'abord éloigner tous ceux dont l'âme incorruptible ne connoît que l'honneur. Quel en est le plus sûr moyen? C'est de les rendre suspects. Un soupçon devient une preuve évidente aux yeux de la multitude. Tel a été le principe de conduite des chefs de la Révolution, & pour le propager, ils ont semé l'or à pleine main. Ils avoient à leur solde une foule de détracteurs & de libellistes, dont les calomnies injustes alimentoient la sotte crédulité des provinces.

Le Palais-Royal étoit devenu le rendez-vous des révolutionnaires de toutes les classes. Les motions des plus incendiaires y étoient le mieux accueillies. On y mettent à prix la tête de Mgr. Comte d'Artois, celle de M. le Prince de Condé, de sa famille; & la Duchesse de Polignaç n'étoit point oubliée dans cette honorable proscription. La police n'ayant pas sévi contre cette première audace, la licence ne connut plus de frein.

Le Marquis de la Fayette, vil courtisan de M. Necker, étoit parvenu à corrompre les soldats du régiment des Gardes-Françoises. Un peu d'éloquence, beaucoup d'argent, tels furent ses moyens. Dès-lors plus de subordination, plus de discipline: il ne restoit dans les différens postes, que des officiers désespérés de la défection de leurs soldats. Plusieurs pensèrent perdre la vie, en cherchant à les ramener à l'honneur. Cette troupe séduite s'étoit laissé facilement persuader de refuser obéissance à ses chefs, s'ils commandoient de marcher contre le Palais-Royal. Les factieux leur étoient représentés comme des Citoyens, des frères, qui n'avoient d'autres vues, que de rendre le peuple heureux & libre, que d'éclairer leur Monarque sur les personnes qui l'entouroient, & nuisoient à ses bonnes intentions. Bientôt l'état de Paris devint si effrayant, que le Roi fut obligé de faire venir des troupes à Versailles, Le Maréchal de Broglie fut nommé pour les commander. On renvoya M. Necker, & son parti furieux ne connut plus de bornes.

Ce parti, composé d'ambitieux, de gens avides & de mécontens, étoit devenu très-nombreux; il s'étoit partagé les provinces, où l'argent & les calomnies lui procuraient tous les jours de nouveaux prosélites. Le renvoi de ce Ministre fut donc lé signal du soulèvement de toute la France. Mais pour arriver à son but, il ne falloit pas démontrer des projets purement séditieux. Le peuple n'étoit pas assez égaré; il aimoit & respectoit encore ses Souverains & sa Religion. On eut recours à la ^plus vile populace. On en soudoya un assez grand nombre pour effrayer la capitale. On força les prisons, on dégagea des fers les voleurs & les assassins, une terreur panique fut répandue dans Paris. Cette ville fit demander au Roi la permission de lever une milice bourgeoise, pour sa sûreté, dont le Marquis de la Fayette fut le chef. On assura le Roi que c'étoit le seul moyen de rétablir la paix. Il l'adopta: on le trompoit cruellement.
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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:56

Orchidée, merci de recopier tout ce long texte pour nous. Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) 914132

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 20:56

C'est passionnant.
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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 21:01

Cette garde bourgeoise, une fois établie, voulut donner la loi à son Souverain ; aidée par la populace qu'elle faisoit mouvoir à son gré, elle força les Invalides, prit vingt-six mille fusils, pour armer ses nouvelles cohortes, assiégea la Bastille, qui fut prise par trahison; massacra le Gouverneur de cette forteresse, & le Prévôt des Marchands, pour avoir été soupçonné de n'être pas l'ami du peuple. Sous le spécieux prétexte que les troupes rassemblées à Versailles, inspiroient de l'inquiétude aux Parisiens, on en demanda le renvoi, & celui des Ministres Bréteuil & la Vauguyon. L'Assemblée se chargea d'exiger le retour de M. Necker. Le Roi fit encore ces grands sacrifices à l'espoir de voir renaître l'union & la paix: l'armée fut aussitôt licenciée, & la capitale envoya une députation à Versailles, pour supplier Sa Majesté de venir le lendemain à l'Hôtel-de-Ville, pour jouir du nouveau bonheur qu'il procuroit à son peuple, & recevoir les remercimens qui lui étoient dûs. Cette adresse insolente, sous l'apparence du respect, fut acceptée. Le Roi promit d'aller à Paris.

