yann sinclair
Nombre de messages : 26592 Age : 66 Localisation : Versailles Date d'inscription : 10/01/2016
| Sujet: 05 août 1794: Victimes de la Révolution française Lun 5 Aoû - 15:10 | |
| Jacques des Acres de l'Aigle, guillotiné à Paris le 5 août
Sébastien François Malescot de Kérangoué, condamné à mort à Brest le 5 août Du bon Père Rouville et de ses compagnons martyrisés à Privas le 5 août 1794
Le promeneur qui flane dans les ruelles de Privas ne manque pas d’apprécier le charme de cette petite place que les Privadois appellent depuis des siècles « la Placette » : habituellement calme, bien ombragée, elle est bordée de quelques façades anciennes assez bien restaurées, parmi lesquelles la fameuse « tour Diane de Poitiers » (belle tourelle d’escalier du XVème siècle de l’hôtel particulier des comtes de Valentinois). Une fontaine y fait entendre le doux murmure de l’eau : cette fontaine excentrée sur le côté le plus élevé de la place, porte en son centre une espèce d’obélisque surmonté d’un buste de « Marianne », car si les anciens Privadois continuent de parler de « la Placette », le nom officiel est « place de la république ». Il est bien peu de passants qui prêtent réellement attention à ce buste haut perché, et il en est encore bien moins qui soupçonnent que cette paisible fontaine a été édifiée sur l’emplacement de la sanglante guillotine, par le couperet de laquelle furent martyrisés, le 5 août 1794, cinq prêtres et trois religieuses mis à mort en haine de l’Eglise et de la foi catholiques. En ce deux-cent-vingtième anniversaire de leur martyre, voici résumée l’histoire de ces héroïques confesseurs de la foi dont le sang versé, à n’en pas douter, a obtenu au diocèse de Viviers des grâces abondantes de renouveau après la tourmente révolutionnaire.Privas, « la Placette » :Tour Diane de Poitiers et fontaine marquant l’emplacement de la guillotine.Le « bon Père » Rouville:François-Augustin Roubaud, né et baptisé le 29 août 1734 à Aix-en-Provence, était entré dans la Compagnie de Jésus et avait été professeur au collège de Billom, en Auvergne.Dans les années 1761-1762, les jansénistes et les « philosophes » obtinrent du parlement de Paris la fermeture des collèges jésuites, puis, malgré l’opposition de Sa Majesté le Roi Louis XV, le banissement du Royaume de la Compagnie, en 1764. Le Révérend Père Roubaud, vint alors à Aubenas où, après l’expulsion des jésuites, le maire voulait maintenir le collège et cherchait des professeurs. Pour échapper aux décrets qui interdisaient l’enseignement aux anciens jésuites, le Père Roubaud changea alors son nom en Rouville, et c’est le nom sous lequel il est passé à la postérité.Pendant plus de vingt ans, le Père Rouville fit l’édification non seulement des autres professeurs et des élèves du collège, mais aussi de toute la ville d’Aubenas : sa modestie, sa douceur, sa piété, sa bonté et sa charité étaient connues de tous, et il répondait volontiers à l’invitation des curés de la ville ou des environs pour prêcher et confesser dans les paroisses où ses vertus rappelaient celles de Saint Jean-François Régis. Le temps qu’il ne passait pas à prier, à enseigner, à prêcher et à confesser, il le consacrait à la visite des pauvres et des malades. Les fidèles ne parlaient de lui que comme « le bon Père Rouville ».En 1791, réfractaire au serment constitutionnel imposé par la révolution, le Père Rouville entra dans la clandestinité : caché chez des chrétiens fidèles et courageux, il continua à exercer son ministère, jusqu’à ce que, le 12 juillet 1794, alors qu’il revenait de porter les secours de la religion à un moribond, malgré son déguisement, il fut reconnu et livré par deux misérables dont la convoitise était excitée par la somme promise à qui le dénoncerait. Il comparut devant les officiers municipaux d’Aubenas et, pour ne pas compromettre ceux qui l’avaient caché, s’efforça de ne donner que des réponses vagues aux questions dont on