Lundi 02, à VersaillesPhilippe d'Orléans devient Régent du royaume
— M. le duc d'Orléans alla au parlement le matin et l'après-dînée
Ils demanda la régence avant que le testament du roi fût ouvert; il la prétend par sa naissance, et il ne doutoit quasi point, par les discours que le roi lui avoit tenus huit jours avant sa mort, qu'il ne fût déclaré régent dans le testament; cependant il n'étoit, par le testament, que chef du conseil de la régence; elle lui fut adjugée tout d'une voix.
Il y a encore plusieurs autres changements faits au testament du roi, et tous ces changements sont à l'avantage du régent, qui permet au parlement de faire des remontrances à l'avenir sur toutes les affaires qu'on leur portera.
On trouvera à la fin de ce livre tous ces actes-là et le détail de ce qui s'est passé à la séance du matin et à celle de l'après-dînée (1)
M. le Duc, qui ne devoit entrer au conseil de la régence qu'à vingt-quatre ans accomplis, et qui en a vingt-trois passés, entrera non-seulement dans ce conseil, mais il en sera le chef. L'autorité que le roi donnoit par son testament à M. le duc du Maine est diminuée; il a demandé à être déchargé de la garde du jeune roi; il ne conserve que la qualité de surintendant de son éducation*
* Dangeau, tout politique et tout vieille cour, supprime tout ici. On n'a pas besoin d'ajouter tout ce qu'il omet de dessein ou d'ignorance ( ce seroient de vrais, de gros et de curieux Mémoires), mais seulement ce qui peut servir à l'éclaircissement de la suite des événements. Il y eut deux séances; l'une le matin , l'autre l'après-dînée. Celle du matin s'ouvrit par une protestation des pairs, faite de bouche par le duc de Saint-Simon, convenue avec M. le duc d'Orléans et entre eux tous sur le bonnet et les autres prétentions réciproques, pour ne pas retarder les affaires publiques par les leurs particulières, et la déclaration tout de suite que c'étoit en conséquence de la parole positive de juger ces disputes immédiatement après que les affaires générales auroient pris leur forme, et parole donnée par M. le duc d'Orléans aux pairs, dont lui séant fut interpellé et attesté tout haut par le même duc, et il en convint sans que personne du parlement dît un mot.
(I) Ces pièces ne se trouvent pas dans le manuscrit de Dangeau.
Nous donnons dans l'appendice le texte du testament de Louis XIV.
Dès que cela fut achevé, qui fut court, une députation du parlement alla chercher le testament du feu roi et son codicille, qui avoit été mis eu même lieu après qu'il eut été fait, le testament déjà placé.
L'un et l'autre furent lus tout haut par deux conseillers de la grand'chambre.
Les changements proposés au testament par M. le duc d'Orléans ne tinrent pas; mais ceux qu'il proposa pour le codicille firent naître une dispute, d'abord mesurée, puis fort vive de la part de M. le duc du Maine, pour maintenir l'autorité entière et indépendante qui lui étoit donnée, et au maréchal de Villerov sous lui, sur toute la maison politique et militaire du roi.
Il y eut force répliques de part et d'autre, et la chose commençant à devenir peu décente, quelques pairs firent signe à M. le duc d'Orléans d'aller conférer en particulier; il l'entendit avec assez de peine et de temps, et l'exécuta.
Il sortit donc suivi de M. du Maine et de M. le comte de Toulouse, tout le monde restant en place, et leurs domestiques principaux; puis plusieurs gens, attachés à l'un ou aux autres, les suivirent dans la première des enquêtes, qui est tout contre la grand'chambre; un peu après, M. le Duc les fut trouver.
Comme cela duroit longtemps, M. de la Force se leva de place, et s'y en alla; il revint assez promptement, et parla bas au duc de Saint-Simon, qui là-dessus quitta la séance, et alla à la première des enquêtes.
Il y trouva beaucoup de monde de toutes sortes de ce qui n'avoit pas séance, que l'attachement ou la curiosité y avoit conduits les uns après les autres. M. le duc d'Orléans et M. du Maine se parloient plus que vivement auprès de la cheminée, y ayant un grand cercle vide entre eux et le monde; M. le comte de Toulouse seul en silence assez près d'eux, et M. le Duc en silence aussi plus près du monde.
On vit (Saint-Simon s'approcher fort près, écouter quelques moments, puis joindre M. le duc d'Orléans, qui d'abord parut surpris et fâché, le tirer à part, se parler tous deux à diverses reprises fort bas, à quelque distance de M. du Maine, qui, demeuré où il étoit, regardoitde tous ses yeux; et à la fin de ce colloque M. d'Orléans se rapprocher de M. du Maine et lui dire d'abordée qu'il étoit temps de rentrer, et tout de suite se mettre en marche pour la séance.
Rien n'étoit fini entre eux, et ce mouvement surprit fort M. du Maine à ce qu'on vit à son maintien; rien ne parut à celui de son frère ni de M. le Duc, qui n'étoient pas là dans les mêmes intérêts.
Tous rentrèrent donc à la lin en séance; des qu'où fut placé et le bruit de la suite accompagnante fini qui regagnoit ses places hors la séance, M. le duc d'Orléans dit à la compagnie qu'il étoit tard, qu'il y en avoit encore pour longtemps, qu'il croyoit qu'il la falloit laisser aller dîner et venir achever après.
Aussitôt il se leva, toute la séance se leva en même temps sans que personne s'y opposât, et chacun alla chez soi. On remarqua que Saint-Simon, qui étoit prié à dîner chez le cardinal de Noailles, envoya s'excuser en sortant du Palais, et s'en alla tout droit au Palais-Royal, où il mangea un morceau avec M. le duc d'Orléans, Canillac et le chevalier de Conflans, tandis que les gens du roi y furent mandés.
Le Palais-Royal étoit plein de foule, même considérable, que la curiosité y avoit attirée. Goësbriant, gendre de Desmaretz, qui étoit envoyé explorer par le maréchal de Villeroy, resté à Versailles, envoya plusieurs courriers, dont les premiers remplirent le maréchal d'une telle joie qu'il ne put s'empêcher de la montrer et de conter les nouvelles qu'il recevoit.
Les dernières ne furent pas de même. Dès que M. le duc d'Orléans eut parlé aux gens du roi, et puis au procureur général seul, Saint-Simon toujours avec lui et par-ci par-là Canillac, chacun retourna au parlement, où tout passa d'une voix au gré de M. le duc d'Orléans sur le codicille comme sur le testament. M. du Maine parut interdit, et balbutiant le peu qu'il dit pour s'opposer encore et représenter ses raisons, mais avec peu de mots très-mesurés, une foible voix, et un air fort respectueux et fort embarrassé; ce qu'il dit ne fut seulement pas mis en délibération.
On acheva ensuite fort tranquillement ce qui n'avoit pu l'être le matin, et la séance finit avec une entière satisfaction de M. le duc d'Orléans.