Ce fut dans l'espace de quatre jours que se passèrent tous ces événemens douloureux & effrayans, & qui n'étoient que le prélude de plus grands attentats. Cependant la Reine étoit instruite de toutes les motions qu'on faisoit contre elle, & contre toutes les personnes qu'elle honoroit de ses bontés. Elles devinrent si inquiétantes, que Sa Majesté envoya chercher le Duc & la Duchesse de Polignac, le 16 Juillet, à huit heures du soir, & les pria instamment de partir dans la nuit même. Ils s'y refusèrent longtems. La Reine s'efforçoit inutilement de peindre à la Duchesse tous les dangers qui la menaqeoient. Cette femme courageuse & sensible ne voyoit que ceux de la Reine, & vouloit les partager. Sa Majesté ne sachant plus de quel moyen se servir pour la déterminer, & frémissant de chaque instant qui suspendoit son départ, lui dit, en versant un torrent de larmes: "Le Roi va demain à Paris: si on lui demandoit....Je crains tout; au nom de notre amitié, partez: il est encore tems de vous soustraire à la fureur de mes ennemis; en vous attaquant, c'est bien plus à moi qu'on en veut, qu'à vous-même; ne soyez pas la victime de votre attachement, & de mon amitié." Le Roi entra dans cet instant, & la Reine lui dit: "Venez, Monsieur, m'aider à persuader à ces honnêtes gens, à ces fidèles amis, qu'ils doivent nous quitter." Le Roi s'approchant du Duc & de la Duchesse, les assura que ce conseil de la Reine étoit le seul à suivre; il ajouta: "Mon cruel destin me force d'éloigner de moi tous ceux que j'estime & que j'aime : je viens d'ordonner au Comte & Artois de partir ; je vous donne le même ordre; plaignez-moi, mais ne perdez pas un seul moment; emmenez votre famille; comptez sur moi dans tous les tems: je vous conserve vos charges."
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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 21:07

Quelques larmes échappèrent des yeux de ce bon Roi; il serra la main de la Duchesse, & se retira pour laisser couler en liberté celles de son auguste épouse. Quel adieu pour cette Princesse infortunée! Quel jour funeste! Elle ordonnoit à des amis éprouvés depuis quinze ans, à des sujets fidèles, de s'éloigner; & ne restoit entourée que d'espions & de traîtres, qui cherchoient à la conduire d'abyme en abyme.

A minuit, la Duchesse reçut ce petit mot de la Reine: "Adieu, la plus tendre des amies! que ce mot est affreux! mais il est nécessaire! Adieu! je n'ai que la force de vous embrasser."

Tandis que la Reine se livrait à ces cruelles réflexions, le Duc & la Duchesse de Polignac, leur fille & leur sœur, dans l'ombre de la nuit, cherchant les chemins les plus détournés, abandonnent le Palais de leurs Souverains, qui joignoient à cet auguste titre, ceux de bienfaiteurs & d'amis. Us jettent en s'éloignant des regards douloureux sur cette triste enceinte; ils oublient dans dans cet instant tous les dangers qui les menacent, leur cœur est déchiré de l'affreuse pensée qu'ils ont laissé leurs Souverains entourés de leurs plus cruels ennemis; l'obéissance paroît en ce moment à leurs yeux, un manque de fidélité & de dévouement. La Duchesse perdant ce calme qui lui étoit naturel, se trouble, se reproche d'avoir abandonné les augustes enfans, ce dépôt sacré, confié à l'amitié; "il falloit plutôt mourir à leurs pieds, disoit-elle, que d'obéir: que m'importe la vie, si l'on peut me soupçonner "un instant d'avoir trahi mon devoir!" Puis laissant tomber ses regards sur son mari, sur sa fille, lisant dans leurs yeux le trouble & l'inquiétude qui régnoient dans leur âme, se rappellant ses autres enfans, dont les deux plus jeunes échappoient d'un autre côté à ses persécuteurs; sa tendresse pour eux, l'horreur que le traitement cruel qui lui étoit réservé répandroit sur leur vie entière, lui rendirent moins amère sa soumission aux ordres de la Reine; elle sentit plus vivement tout ce qu'elle lui devoit de reconnoissance.