l’assaillait : - Qui vous a nourri ? - La Providence ! - Qui vous cachait ? - L’amitié ! - Qui fréquentiez-vous ? - Des gens de bien ! - Pourquoi avez-vous refusé le serment aux nouvelles lois ? - Parce qu’il est contraires aux principes de la Religion et à la discipline de l’Eglise. - Sachant qu’il vous est interdit d’exercer votre ministère, pourquoi l’exerciez-vous ? - J’en tiens le pouvoir de Dieu : Dieu seul peut me l’ôter.Les dénonicateurs du Père Rouville étaient le citoyen Meynier Cartier et sa femme : ils reçurent cinquante francs pour prix de leur trahison. Or, peu de temps après la mort du saint prêtre, les Albenassiens furent les témoins de la vengeance divine sur ces deux apostats : lui fut frappé de paralysie de tout le côté droit, et elle, qui avait été très belle et très fière de sa beauté, fut défigurée par un rictus déformant qui la rendait horrible à voir. Dans la rue, les enfants les poursuivaient en leur criant : « vendeurs de chrétiens », et ils n’eurent de repos qu’après avoir fait une longue pénitence.Le 14 juillet 1794, le Père Rouville fut transféré à Privas. Dès le lendemain, il comparut devant le tribunal révolutionnaire qui siégeait dans l’ancienne chapelle des Récollets : l’accusateur public – dont nous reparlerons – se nommait Marcon. On posa au « bon Père » le même type de questions qu’à Aubenas, auxquelles il fit le même genre de réponses. Il fut condamné à la peine capitale, mais on allait surseoir pendant trois semaines à son exécution. Dans les geôles privadoises, il rejoignait quatre autres prêtres héroïques et trois religieuses dont nous parlerons plus loin. Le Révérend Père François-Augustin Rouville arrivait au terme de sa soixantième année au moment de son martyre.Privas, l’ancienne chapelle des Récollets dans laquelle siégeait le tribunal révolutionnaire. L’abbé Pierre-François Dulau d’Allemand de Montrigaud. Issu d’une très ancienne famille du Dauphiné, apparenté au chevalier Bayard, il était né le 26 février 1764 à Pierre-Chatel. Ordonné prêtre par Monseigneur Jean-Georges Lefranc de Pompignan, archevêque de Vienne, au printemps 1790, il fut aussitôt nommé prieur-curé de Saint-Julien-Vocance, à quatre lieues au sud-ouest d’Annonay : cette partie de l’actuel département de l’Ardèche appartenait alors à l’archidiocèse de Vienne.En janvier 1791, il prêta le serment avec « les réserves et restrictions que sa conscience et sa religion réclamaient », ce qui faisait qu’en rigueur ce serment était nul aux yeux de la loi, mais la municipalité s’en contenta ainsi que les autorités d’Annonay, qui à ce moment-là étaient plutôt portées à la conciliation. Monsieur d’Allemand continua donc son ministère sans être inquiété pendant plus d’une année.Tout se détériora lorsque, pour la Pentecôte 1792, Monsieur d’Allemand avisa la municipalité que, conformément aux années précédentes, il conduirait sa paroisse en pèlerinage au tombeau de Saint Jean-François Régis, à La Louvesc, et qu’il désirait que la procession soit accompagnée de la garde nationale jouant du tambour ! Les révolutionnaires d’Annonay s’en émurent et firent interdire la procession, avec des menaces à peine voilées… Deux mois plus tard, c’était le 10 août : le Roi captif ne pouvait plus protéger de son veto les prêtres réfractaires au serment, qui furent donc tenus, par le décret du 26 août 1792, « de sortir du royaume dans le délai de quinze jours ». Monsieur d’Allemand ne se laissa pas intimider : « Quand les loups hurlent, disait-il, le pasteur ne doit pas s’enfuir. » Refusant d’abandonner sa paroisse et rétractant vigoureusement son serment restreint, malgré des menaces de plus en plus virulentes, il vit les vexations s’abattre sur les Soeurs de Saint-Joseph qui l’aidaient dans son ministère (école, catéchisme, visite des pauvres et des malades…) et sur sa personne, fut contraint de quitter sa cure, dut renoncer à célébrer dans son église, mais continua néanmoins son ministère en se