Mardi 18 avril 1780La Reine ayant ouï vanter beaucoup les plaisirs d'une société de jeunes seigneurs et militaires, qui ont formé entre eux cet hiver une comédie bourgeoise et s'amusaient à toutes sortes de jeux, a voulu absolument les voir et en être.
On s'en est défendu tant qu'on a pu; mais Sa Majesté a dit qu'elle ne voulait pas les gêner et qu'elle viendrait les surprendre. On a eu grand soin de se faire prévenir et un jour qu'on a su le dessein de Sa Majesté, pour la mieux tromper, lorsqu'elle est arrivée chez madame la duchesse de Villequier, où était la séance, elle m'a trouvé qu'un concert fort beau, mais qui a fait faire la moue à la souveraine.
On lui a fait bien des excuses; pour la dédommager on a joué au decampativos, espèce de collin-maillard raffiné, où tous les acteurs sont affublés d'un grand drap blanc, sauf le patient, que chacun vient toucher successivement avec une serviette, et il reste exposé aux plaisanteries jusqu'à ce qu'il ait nommé juste l'agresseur. La Reine a trouvé ces espiègleries charmantes.
Enfin on l'a conduite à un petit théâtre dressé dans le foyer de la grande salle du spectacle de Versailles, où elle a rencontré le Roi, Monsieur et Madame, M. le comte et madame la comtesse d'Artois, le duc et la duchesse de Chartres, les seuls étrangers qu'il y eût.
On a exécuté une parodie faite par M. le comte de Linières du triste opéra-comique du sieur Sedaine, joué il y a quelques mois aux Italiens, intitulé "Aucassin et Nicolette"
Cette facétie a très-bien pris.
Après le spectacle, la Reine a voulu que le Roi jouât au decampativos, et toute la famille royale s'est ainsi amusée familièrement jusqu'à quatre heures du matin, qu'on s'est séparé.