Les trois jours & trois nuits que dura son voyage, se passèrent néanmoins dans une agitation difficile à décrire. Le regret d'être partie, la crainte d'être arrêtée, & sans doute massacrée, l'ignorance du sort de M. le Comte d'Artois, parti en même tems qu'elle, des inquiétudes vives & fondées sur le voyage du Roi à Paris, telles étoient les pensées qui ne laissoient aucun repos dans l'âme de la Duchesse & de sa famille.

Le Roi ayant donné au Duc de Polignac un passeport sous un nom étranger, il traversa toute la France, comme négociant de Bâle. Dans toutes les villes il trouva une garde bourgeoise déjà établie: il fut plus ou moins questionné, selon le bon ou mauvais esprit qui régnoit dans la province; mais partout, il vit la haine se manifester de telle manière contre la Noblesse, qu'il lui parut nécessaire de ne pas perdre un moment pour sauver ce qu'il avoit de plus cher. Il résolut dé ne plus s'arrêter, de ne prendre aucun repos, & même à peine de la nourriture, qu'il ne fut hors des frontières; ce qui n'arriva que le troisième jour à midi.

Arrivés enfin à la borne qui sépare la France de la Suisse, avec quelle joie ils s'embrassèrent! ils échappoient tous quatre à la mort infâme réservée aux seuls criminels. Ils pouvoient se regarder avec tranquillité, ils ne craignoient pas de se voir arrachés des bras les uns des autres. Ces momens eussent été bien doux, si des souvenirs cruels ne les avoient empoisonnés; mais la position présente du Roi, de la Reine, de M. le Comte d'Artois, celle du fils ainé du Duc de Polignac, qui étoit resté avec son régiment près de Versailles; toutes ces cruelles idées firent succéder des larmes amères à celles qui, peu de momens avant, leur avoient paru bien douces.

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 21:08

C'est dur quand même, ce récit. Sad

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 21:15

Ils s'arrêtèrent à Porentru, pour se reposer d'un voyage aussi fatigant; ils y couchèrent, & le lendemain ils continuèrent leur route. En arrivant à Bâle, ils apprirent que M. Necker les y avoit précédés d'un jour. La Duchesse persuadée qu'il savoit son rappel, & qu'il retournoit à Versailles, se hâta d'écrire à la Reine, selon les ordres de Sa Majesté, pour lui apprendre son heureuse sortie. Elle envoya la lettre au Baron de Staël, en le priant de la remettre lui-même à la Reine, aussitôt qu'il seroit arrivé, ne doutant pas qu'il n'accompagnât son beau-père. Le Baron vint aussitôt lui demander de la part de M. Necker, la permission de la voir, afin qu'elle eut la bonté de lui expliquer une énigme qu'il ne pouvoit comprendre. Elle ne se refusa point à cette extraordinaire demande, & reçut M. Necker; elle lui apprit son rappel, qu'il ignoroit, ou feignoit d'ignorer. Car s'il n'en avoit pas la certitude, au moins étoit-il bien sûr, que d'après les mesures qu'il avoit prises, cet événement ne devoit pas tarder. Elle lui parla de toutes les horreurs qui s'étoient déjà commises; lui apprit le départ de M. le Comte a"Artois, de ses enfans & de M. le Prince de Condé.

Cette conversation fut très-longue; elle n'oublia pas d'ajouter à ces tristes nouvelles, tout ce qu'elle avoit pu voir & apprendre dans sa course rapide, le trouble qui régnoit dans les provinces, surtout en Franche-Comté, où l'on brûloit tous les châteaux. Le citoyen de Genève, paroissant s'affliger au récit des maux de la France, dont il étoit le principal auteur, feignit de vouloir prendre des avis sur la position présente; pouvoit-il rentrer au Ministère? avoit-il les moyens d'arrêter cette effervescence dangereuse? ne seroit-il pas gêné dans ses opérations? Il vouloit sans doute, par toutes ces questions insidieuses, savoir de la Duchesse, quels étoient les sentimens de la Reine à son égard: mais il avoit à faire à une personne aussi sage que prudente; ses réponses mesurées ne purent l'éclairer que sur les faits. Il termina cet entretien, en l'assurant de tout l'intérêt qu'il prenoit à son sort; il ajouta même que, s'il retournoit en France, il espéroit l'y revoir bientôt; qu'il étoit impossible qu'on ne lui rendît pas toute la justice qu'elle méritoit.