cachant dans des hameaux éloignés.Il fut trahi par un paroissien qui l’avait fait appeler pour baptiser son fils qui venait de naître : pris dans la nuit du 4 au 5 juillet 1794, traîné à Annonay en subissant de nombreux outrages, il fut conduit dans les prisons de Privas le 9 juillet 1794. C’est le plus jeune de nos martyrs : il était âgé de trente ans.Saint-Julien-Vocance : l’église aux origines romanes, profondément remaniée au XIXe siècle. En 1937 une stèle a été érigée sur le parvis rappelant « la pieuse et glorieuse mémoire » de l’intrépide curé et martyr, Pierre-François d’Allemand.- L’abbé Jean-Jacques André Bac. Né le 30 novembre 1751 à la ferme du Grand-Bosc, sur la paroisse de Saint-Julien-Labrousse, à trois petites lieues au nord-est du Cheylard, dans les Boutières, après sa formation cléricale au séminaire de Bourg-Saint-Andéol, il fut ordonné prêtre le 23 mars 1776, par Monseigneur Joseph Rollin de Morel Villeneuve de Mons, évêque de Viviers.Vicaire pendant dix ans dans deux paroisses du diocèse de Viviers, il fut choisi en 1786 pour être prieur-curé du village de Mens, dans le diocèse de Die : ce diocèse était en effet très pauvre en prêtres et devait donc faire appel à des prêtres extérieurs. Il fallait pour cette cure de Mens un prêtre particulièrement zélé et instruit, car la population de cette paroisse y était presque pour moitié protestante. Il prêta le serment constitutionnel avec restrictions au début de l’année 1791, mais le rétracta quelques mois plus tard quand il apprit la condamnation de la constitution civile par le Pape Pie VI. Ayant subi des pressions psychologiques très fortes auxquelles il résista autant qu’il put, il fut finalement chassé de son presbytère et remplacé par un curé jureur.Monsieur Bac pensa d’abord demeurer dans sa paroisse pour y continuer son ministère, mais il dut bientôt se rendre à l’évidence : poursuivi par de farouches révolutionnaires, s’il restait sur place il attirerait des représailles sanglantes sur les paroissiens fidèles qui l’auraient caché et aurait assisté à sa messe. Après quelques semaines d’errance, au début de l’année 1792, il revint dans sa famille à Saint-Julien-Labrousse. Les municipaux de Saint-Julien-Labrousse étaient d’anciens camarades et n’étaient nullement des révolutionnaires enragés, au contraire ; dans toute cette paroisse, ainsi qu’aux environs, la population était très fortement chrétienne, attachée à ses prêtres et à la pratique religieuse, si bien que, par exemple, le curé – noble messire Alexis du Chier – était demeuré dans son presbytère sans avoir jamais été inquiété. Ce vieux prêtre rendit paisiblement son âme à Dieu le 3 juin 1793. L’abbé Bac, requis de prêter le serment de « liberté-égalité », le prononça avec toutes les restrictions – dûment explicitées et consignées par les municipaux – que lui dictait sa conscience, ce qui, pendant deux années, lui permit d’exercer publiquement les actes du ministère, à Saint-Julien et dans les villages environnants, au début pour seconder le vieil abbé du Chier, puis pour le remplacer et suppléer au manque de pasteurs dans les paroisses voisines. Il en fut ainsi depuis le début de l’année 1792 jusqu’à mai 1794.C’est le maire de Vernoux, gros bourg distant de quelque quatre lieues, qui le dénonça au district : « Il existe depuis un certain temps un ci-devant prêtre insermenté (…) nommé Bac, chassé de Mens, département de l’Isère, où il versait son poison. Cet homme fait beaucoup de mal, et il convient d’en purger la terre de la raison. [Donne donc l'ordre] d’arrêter Bac qui promène tranquillement son incivisme dans cette commune » (sic). Le 12 mai 1794, la maréchaussée de Tournon cerna à l’aube la ferme du Grand-Bosc et se saisit de l’abbé Bac. D’abord incarcéré et interrogé à Tournon, les restrictions qu’il avait exprimées lors des différents serments exigés par la loi révolutionnaire et sa rétractation du serment schismatique furent établies : c’était un crime suffisant pour être conduit dans les prisons du chef-lieu. L’abbé Bac arriva à Privas le 9 juin 1794, il était dans sa quarante-troisième année.Le village de Mens, dans l’ancien diocèse de Die : paroisse de l’abbé Jean-Jacques André Bac, natif de Saint-Julien-Labrousse. - L’abbé Louis Gardès. Né le 25 juillet 1754 dans une famille paysanne de la paroisse du Béage, sur les hauts plateaux vivarois qui confinent au Velay, au terme de ses études sacerdotales qu’il suivit au séminaire de Bourg-Saint-Andéol, il fut ordonné prêtre le 19 décembre 1778 par Monseigneur Charles de La Font de Savine qui venait tout juste de prendre possession du diocèse de Viviers.Après avoir été vicaire pendant cinq ans dans le diocèse de Viviers, comme l’abbé Bac et pour la même raison – surabondance de vocations en Vivarais et pénurie en quelques diocèses voisins – , l’abbé Gardès partit pour le diocèse d’Alès où, après quelques mois de vicariat, il fut nommé curé-prieur de Saint-Gilles-de-Ceyrac, qui est aujourd’hui un hameau de la commune de Conqueyrac et constituait alors une petite paroisse de l’archiprêtré de Saint-Hippolyte-du-Fort. Entraîné par l’exemple de ses confrères voisins, l’abbé Gardès prêta d’abord le serment constitutionnel, mais dès qu’il en apprit la condamnation par le Souverain Pontife, il fit une rétractation solennelle non seulement devant les municipaux de Saint-Hippolyte mais aussi par acte notarié. Considéré dès lors comme réfractaire, l’abbé Louis Gardès dut renoncer à tout ministère public : d’ailleurs sa petite église de Ceyrac avait été fermée, son mobilier vendu et son argenterie envoyée à la monnaie. Pendant quelque temps, il fut toléré qu’il exerçât les fonctions du culte à titre privé, dans des chaumières ou dans des granges, mais dans les premiers mois de 1792 la situation devint critique : Saint-Hippolyte était un ardent foyer du calvinisme cévenol ; la révolution y avait rallumé dans la population huguenote acquise aux idées révolutionnaires des idées de représailles fort peu évangéliques envers les catholiques. En juillet 1792, l’un des confrères de l’abbé Gardès fut horriblement torturé pendant toute une journée par la populace avant d’être décapité…C’était dans le même temps que l’échec de ce que l’on a appelé « la conspiration de Saillans » entraîna une sanglante répression contre les catholiques et loyaux sujets du Roi dans le nord du Gard et le sud de l’Ardèche (cf. l’histoire des camps de Jalès > ici). En se cachant, l’abbé Louis Gardès quitta les Cévennes pour remonter vers son pays natal et, après plusieurs mois d’errance, pour venir se cacher dans le mas familial de Peyregrosse, sur la paroisse du Béage.Profondément enracinées dans la foi catholique et farouchement hostiles au clergé constitutionnel, les populations rurales des hauts plateaux vivarois étaient entrées en résistance dès la fin de l’année 1791 : les paroisses s’étaient organisées autour de chefs à la forte personnalité, véritables chouans – tels « notre » Grand Chanéac (cf. > www) – sous la protection desquels, de toutes parts, des prêtres réfractaires étaient venus se placer.A plusieurs reprises, de véritables battues furent organisées. C’est à l’occasion de l’une d’elles que, fuyant Le Béage et cherchant à rejoindre le village de La Chapelle-Graillouse, à la mi-juin 1794, vaincu par la fatigue, il s’était endormi dans un taillis, la tête appuyée sur son bréviaire qu’il venait de réciter, que l’abbé Louis Gardès fut surpris et formellement identifié par un miséreux auquel il avait fait la charité. Il arriva à Privas pour y être incarcéré et interrogé le 16 juin 1794, il était âgé de quarante ans.La Chapelle-Graillouse, village en direction duquel s’enfuyait l’abbé Louis Gardès lorsqu’il fut pris à la mi-juin 1794.