Comme convenu, je reviens vous raconter l’histoire de la collection Paul Rosenberg, et en particulier durant la seconde guerre mondiale et les années qui suivirent le conflit.
Si le sujet vous intéresse, je vous conseille la lecture de :
Le musée disparu. Enquête sur le pillage d’oeuvres d’art en France par les nazis, de Hector Feliciano.
Un bouquin passionnant, grâce auquel je reviens vous faire ce petit exposé...
Vous vous souvenez, nous avions parlé de Paul Rosenberg en évoquant la fortune de Anne Sinclair, sa petite-fille, dans le sujet sur l’affaire DSK.
Reprenons.
L’homme est galeriste, marchand d’art et grand collectionneur.
De son père, il a déjà hérité du formidable patrimoine que celui-ci avait accumulé à la fin du XIXème siècle.
Avec son frère, il perpétue le commerce de la galerie parisienne.
Mais Paul Rosenberg est un amateur d’art averti, et il s’est aussi intéressé à l’art contemporain de l’époque, auquel il croit.
Et il a raison ! Les oeuvres qu’il aime, et les artistes qu’il soutient, sont parmi les chefs-d’oeuvres de l’art que nous appelons « moderne » aujourd’hui.
Bref, vous l’avez compris : un patrimoine artistique énorme, presque impossible à évoluer aujourd’hui : des centaines de toiles des plus grands maîtres de l’art impressionniste et moderne.
La collection d’oeuvres d’art de Paul Rosenberg était alors une des plus importantes d’Europe.
Quelques mois avant le début de la guerre, le marchand d’art commence à transférer quelques tableaux de sa collection dans l’une de ses résidences secondaires, près de Tours.
Toujours à la même période, une grande exposition consacrée à Picasso est organisée aux Etats-Unis.
Contacté par les commissaires de l’exposition, Paul Rosenberg est sollicité, et accepte de prêter quelques toiles du peintre.
Il fait donc embarquer, sur un cargo, quelques dizaines de toiles qui sont ainsi acheminées vers New-York.
Enfin, et toujours par mesure de précaution, il expédie d’autres tableaux dans sa seconde galerie, à Londres.
Lorsque le conflit éclate, c’est bien le gros de sa collection privée et des stocks de sa galerie qui se trouve encore en France : à Paris donc, et à Tours.
En tout, plus de 300 tableaux de maîtres, ou de (futurs) grands artistes du XXème siècle.
Aidé de son fils et de son chauffeur, un certain Louis Le Gall, Paul Rosenberg décide d’inventorier précisément l’ensemble des oeuvres encore en sa possession.
Lorsque les Allemands lancent l’offensive contre la France, le marchand d’art continue de transférer une partie de sa collection à Tours, mais cette fois sous le nom du beau-frère de son chauffeur.
D’autres oeuvres restantes sont envoyées à Libourne.
Elles seront entreposées dans le vaste coffre-fort d’une banque.
Dans cette succursale, à titre d’exemple, se trouvent 162 peintures : et notamment l’auto-portrait de Van Gogh, des Seurat, Cézanne, Ingres, Delacroix, Corot, Courbet, Monet, Gauguin, et naturellement encore plusieurs dizaines de Picasso et de Matisse.
Il incite Georges Braque, son ami, à louer un coffre-fort dans la même banque : le peintre y dépose ses propres oeuvres, et d’autres de sa collection personnelle, dont un Cranach.
Non loin de Libourne, Paul Rosenberg transfère une centaine de toiles dans son autre résidence secondaire, celle de Floirac : les Picasso auxquels il est le plus attaché, des Degas, Corot, Braque, Monet ou encore un...David !
La France tombe.
C’est l’exode sur les routes, la débâcle.
Tous ses amis parisiens qui fuient la capitale et passent, dans leur exode, par Floirac, finissent par convaincre Paul Rosenberg de quitter la France.
Début Juin 1940, avec sa femme et sa fille (la maman d’Anne Sinclair), il parvient à se réfugier en Espagne, puis au Portugal.