Malgré l'apparente indécision de M. Necker, la Duchesse donna ses lettres au Baron de Staël. Le courier qui apportoit la lettre du Roi, arriva le lendemain, en même tems que la femme & la fille du ministre rappellé. Il y eut entre eux un long combat, pour déterminer l'acceptation ou le refus. Ce n'est pas qu'ils ne fussent tous bien d'accord mais il falloit nécessairement faire valoir cette soumission aux yeux du public. La Baronne de Staël se jetta donc aux pieds de son père, employa son esprit, ses prières, & ses larmes, pour l'attendrir sur le sort de la France; lui seul pouvoit rendre à ce beau Royaume la paix & le bonheur; lui seul en avoit les moyens; lui seul sauroit les employer, & chaque minute qui retardoit son retour, le rendoit coupable envers l'humanité. M. Necker, ne trouvant rien à opposer à l'éloquence véhémente de sa fille, céda & partit. Mais ce grand philosophe, dans tout le cours de sa vie, n'avoit pas sans doute eu le tems d'étudier les hommes; il ignoroit que la faveur publique, surtout parmi ce qu'il appelle des hommes libres est un sentiment éphémère, aussi peu durable que la vie de ces papillons du printems, qui nés le matin d'un beau jour, sont détruits le soir par un orage. Il en fit la triste expérience; six mois suffirent pour le convaincre de cette vérité: son crédit s'affoiblissant de jour en jour, il se vit contraint d'abandonner le sublime projet de gouverner la France, après en avoir commencé la destruction. Quel chemin pour arriver au pouvoir suprême! prême! Mais revenons au Baron de Staël, chargé des lettres de la Duchesse de Polignac.

A son arrivée à Versailles, il les avoit remises avec exactitude à la Reine. Sa Majesté lui avoit fait mille questions remplies d'intérêt; mais comment répondre? Déjà toutes les lettres étoient ouvertes à l'Hôtel-de-Ville de Paris; il fallut attendre qu'un moyen sûr le lui permit.

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 21:23

Peu de jours avant l'arrivée de M. Necker, on avoit massacré l'Intendant de Paris & son beau-père. La populace soudoyée les avoit accusés de trahison envers le peuple, & de sa propre autorité, elle les avoit arrêtés, condamnés, exécutés. Ces affreuses nouvelles arrivées à Bâle, persuadèrent enfin à la Duchesse qu'elle n'avoit aucun reproche à se faire d'avoir suivi les ordres de Leurs Majestés. Elle apprit en même tems, que ses deux plus jeunes enfans étoient arrivés heureusement à Bruxelles, & M. le Comte d'Artois à Namur. La certitude qu'une partie des personnes qui lui étoient chères avoient échappé, comme elle, aux dangers qui les menaçoient, remit un peu de calme dans son âme; mais bientôt la lecture de quelques écrits infâmes qui se répandoient contre elle, y porta un nouveau trouble: elle en reçut même une impression si forte, qu'il est impossible de ne pas les regarder comme une des causes de sa mort prématurée. Ses amis ne parvinrent jamais à lui persuader, que des productions sorties de la plume des plus vils écrivains, en cherchant à déchirer sa réputation & son honneur, n'attaquoient ni l'un ni l'autre; que les expressions basses, & les accusations absurdes dont ils étoient remplis, ne pouvoient produire aucun effet sur l'homme de bon sens. La justesse de ces réflexions ne frappoit point son esprit ; son cœur restoit profondément affecté d'un sentiment douloureux, en pensant que son nom & celui de toute sa famille alloient devenir l'objet de la haine universelle; que l'auguste Antoinette, sa bienfaitrice & son amie, seroit blâmée d'avoir placé toute sa confiance dans une personne qui en paroissoit si peu digne aux yeux de toute l'Europe: elle ne doutoit pas qu'on ne l'accusât d'avoir entraîné cette grande Princesse au bord de l'abyme où elle se trouvoit.

La pureté de sa conscience, la certitude de n'avoir jamais donné à la Reine aucun conseil qui n'eût pour but sa gloire ou son bonheur, ne pouvoient adoucir l'amertume dont son âme étoit pénétrée: elle ne se reprochoit aucunes démarches; elles avoient toutes été dictées par un sentiment noble. Elle ne s'étoit jamais servi de l'amitié & de la confiance qu'elle avoit inspirées à ses Souverains, que pour être utile à ceux qui, ne les approchant pas de si près, trouvoient souvent de la difficulté à faire connoître la position fâcheuse de leur fortune ; à ceux qui, par des intrigues de Cour, avoient été présentés à Leurs Majestés sous un jour défavorable. Chercher à détruire les préventions injustes, est l'emploi le plus doux de l'amie d'une Souveraine; telle a été l'occupation de la Duchesse de Polignac pendant quinze années. Ce retour sur elle-même auroit dû la fortifier contre une calomnie inventée par les âmes les plus basses. Malheureusement, son expérience lui avoit appris, qu'une satire plaît bien plus qu'un éloge; aussi toutes les consolations que ses amis cherchèrent à lui donner adoucirent, mais ne purent guérir la plaie de son cœur.

