La joie est extrême dans tout le château et Alexandre Bontemps a bien du mal à calmer cet enthousiasme débordant où l'on devient presque fou
(Abbé de Choisy)
Tout le monde se donne la liberté d'embrasser le roi, le portant depuis l'appartement de Mme Colbert à la surintendance jusqu'à son propre appartement
Le bas peuple semble avoir perdu la raison, partout des feux de joies éclatent tandis que certains porteurs de chaise brûlent celle de leur ma^tresse pour les alimenter
Ce n'est que lorsqu'ils s'attaquent aux lambriset au parquet destinés à la Grande Galerie que Bontemps fronce les sourcils
Tous ces insensés les montent en fagots pour les brûler dans la cour des Princes
Bontemps n'y tient plus et s'en va sur le champ avertir le roi
Tout à sa joie, le souverain se met à rire et dit:
"Qu'on les laisse faire; nous aurons d'autres parquets"Bonhomme Bontemps se laisse alors aller à la joie collective et,
"un des Domestiques de M. Bontemps voyant éclater la joye de tout le monde et principalement celle de son maistre, qui est un des plus ardens et des plus zélez Serviteur du Roy, en fut pénétré si vivement, que s'estant des habillé, il jeta tous ses habits dans le feuIl ne s'en repentit point et loin d'avoir du chagrin de les voir brûler, sa joye fut toujours également forteSa majesté sçeut ce qu'il avoit fait et luy fit donner un très bel habit, avec 50 louis"Le Roi, le Dauphin, les princes et les seigneurs de la Cour
assistent à un Te Deum chanté dans la chapelle du château en action de grâces pour la naissance du duc de Bourgogne
L'après-midiAlexandre Bontemps retourne à ses activités officielles d'intendant de Versailles
il reçoit les marguilliers, ces habitants choisis par les notables de la ville qui s'occupent de l’œuvre et de la Fabrique de l'église
Ils ont ainsi en charge la construction ou l'entretien de l'édifice religieux et assistent les pauvres
Mais depuis que le roi a décidé de faire de Versailles sa résidence principale
"parmi les bourgeois, ceux qui parvinrent à être marguilliers de la paroisse furent tellement orgueilleux de ce titre, qu'ils se regardèrent comme beaucoup au-dessus des autres bourgeois et prétendirent être les représentants du corps général, quoique aucune espèce de talents particuliers ne leur eût fait mériter cette distinction"ils viennent en cortège au château pour présenter les compliments d'usage pour la naissance du jeune prince, premier petit-fils du roi, titré duc de Bourgogne
Touché par leur amabilité et faisant preuve d'une grande bonté qui lui est coutumière, Bontemps décide de les présenter directement au roi
Il le regrette aussitôt
A la vue de Sa Majesté, l'épicier Collette est trop impatient pour attendre que Bontemps les présente selon la formule habituelle:
"Sire, voici les bourgeois de Versailles que je présente à Votre Majesté"Le marguillier se met aussitôt à chanter à gorge ouverte le Domine salvum fac Regem
il est aussitôt suivi par Baudouin, sellier, Hottot, épicier et tous les autres marguilliers qui lui répondent de même: Et exaudi nos in die qua invocaverimus te.
Le roi est quelque peu surpris de cette scène et interroge son premier valet de chambre du regard en riant
Ce rire est communicatif et tous les courtisans présents dans la salle se mettent aussi à rire
Bontemps est furieux, il se retourne vers les marguilliers en leur disant:
"On m'avait bien dit que vous étiez bêtes! Allez-vous en""Sire, pardonnez, s'il vous plaît, l'attitude de ces drôles qui ne connaissent pas l'usage de la cour"L'intendant les fait aussitôt raccompagner à la sortie du château, soigneusement escortés par des garçons bleus
Bontemps se jure à lui-même qu'il sera plus prudent les fois prochaines avant de présenter quiconque au souverain