Charles Kunstler nous explique dans son
Fersen et son secret (
le livre est plus sérieux que ne le laisse supposer son titre !
) que les réactions furent enthousiastes, au moment des "préludes" à la révolution, pour reprendre sa jolie expression.
L'exemple de la France avait séduit bon nombre d'étrangers de passage. Quelle générosité dans le chef de la noblesse, de renoncer ainsi à ses privilèges ! Quelle noblesse au sein du tiers état, qui se constituait en assemblée et ne se séparerait pas avant d'avoir donné une constitution à la France !
Même Fersen s'est un temps laissé prendre par cet esprit d'entreprise et ce coeur confondus en un même projet. Mais il n'allait pas tarder à déchanter : patriotes menaçant les aristocrates, mutineries des gardes, agitateurs à la solde d'Orléans très actifs... la partie immergée de l'iceberg apparaissait par à-coups.
Alors, il y eut la prise de la Bastille, le massacre de Launay, les listes de proscriptions, et l'abandon de la cour. Ces voyageurs de passage ou établis à Versailles décrivent ainsi les événements :
Dans les salons et dans la ville, écrivait le comte de Salmour au ministre de l'électeur de Saxe,
la terreur peinte sur tous les visages, la méfiance dans tous les coeurs, un roi sans cour, sans armée, un château sans gardes ouvert à tout venant... A Versailles, on ne sait que faire ni que devenir.On ne peut qu'être frappé de la justesse de ce tableau lapidaire...
Pendant ce temps, le duc de Dorset, ambassadeur d'Angleterre, se félicite auprès du foreign office :
De ce moment, nous pouvons regarder la France comme un pays libre, le roi comme un monarque dont les pouvoirs sont limités et la noblesse comme réduite au niveau du reste de la nation.Pour le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur de l'empereur Joseph II, désormais, la ville de Paris jouait véritablement le rôle d'un roi et il dépendait
de son bon plaisir de dicter des lois à l'Assemblée.
L'assemblée absolue, quoi !
L'ambassadeur du Portugal, le comte Vicente de Souza Coutinho, n'en revenait pas :
Dans les annales du monde, écrivait-il, on ne trouve pas mention d'une révolution comme celle-ci... Un roi de France dans un carrosse de campagne, au milieu des baïonnettes et des mousquets d'un peuple immense, et finalement obligé d'arborer à son chapeau la cocarde de la liberté! Le 19 juillet, M. de Simolin, ministre de Russie, n'hésitait pas à dire, dans une dépêche à l'impératrice :
La Révolution s'est accomplie en France et le pouvoir royal n'existe plus.Se réjouissait-il vraiment trop tôt ?
Dix jours plus tard, Gouverneur Morris, partisan d'une monarchie libérale, considérait lui aussi qu'on pouvait
regarder la Révolution comme terminée, en ce sens que l'autorité du roi et celle de la noblesse sont entièrement détruites.Et les ambassadeurs d'Espagne et de Prusse cachaient mal leur joie, ajoute Charles Kunstler. Ils avaient vu en effet s'effondrer en même temps que la Bastille l'alliance autrichienne. Aussi le baron de Goltz pouvait-il écrire au roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II :
La prise de la Bastille et la ruine du crédit de la Reine ont considérablement fortifié la position de V. M. en Europe. Frédéric-Guillaume lui ordonna par retour du courrier de se mettre en contact avec les meneurs de l'assemblée pour s'activer contre la reine.
Travailler contre la reine ? N'était-ce pas là le renforcement d'une habitude de longue date ? On comprend leur joie... ils sentent qu'ils touchent enfin au but, après tant d'année de patient labeur de sape...