Le passé m'attriste:
"Je trouve, écrit-elle le 19 avril 1717, en repassant ma vie que, depuis l'âge de trente-deux ans qui fut le commencement de ma faveur, je n'ai pas été un moment sans peine, ce qui a toujours augmenté"
Quant à l'avenir:
"Que la vie est longue ! " s'afflige-t-elle
Il est pourtant une visite en ce printemps qu'elle ne peut refuser: celle de Pierre Ier, Tsar de toutes les Russies, en visite en France
Le Romanov est curieux de rencontrer une femme que le Roi-Soleil, qu'il admire, a aimée...
Le séjour du Russe a mal commencé
En débarquant à Dunkerque, le Tsar, au grand ahurissement et à la consternation du comité d'accueil dépêché par le Régent sous le commandement de M. de Libois, a refusé de monter dans le "carrosse du Roi"
Le prince Kourakine, le seul Moscovite capable de parler le français, les autres ne s'exprimant que " par des grimaces", des plus expressives au demeurant, explique: "On n'a jamais vu un gentilhomme monter dans un pareil corbillard !"
Pierre Ier décide de voyager dans un antique phaéton découvert, extirpé d'une remise et mangé des vers
il le fait arrimer sur deux longues solives auxquelles en attelle des chevaux en flèche
Hélas, ces limoniers ne sont pas des mule porteuses de litières et ils secouent tellement le Tsar qu'il faut trouver des hommes pour soutenir ce ridicule et inconfortable équipage
On rit sous cape de ce spectacle grotesque et du costume du prince, sans cravate, ni manchettes ni dentelles, mais habillé d'un bouracan, une veste en laine grise avec des boutons de diamant
Pour le loger, on a réquisitionné la salle des séances de l'Académie française, où on a placé le lit de Louis XIV, un meuble jadis commandé par Mme de Maintenon pour son mari et "qui était la chose la plus riche et la plus magnifique" qui se puisse rêver
Mais Pierre, jamais content, déclare qu'il n'y couchera pas
Amateur de confort rustique, il refuse encore un appartement à l'hôtel de Lesdiguières, non loin de la Bastille, rue de la Cerisaie
Et se contente finalement d'un lit de camp au fond d'une garde-robe...
C'est ce redoutable original qui exige de rencontrer la marquise de Maintenon
il est admis à Saint-Cyr, auprès de la veuve de Louis XIV qu'il trouve couchée, rideaux tirés, la chambre plongée dans la pénombre
Par l'intermédiaire d'un truchement aux traduxtions manifestement incertaines, le dialogue s'engage:
"Il s'est assis au pied de mon lit. Il m'a demandé si j'étais malade. j'ai répondu que oui. Il m'a fait demander ce que c'était que mon mal"
J'ai répondu:
"Une grande vieillesse!"
il ne savait que me dire et son truchement ne paraissait pas m'entendre.
Sa visite a été fort courte
Il est encore dans la maison, mais je ne sais où
il a fait ouvrir le pied de mon lit pour me voir
Vous croyez bien qu'il n'en aura guère été satisfait
En fait, Françoise se porte bien; la maladie était diplomatique et destinée à écarter le Tsar de sa chambre au plus vite
Elle se porte même trop bien et reprend soudain goût à la vie
Elle écrit à sa nièce Mme de Caylus:
"Je dois vous dire que je ne m'ennuie plus depuis que je me porte bien. J'ai été malsaine dans tous les âges de ma vie, mais ma caducité est vigoureuse"
La santé recouvrée, elle commence à s'ennuyer fort dans sa retraite
Elle affecte de ne plus lire son courrier, cachant les lettres sous son oreiller et déclarant:
"Je ne suis pas encore morte, mais le monde est mort pour moi. La mort est le moindre des évènements de ma vie
On n'a peu de chose à dire, quand on passe les jours enfermée dans une petite chambre"
pour tromper son pesant ennui, elle invite à dîner une à une toutesses élèves et leur raconte sa vie:
" Que de choses j'ai vues! mme la duchesse de Bourgogne obtenait tout ce qu'elle voulait par des manières et par une conduite qui auraient fait la disgrâce de toute autre"
"Mme de Montespan attelait six souris à un petit carrosse de filigrane et s'en laisser mordre ses belles mains"
"Elle avait des cochons et des chèvres dans les lambris peints et dorés"
"Le Roi la montrait aux ministres comme un enfant, se récriant sur les badinages des Mortemart
mais elle savait tous les secrets de l'Etat et donnait de très bons conseils ou de très mauvais, selon les passions"