Le champagne aurait d’abord été affaire de femme. Barbe-Nicole Ponsardin épousa François Clicquot, marchand de vin, qui mourut en 1805. La veuve reprit la maison. On lui attribua le premier champagne « moderne » en 1811. Elle le vendit dans les cours d’Europe, « faisant du champagne le vin de choix des vrais et prétendus aristocrates, et de Veuve Clicquot, la principale marque ». Cette anecdote s’insère dans cette passionnante histoire des femmes d’affaires, du XVe siècle à nos jours, que raconte Béatrice Craig.
L’entreprise, c’est le cas de le dire, est vaste. L’historienne rend visibles les femmes d’affaires du passé, tout en recensant « les facteurs qui ont conditionné leurs activités, la manière dont ces facteurs ont évolué dans le temps et varié dans l’espace, et en particulier en quoi l’expérience des femmes a différé de celle des hommes ».
Béatrice Craig montre que les femmes se lancèrent en affaires par nécessité, pour être indépendantes, améliorer leur situation ou faire fortune. Leurs activités étaient acceptées par leurs contemporains « aussi longtemps qu’elles ne violaient pas ouvertement les normes de genre de l’époque, normes qui pouvaient être inscrites dans le droit et reflétées par les institutions ».
L’un des mérites de ce livre est de remettre en question la notion des « sphères distinctes » selon laquelle les hommes devaient s’occuper du domaine public et les femmes, de la sphère privée. L’historienne montre que des femmes d’affaires surent parfois utiliser les arguments liés au genre pour tenter d’exclure les hommes des domaines qu’elles occupaient. Ainsi, ces lingères qui s’opposèrent aux merciers en France au XVIIIe siècle ou ces hommes découragés, au nom des valeurs masculines, d’oeuvrer dans la fabrication de la dentelle.
La perspective internationale privilégiée par Béatrice Craig met en lumière la multiplicité des rôles tenus par ces femmes, peu importent les couches sociales. Ces rôles furent multiples : épouse soutenant le conjoint, fille ou veuve reprenant l’affaire familiale, fondatrice d’entreprise, surtout dans des domaines « concédés » aux femmes tels que l’alimentation, le vêtement et la mode.
Des femmes, comme Estée Lauder, profitèrent des occasions d’affaires créées notamment par le développement de la société de consommation. Par exemple, Melitta Bentz breveta en 1908 la cafetière-filtre. Vers 1920, Ida Rosenthal développa les vêtements pour femme enceinte et le soutien-gorge avec notation standardisée des bonnets.
« L’implication des femmes dans les affaires semble avoir fluctué à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle […]. Cependant, le manque de statistiques fiables et comparables demande de la prudence ». De fait, écrire une telle histoire internationale comporte des écueils, dont la disponibilité relative des sources. Béatrice Craig surmonte ces défis méthodologiques. Elle offre une synthèse accessible qui comble un vide historiographique. Une oeuvre nécessaire, car les femmes demeurent sous-représentées dans le monde des affaires.
La photo vaut son pesant de cacahuètes.
Photo: Archives Agence France-Presse
Des femmes, comme Estée Lauder (avec un chapeau), profitèrent des occasions d’affaires créées par le développement de la société de consommation.https://www.ledevoir.com/lire/549398/critique-encore-du-chemin-a-faire
Si je le croise, je l'adopte. Après lecture, je vous ferai un brief.