Son fils, Alexandre, est néanmoins bloqué à la frontière, et reste en France.
Il a l’âge d’être enrôlé dans l’armée, et on ne le laisse donc pas passer.
Lorsqu’il entend l’appel du général de Gaulle, Alexandre décide de fuir, et parvient sous des déguisements et une fausse identité à passer en Angleterre.
Arrivé sur le sol anglais, comme à tous les étrangers en situation irrégulière, les autorités lui demandent de citer un ou plusieurs sujets britanniques de sa connaissance.
Alexandre répond : Winston Churchill !!
C’est que le Premier ministre anglais, peintre du dimanche à ses heures perdues, avait l’habitude d’emprunter des chefs-d’oeuvres à la galerie Rosenberg, afin de s’en servir comme modèles...
De Lisbonne, où il vient d’arriver avec toute sa famille, Paul Rosenberg donne des ordres à son chauffeur, Le Gall, afin que celui-ci organise le transfert des tableaux restés à Floirac vers New-York.
En effet, le collectionneur a réussi à obtenir des visas pour les Etats-Unis.
Il embarque avec sa femme et sa fille à bord d’un transatlantique, et file vers New-York.
Paul Rosemberg croit que les oeuvres laissées à Tours, sous un autre nom, et celle de Libourne, dans un coffre-fort, sont à l’abri.
A Floirac, le dévoué Le Gall se démène tant qu’il peut pour organiser l’expédition du précieux trésor.
Il a contacté une société de transport de Bordeaux, qui lui demande la liste précise des objets.
Une fois les documents en main, le transporteur déclare au chauffeur que, les frontières étant fermées, il est désormais impossible d’envoyer des marchandises à l’étranger.
Ce qui est faux...
Le 15 septembre 1940, un groupe de soldats et de policiers Allemands, accompagné d’un Français, foncent sur la résidence de Floirac, à bord de 5 camions.
Très bien renseigné, le commando encercle la demeure, et demande immédiatement à parler au dévoué Le Gall.
Le chauffeur se rend compte qu’il est inutile de résister : ses interlocuteurs sont déjà bien renseignés et n’ignorent rien du trésor qu’il cache.
En quelques heures, la maison est vidée, et les toiles récupérées partent vers une destination...inconnue.
En réalité, la destination «inconnue» est l’ambassade d’Allemagne à Paris.
Quelques antiquaires, et zélés confrères parisiens du célèbre marchand, ne s’étaient pas gênés pour informer les nazis qu’une grosse partie du trésor des Rosenberg était resté en France !
Certains ont notamment négocié, avec les autorités allemandes, la localisation de la cache de Rosenberg contre un pourcentage des oeuvres saisies.
En particulier celles que les Allemands considèrent comme « dégénérées », l’Art moderne, et qu’ils ne veulent pas récupérer pour les musées d’Allemagne, ou pour les collections personnelles des grands dignitaires du Reich.
Je reviendrai sur ce point...
Bien informés, les nazis parviennent également à découvrir l’existence du coffre-fort de Libourne !
Ils en dressent un inventaire précis, grâce au directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux qui participe, avec zèle, à cette tâche.
Idem pour le coffre-fort de Braque, dans la même banque.
Pour comble, le peintre, qui est lui resté en France, reçoit une facture de la banque en question : on lui demande de régler la somme de 1000 francs d’honoraires à l’expert chargé d’évaluer ses biens, auxquels s’ajouteront 200 francs de frais pour les «dérangements» occasionnés !!
A Paris, l’assistante personnelle de Rosenberg restée sur place, ne parvient pas non plus à protéger les quelques oeuvres conservées dans la galerie de la rue de la Boétie, ou au domicile du collectionneur.
Tout est, à nouveau,
saisi.
Les tableaux du coffre de Libourne, les oeuvres de Paris, et celles entreposées à Floirac sont donc finalement dérobés !
Réfugié aux Etats-Unis, Paul Rosenberg apprend la disparition de ses centaines de toiles.
Il ne peut rien faire.
A suivre...