Pendant le séjour qu'elle fit à Berne, elle passa quelques momens bien doux; tous ses enfans vinrent la joindre, quelques-uns de ses amis, & M. le Comte d'Artois. Mais plusieurs lettres du Roi & de la Reine, qu'elle reçut alors, lui firent verser bien des larmes. Dans une de ces lettres, la Reine lui mande: "Ma santé se soutient encore; mais mon âme est accablée de peines, de chagrins, & d'inquiétudes; tous les jours j'apprends de nouveaux malheurs; un des plus grands pour moi, est d'être séparée de tous mes amis; je ne rencontre plus des cœurs qui m'entendent." Dans un autre, Sa Majesté s'exprime de cette manière: " Toutes vos lettres à M. de **** me font grand plaisir; je vois au moins de votre écriture; je lis que vous m'aimez, cela me fait du bien; soyez tranquille, l'adversité n'a pas diminué ma force & mon "courage, & m'a donné plus de prudence." Elle reçut aussi plusieurs lettres du Roi, remplie de bonté, d'intérêt, & surtout d'espérance de la revoir.

Le séjour de la Duchesse en Suisse, ne fut que de deux mois. Le Duc désira de l'éloigner encore plus de ses persécuteurs; il espéroit que de nouveaux objets, un climat différent, une distraction forcée soutiendroient sa santé, & l'empêcheroient de succomber à ses peines. Il choisit l'Italie, comme le pays le plus curieux à connoître, & le plus fait pour distraire, par la variété des objets intéressans qu'on y rencontre à chaque pas: ils partirent de Berne à la fin de Septembre, & s'arrêtèrent huit jours à Turin; ils les passèrent avec M. le Comte & Artois. Ce Prince, bien digne d'avoir des amis, fut enchanté de se retrouver au milieu de cette famille, qu'il aimoit depuis quinze années: mais, le destin cruel alloit empoisonner de nouveau les momens, que la fidèle amitié venoit de rendre si doux. Bientôt ils apprirent le fatal événement du cinq Octobre: ils répandirent des larmes amères sur le sort des infortunés Souverains de la France. Celui de la Reine surtout, déchiroit l'âme de la trop sensible de la Duchesse: elle craignoit alors bien plus pour cette Princesse, que pour le Roi : elle connoissoit la haine profonde que lui portoient tous les chefs de la Révolution. Ces tristes & douloureuses pensées ne la quittèrent plus, & toutes les beautés de l'Italie ne purent l'en distraire. En arrivant à Rome, elle pensa succomber à tant de chagrins; mais son heure n'étoit pas encore venue, & la somme de ses malheurs n'étoit pas à son comble.

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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 21:26

globule a écrit:
C'est dur quand même, ce récit. Sad

Oui, c'est vraiment triste et intéressant à la fois de lire ces événements que nous connaissons si bien racontés si j'ose dire de l'extérieur.

Le récit de la comtesse est d'une grande précision et si je ne me trompe, les citations des lettres elles-mêmes sont exactes (ou à très peu près). Elle devait les avoir sous les yeux, ou une mémoire extraordinaire.
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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 21:37

Elle fut reçue à Rome, comme elle méritoit de l'être, avec égard &c considération. L'esprit juste & pénétrant du Cardinal de Bernis, Ambassadeur de France, ne fut pas longtems à découvrir toutes les qualités de cette femme intéressante. Sa raison l'étonnoit, autant que la simplicité de ses manières le charmoit; son courage & ses malheurs la lui avoient rendu chère. Comme elle, il avoit été calomnié, avoit soutenu l'adversité avec courage, & la prévoyoit encore avec tranquillité. Le suffrage d'un tel homme, est le plus digne éloge des qualités de la Duchesse.

Aussi lui conserva-t-elle jusqu'au dernier moment, le sentiment de la plus tendre reconnoissance.