- L’abbé Barthélémy Montblanc. Né le 18 avril 1760 à Cruzy, près de Narbonne, on sait peu de choses sur ses origines et sa formation cléricale en raison des destructions des archives. Des actes de catholicité qui ont subsisté nous montrent qu’il était diacre le 30 juillet 1785 mais prêtre le 4 octobre suivant. Le 12 juillet 1789, nous le trouvons nommé vicaire d’une succursale de Givors, à quelque sept lieues au sud de Lyon. Probablement était-ce pour se rapprocher de son frère, « maître en chirurgie » à Condrieu, qu’il avait obtenu de venir dans l’archidiocèse de Lyon. Son absence fut remarquée aux célébrations organisées le 14 juillet 1790 pour l’anniversaire de la prise de la Bastille, et lorsque, à la fin de janvier 1791, il apprit qu’on allait exiger de lui le serment constitutionnel, il résolut de partir : le jour de la Chandeleur, 2 février 1791, à l’issue de la messe, il fit ses adieux à ses paroissiens en leur expliquant que sa conscience ne lui permettait pas de prêter le serment qu’on exigeait de lui. L’abbé Montblanc se retira d’abord chez son frère, à Condrieu, puis, craignant de lui être à charge et de constituer un danger pour sa famille, quelques mois plus tard, il gagna dans un premier temps Annonay, où s’était organisée une association clandestine de prêtres qui « feignant d’être chirurgiens, colporteurs, garçons boulangers, gardes nationaux, à la faveur de [leurs] déguisements, s’insinuaient dans les maisons où leur ministère était nécessaire ». Mais le zèle de l’abbé Barthélémy Montblanc en faisait un des principaux suspects, et il dut bientôt s’enfuir pour mener une vie errante dans les montagnes du nord du Vivarais, du sud du Forez et du Pilat, se mettant au service des âmes dans les paroisses qui n’avaient plus de pasteur. Cela dura jusqu’à la Pentecôte de 1793 où, revenant d’administrer un mourant – probablement dans les environs de Pelussin – , il fut pris par une bande de révolutionnaires qui, après les outrages que l’on peut imaginer, l’envoyèrent dans les prisons de Lyon. L’héroïque révolte des Lyonnais contre la convention le tira de son cachot. Fuyant Lyon lorsque la ville fut prise et livrée à la vengeance révolutionnaire, l’abbé Montblanc revint à Annonay sous un déguisement de sans-culotte. Sous le nom de code d’ «oncle Barthélémy », il exerça à Annonay un rocambolesque ministère clandestin d’octobre 1793 à mai 1794. Les « patriotes » enrageaient contre lui et avaient juré sa perte ; le « comité de surveillance » multipliait les ruses pour le prendre… et finit par resserrer l’étau autour de lui, si bien qu’à la fin du mois de mai, l’ « oncle Barthélémy » dut s’éloigner d’Annonay et se cacher, à deux lieues de là, à Vernosc. Dans ce village, trois Soeurs de Saint-Joseph - dont nous reparlerons plus loin – avaient maintenu, dans une relative discrétion, leur vie de communauté, de prière et de bonnes oeuvres. Là, l’abbé Montblanc continua son ministère avec un zèle ardent, jusqu’à ce qu’une religieuse défroquée, dont la demeure servait de rendez-vous aux démagogues et aux libertins, n’attire l’attention des « patriotes » du lieu sur lui : « Je parierais que c’est un calotin. Je m’y connais. Il a plutôt l’allure d’un ci-devant curé que d’un celle d’un sans-culotte… »Le lundi de Pentecôte 9 juin 1794, alors qu’il avait jugé prudent de s’éloigner de Vernosc pendant quelques temps, l’abbé Barthélémy Montblanc fut reconnu, pourchassé et finalement pris dans la vallée de la Cance, près de la « roche Péréandre ». A celui qui lui mit la main au collet, l’abbé se contenta de dire : « Le bras qui m’arrête périra ». Peu de temps après, pendant la moisson, cet homme se querella avec un camarade qui lui donna un coup de faucille sur la main droite : la plaie s’infecta, la gangrène s’y mit et se propagea, et on dut lui amputer le bras.Emenné captif à Annonay, l’abbé Montblanc fut, dès le 14 juin 1794, transféré à la prison de Privas : il était âgé de trente-quatre ans.Près d’Annonay, sur la commune de Vernosc, dans la vallée de la Cance, la roche Péréandre près de laquelle fut capturé l’abbé Barthélémy Montblanc.
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« 2014-77. Du bon Père Rouville et de ses compagnons martyrisés à Privas le 5 août 1794 (2ème partie). « 2014-81. Rappel à Dieu du Révérend Père Jean Charles-Roux. Vernosc, où l’abbé Barthélémy Montblanc était venu se réfugier en mai 1794 avait cette particularité que trois Soeurs de Saint-Joseph, malgré la persécution qui s’était abattue sur les congrégations religieuses, avaient continué à y mener la vie commune. Ce sont elles qui avaient recueilli l’ « oncle Barthélémy », tout heureuses de bénéficier du ministère d’un « bon prêtre », car le curé de Vernosc était un jureur.Il faut ici préciser un point de l’ancien droit ecclésiastique : seules étaient appelées « religieuses » les femmes consacrées qui avaient prononcé des voeux solennels de religion – ordinairement dans un ordre cloîtré. Les « filles dévotes » qui vivaient en communauté, portaient un habit distinctif, avaient prononcé des voeux dits privés, n’étaient pas astreintes à la clôture mais se dévouaient dans les oeuvres charitables (dispensaires, visites et soins aux malades, aide au clergé paroissial…) et tenaient des écoles rurales ou des orphelinats, étaient appelées « Soeurs ». C’est ce qui permettra à certaines d’entre elles, devant les tribunaux révolutionnaires, de soutenir sans mensonge qu’elles n’étaient pas des « religieuses ».Les Soeurs de Saint-Joseph de Vernosc appartenaient à cette seconde catégorie de femmes consacrées. Il s’agissait de – Soeur Sainte-Croix, née Antoinette Vincent, originaire de la paroisse de Burdignes (dans l’actuel département de la Loire, limitrophe de l’Ardèche), âgée de soixante-trois ans, elle était la supérieure de la petite communauté ; – Soeur Madeleine, née Marie-Anne Sénovert, originaire d’Empurany (dans le nord du Vivarais), âgée d’une quarantaine d’années ; - Soeur Toussaint, née Madeleine Dumoulin, originaire de Sainte-Sigolène (Velay), âgée de trente-et-un ans.Selon plusieurs auteurs, il y avait avec ces trois Soeurs une jeune fille, auxquels certains donnent le nom de « pensionnaire » et d’autres celui de « novice » : ni son nom, ni son origine ne nous sont connus, mais, selon un témoin, elle pouvait être âgée d’environ 17 ans.Comme nous l’avons vu ci-dessus, jusqu’à ce mois de juin 1794, elles avaient continué la vie commune et leurs oeuvres de bienfaisance et d’instruction : raison sans doute pour laquelle on ne les avait pas trop inquiétées jusqu’alors, puisqu’elles étaient utiles à la population. Le lendemain de l’arrestation de l’abbé Barthélémy Montblanc, c’est-à-dire le mardi de Pentecôte 10 juin 1794, les gendarmes furent envoyés d’Annonay à Vernosc pour se saisir d’elles. Elles étaient accusées d’avoir refusé le serment civique, continué à vivre en congrégation au mépris de la loi, donné asile à un prêtre réfractaire, permis qu’il célébrât la messe chez elles et favorisé son ministère auprès de la population, caché ses ornements sacerdotaux et facilité son évasion : c’était donc, aux yeux des « patriotes » du plus pur « fanatisme », et cela faisait d’elles de très grandes coupables. Le samedi de Pentecôte 14 juin, elles furent emmenées à Privas dans la même charette que l’abbé Montblanc.Les Soeurs de Saint-Joseph au pied de l’échafaud.4ème partie – Le martyre.Le lieu de l’incarcération de nos martyrs n’existe plus aujourd’hui : l’emplacement des anciennes prisons de Privas serait sous l’actuel hôtel de ville, à l’angle sud-est, dans la ruelle qui le sépare de la préfecture (ancien hôtel particulier du marquis de Faÿ-Gerlande). C’étaient des cachots particulièrment insalubres, très humides et mal aérés, où la chaleur de l’été rendait l’atmosphère irrespirable, tandis que la vermine grouillait dans la paille rare qui servait de litière aux prisonniers, à même le sol… Comme nous l’avons vu précédemment, l’abbé Bac y avait été transféré le 9 juin 1794, rejoint le 14 juin par l’abbé Montblanc et les Soeurs de Saint-Joseph, le 16 juin par l’abbé Gardès, le 9 juillet par l’abbé d’Allemand et enfin le 14 juillet par le Père Rouville.Interrogés les uns après les autres, dans l’ordre de leur arrivée, par le tribunal révolutionnaire qui siégeait, nous l’avons dit, dans la chapelle profanée du couvent des Récollets, nos héroïques confesseurs avaient tous été condamnés à mort, ce qui, en ces temps de fervent patriotisme, semblait le moyen souverain pour faire régner la liberté, l’égalité et la fraternité. La sentence était normalement exécutoire