Pendant son séjour à Rome, elle reçut deux lettres de la Reine, & ce furent les dernières. Elle disoit: " J'ai pleuré d'attendrissement, en lisant vos lettres: vous parlez de mon courage: il en faut bien moins pour soutenir les momens affreux, où je me suis trouvée, que pour supporter journellement notre position, ses peines à soi, celles de ses amis, & celles de tous ceux qui nous entourent. C'est un poids trop fort à supporter, & si mon cœur ne tenoit par des liens aussi forts à mon mari, mes enfans, mes "amis, je désirerois de succomber: mais vous autres me soutenez : je dois encore ce sentimen à votre amitié. Mais moi je vous porte à tout malheur, & vos peines sont pour moi, & par moi." Sa-Majesté ajoute: "Je suis bien aise de savoir que M. de Giche vous a rejoint; c'est un gendre digne de vous, & de votre mari par son attachement pour nous, & sa loyauté." Dans une autre, & ce fut la dernière qui parvint à la Duchesse, la Reine lui mandoit; "J'espère que votre mari aura reçu ma réponse ; je me "plaisois à l'écrire, puisqu'au moins je pouvois "vous parler un moment à tous deux, de mes sentimens. Le mariage d'Armand me fait grand plaisir. Mon mari sachant que je vous écris, me charge de vous dire bien des choses. J'ai été bien malheureuse par la perte que je viens de faire de mon frère ; mais la force & le courage qu'il a mis dans ses derniers momens m'assurent qu'il est mort digne de moi." A la fin de cette lettre, il y avait; " J'ai vu les enfans de votre fille. Comment ne m'en occuperois-je pas? ne sont-ils pas à moi aussi? "n'est-elle pas ma fille d'adoption?" Qui pourra lire sans attendrissement, ces expressions touchantes! Amie tendre, & toujours Reine, l'auguste Antoinette a conservé jusqu'au dernier moment la sensibilité de son cœur, la noblesse de son ame, la fierté de son rang. Douloureuse pensée ! elle n'est plus, & sa mort n'est pas encore vengée!

Le Duc de Polignac fut obligé de quitter Rome pour le mariage de son fils. Les parens de Mlle. de Nivenheim, ayant désiré qu'il se fît à Venise, la Duchesse ne put se séparer du Cardinal de Bernis, sans un regret sincère: mais elle ne pouvoit retarder son départ; elle alloit assurer le bonheur de son fils. La République de Venise la reçut avec l'obligeance qui caractérise la Nation Vénitienne, & l'intérêt que le personnel de la Duchesse & ses malheurs devaient inspirer. Elle passa l'été de 1790 dans une campagne auprès de Venise, où le mariage de son fils fut conclu. Elle y reçut plusieurs lettres du Roi; la Reine n'osoit plus écrire, elle étoit trop surveillée. Ces lettres étoient toutes remplies d'intérêt pour elle, & pour toute sa famille; il y regnoit une simplicité de style & d'expressions, qui les rendoit aussi touchantes, qu'intéressantes. En parlant de la Reine, il il écrivoit; "Votre amie est malheureuse, & bien mal jugée, mais je me flatte qu'un jour on lui rendra justice. Cependant les méchans sont bien actifs; on les croit plus que les bons; vous en êtes bien une preuve." Dans une autre, il disoit: "Je sais que vous avez été bien reçue à Rome, j'en estime plus les Romains; si tout le "monde pensoit comme moi, vous seriez accueillie partout." Il parloit ensuite de toute la famille de la Duchesse, & de son intérêt pour eux tous. Il terminoit en disant : " Depuis dix-huit "mois il n'y a ici que des choses bien tristes à voir & à entendre; on ne prend pas d'humeur; mais on est peiné, attristé, d'être contrarié par tout, & souvent mal jugé." Il pensoit avec plaisir au moment qui le réuniroit à ceux, qu'il daignoit appeller ses anciens amis. Quelquefois se livrant à la mélancolie, il disoit: "Ma "lettre sera bien courte aujourd'hui; mon âme est triste, & je ne veux pas affliger la vôtre, elle n'est déjà que trop affectée. Que votre courage vous soutienne; ménagez votre santé pour soigner celle de vos amis dans des tems plus "plus heureux. Je songe bien souvent à vous tous."