dans les vingt-quatre heures.Le problème, car problème il y avait et non des moindres, c’est que le département de l’Ardèche, s’il possédait bien une guillotine, n’avait – bien que la place soit grassement payée – pas de bourreau pour la faire fonctionner ! En outre, l’accusateur public Marcon – un « vrai tigre » selon les contemporains – avait fait lui-même l’objet de dénonciations et avait passé quelques semaines en prison : il avait fallu un décret, signé de Robespierre, Couthon et Collot d’Herbois pour l’en faire sortir. Lorsqu’il reprit ses fonctions, le 8 juillet 1794, Marcon était bien résolu à montrer qu’il n’avait pas faibli dans son zèle révolutionnaire.Dans leur cachot, soumis à de rudes traitements, nos futurs martyrs priaient, s’encourageaient et se fortifiaient mutuellement pour se préparer à la mort. Quelques uns purent écrire à leurs proches ou à des paroissiens fidèles : certaines de ces admirables lettres, interceptées par les « patriotes » et ajoutées aux pièces de leurs procès, nous ont été conservées. Quelques bonnes âmes s’efforçaient d’adoucir leur captivité en leur faisant passer des fruits ; un jeune homme courageux venait, en qualité de barbier, raser et rafraîchir la tonsure des abbés.Enfin s’approcha la perspective de la consommation de leur martyre : le bourreau, prêté par le département de la Drôme voisine, revenant d’une « tournée » dans le sud de l’Ardèche, fit annoncer qu’il pourrait « opérer » à Privas au matin du 18 thermidor. A Paris, depuis une semaine déjà, les têtes de Robespierre et des enragés de son entourage avaient elles-mêmes roulées dans le panier de la guillotine : la nouvelle en parvint à Privas le 17 thermidor dans la soirée ! Nos révolutionnaires locaux ne virent pas dans cet évènement l’annonce de la fin de la terreur, puisque les Tallien, les Fouché et les nouveaux maîtres de la convention accusaient Robespierre et ses affidés d’avoir voulu « arrêter le cours majesteux et terrible » de la révolution. Comme ils s’interrogeaient toutefois de l’opportunité de surseoir à l’exécution, le féroce Marcon emporta néanmoins l’avis des juges en déclarant : « La guillotine est prête ; elle a soif de sang. Force à la loi ! »Un juge et un greffier se rendirent donc dans les cellules attenantes au tribunal révolutionnaire où on les avait transférés, pour notifier aux cinq prêtres et aux trois Soeurs qu’ils seraient exécutés le lendemain. Abasourdis devant le calme et la force qui les animaient, les deux agents du tribunal entendirent un vibrant « Deo gratias ! » comme réponse à la lecture de la sentence. L’abbé Montblanc ajouta même : « C’est un vrai bonheur, Messieurs, que vous venez nous annoncer. Nous vous pardonnons de grand coeur, et nous prions Dieu qu’Il vous pardonne de répandre le sang innocent… » Seule la Soeur Toussaint, d’après certains témoignages, se lamentait et exprimait des sentiments voisins de la révolte devant cette injustice.Ils passèrent la nuit à psalmodier l’Office des morts et à chanter les pièces de la messe de Requiem, s’exhortèrent à l’ultime sacrifice, puis se donnèrent la sainte absolution. Lorsque, au matin de ce 5 août 1794, on les fit sortir de leur cachot pour descendre la rue vers « la Placette », les religieuses entonnèrent le chant des litanies, puis les prêtres psalmodièrent le Miserere en ajoutant entre chaque verset : « Parce, Domine ! Parce populo tuo : Pardonnez, Seigneur ! Pardonnez à votre peuple ! » La population privadoise était bouleversée par ces chants qu’elle n’avait pas entendus depuis longtemps, et par le spectacle de ces martyrs qui se rendaient à la mort comme à une fête.Les condamnés se rangèrent autour de l’échafaud comme autour d’un autel, continuant leur psalmodie et leurs chants. Les Soeurs furent exécutées les premières : selon certains témoignages, mais ils ne sont pas unanimes, la Soeur Toussaint fut prise de défaillance, et c’est à demi-inconsciente qu’elle fut liée sur la bascule ; selon d’autres, c’est la jeune « pensionnaire » ou « novice », condamnée avec les Soeurs, qui aurait été la victime de ce moment de faiblesse. Les prêtres gravirent les marches de l’échafaud avec assurance, l’un après l’autre sans attendre de se faire appeler. Le bon Père Rouville fut le troisième d’entre eux à être guillotiné ; le dernier fut l’abbé Bac qui continua à chanter d’une voix assurée jusqu’au moment-même où le couperet lui trancha la tête.Le Révérend Père Rouville et ses compagnons arrivant sur « la Placette » de Privas où ils vont être martyrisés, le 5 août 1794.Epilogue : « culte » des martyrs et grâces signalées. Le bourreau s’appropria les hardes et les effets de nos martyrs et laissa leurs dépouilles totalement nues exposées en tas sur « la Placette ». Les juges durent réquisitionner un tombereau pour les faire enlever avant la fin de la journée et les faire emporter au cimetière, qui se trouvait alors en contrebas de la ville, au lieu-dit Gratenas.Le fossoyeur, huguenot mais honnête homme, avait reçu l’ordre de les ensevelir dans une fosse commune ; mais en réalité il prépara pour le Révérend Père Rouville une sépulture à part, séparée des autres corps par un muret de pierres sèches, et il refusa de livrer la tête du bon Père aux « patriotes » d’Aubenas qui étaient venus la lui réclamer afin de la promener triomphalement dans leur ville. Vers la minuit, un habitant de Privas vint avec son neveu pour planter une croix sur la tombe des martyrs : ils témoignèrent par la suite devant leur prêtre que, lorsqu’ils enfoncèrent cette croix dans le sol, ils furent saisis par une merveilleuse odeur d’encens.Cette même nuit du 5 au 6 août 1794, le fossoyeur eut en songe la vision du Père Rouville, resplendissant de gloire, qui le remercia de n’avoir point voulu livrer sa tête aux profanateurs, et qui lui déclara : « Pour prix de ton courage, dans un an et un jour tu auras ta récompense : tu seras où je suis. Mais auparavant, de protestant tu seras devenu catholique. » L’homme, en effet, abjura le protestantisme entre les mains d’un prêtre réfractaire dès qu’il put en rencontrer un. Le 6 août de l’année 1795, il rentra chez lui en portant quatre planches, disant à sa fille : « Voici pour mon cercueil, demain. » La jeune fille se récria : « Mais, père, vous n’êtes point malade ! » Il lui rétorqua : « Je mourrai cette nuit, comme le saint me l’a dit ». Et au matin, la fille trouva sans vie le corps de son père, sur le visage duquel s’était figé un paisible sourire.Dès les années 1795-1796, la sépulture des martyrs devint un véritable lieu de pèlerinage, malgré les gendarmes envoyés pour disperser les fidèles qui venaient s’y agenouiller en très grand nombre. Jusqu’à la fin de la révolution, les catholiques privadois, sans église, s’y rassemblèrent – parfois jusqu’à trois cent, les jours de dimanche et aux fêtes – pour y réciter les prières de la messe dont ils étaient privés.Nous avons vu que certains des Judas qui avaient contribué à l’arrestation des martyrs avaient été très rudement châtiés. La tradition privadoise raconte aussi qu’un impie, qui avait renversé à coups de pieds la croix de bois élevée sur leur tombe, fut frappé de paralysie jusqu’à ce que, faisant pénitence et demandant publiquement pardon, il soit guéri de son mal en invoquant le bon Père Rouville. Ce qui fut plus remarquable encore fut la conversion des juges et de l’accusateur public Marcon : rentrant en eux-mêmes, après la révolution, ils firent publiquement, et à plusieurs reprises, amende honorable de leurs crimes et menèrent ensuite une vie de pénitence et de réparation. Marcon légua même sa maison du Pouzin pour qu’on y établit une école tenue par les religieuses, et c’est à son emplacement que s’élève aujourd’hui l’église de ce village.A Privas, à la suite de la désaffection du cimetière de Gratenas (au milieu du XIXe siècle) et de l’ouverture d’un nouveau cimetière dans le quartier du Vanel, on fit exhumer les ossements du Révérend Père Rouville, qui furent identifiés, mais – malheureusement – on ne prit pas la peine de reconnaître les restes des autres martyrs, qui furent donc perdus. Sur la nouvelle tombe du Père Rouville, en 1884, une généreuse paroissienne fit édifier une chapelle, dans le pavement de laquelle fut incrustée la croix de pierre qui se dressait à Gratenas sur la tombe du martyr.A l’intérieur de cette chapelle, de nombreux ex-voto, des fleurs, ainsi qu’un cahier sur lequel les « pélerins » peuvent écrire les intentions qu’ils recommandent à l’intercession du Père Rouville et leurs messages de remerciement, témoignent de la permanence d’une vénération : les fidèles de la région, sans toujours bien connaître aujourd’hui l’histoire du bon Père et de ses compagnons martyrs, placent toujours en lui leur confiance et viennent encore volontiers solliciter sa prière…Cimetière du Vanel, à Privas : chapelle édifiée sur la tombe du Révérend Père Rouville. _________________ 👑 👑 👑 ⚜ ⚜ |
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