Après un voyage que Leurs Majestés avoient fait à St. Cloud, le Roi mandoit: "J'arrive de la "campagne; l'air nous a fait du bien, mais que ce séjour nous a paru changé. Le sallon du déjeûné, qu'il étoit triste! aucun de vous n'y étoit. Je ne perds pas l'espoir de nous y retrouver. Dans quel tems? je l'ignore. Que de choses nous aurons à nous dire! La santé de votre amie se soutient, malgré toutes les peines qui l'accablent. Adieu, Madame la Duchesse, parlez de moi à votre mari, & à tout ce qui vous entoure, & dites vous bien que je ne serai heureux, que le jour où je me retrouverai avec mes anciens amis."

Une telle correspondance adoucissoit les peines de la Duchesse; malheureusement les événemens qui suivirent, en arrêtèrent le cours.


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MessageSujet: Re: Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac)   Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac (par Diane de Polignac) Icon_minitimeDim 3 Mar - 21:49

Dans l'hiver de 1791, M, le Comte d'Artois vint passer un mois à Venise: l'incognito qu'il voulut voulut garder, ne rendit son arrivée & son séjour en cette ville, que plus intéressant. Les hommages qu'on lui rendoit, sembloient être ceux du cœur; il y regnoit un empressement mêlé de ce respect dû à son rang. On cherchoit à le distraire de ses malheurs, en lui présentant une nation douce, obligeante, hospitalière; & pour un moment il se crut dans sa patrie, au milieu de ce peuple jadis adorateur de ses Souverains. A cette illusion courte & flatteuse, succéda le sentiment de la plus vive reconnoissance: il quitta la République, enchanté de l'accueil qu'il y avoit reçu, & se sépara de la Duchesse de Polignac avec le regret qu'on éprouve de s'éloigner d'une amie. Mais il partoit sous des auspices heureux: il venoit de quitter l'Empereur Léopold ; l'espoir étoit rentré dans son cœur, il le fit passer dans l'âme de la Duchesse 8c de sa famille. Le départ de cet aimable Prince leur devint moins douloureux; ils voyoient tous en lui le Dieu tutélaire de la France, & pleins de confiance, ils eussent plutôt cherché à presser son départ, qu'à l'arrêter: mais l'âme sensible & courageuse de ce Prince devoit être encore longtems éprouvée, & déchirée par les plus cruels malheurs: en arrivant à Coblentz, il apprend la fuite & l'arrestation du Roi, & son retour à Paris.

Louis XVI avant employé tous les moyens, fait tous les sacrifices qu'un Souverain peut faire, afin de ramener un peuple qui s'égaroit de plus en plus, & voyant augmenter tous les jours les dangers qui menaçoient sa vie, & celle de sa famille, se détermina à fuir d'une ville où regnoit le plus affreux désordre, qu'il n'étoit plus en son pouvoir d'arrêter. Il comptoit sur la fidélité de quelques régiments qui résistaient à la corruption générale; & il n'ignoroit pas qu'un grand nombre de ses sujets fidèles n'attendoient que ses ordres, pour se ranger autour de lui. Il partit avec la Reine, ses enfans, & la Princesse Elisabeth sa sœur, dont la vertu & la piété adoucissoient ses peines & soutenoient son courage; mais la Providence avoit ordonné autrement du sort de cette auguste famille. Ce vertueux, & trop infortuné Monarque fut trahi, arrêté, & ramené dans cette ville, de tout tems rebelle à ses maîtres. Les Parisiens, car je les sépare des François, sourirent à la vue de leur Souverain, ramené comme un criminel au milieu d'eux; ils avoient déjà oublié ce respect dû au rang suprême; cet antique amour des François pour leur Roi, étoit éteint dans leurs cœurs. Ils le virent avec joie rentrer sous le joug des scélérats, qui brisoient & son sceptre, & sa couronne: cet événement cruel fut bientôt repandu dans toute l'Europe; mais avec différentes circonstances: la fuite de Monsieur & de Madame, plus heureuse que celle du Roi, causa la variété des nouvelles; plusieurs lettres annonçaient l'arrivée du Roi à la frontière.

La Duchesse de Polignac, alors à Vicense, passa trois jours dans les plus vives inquiétudes, & ne se livra pas un seul instant à l'espérance. Elle apprit bientôt tous les détails de ce funeste voyage, par un courier qui les apporta à l'Empereur Léopold, alors à Padoue. Sa douleur fut profonde, & ses espérances pour le salut de ses Souverains, bien légères.

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