Le cérémonial le plus impressionnant à Versailles fut celui de Louis XIV qui montre le souverain traité comme s'il était vivant, devant lequel on disait chaque jour une messe basse et autour duquel persistaient les querelles de préséance, chaque mort royale étant l'occasion par excellence où s'exprimait par les "rangs" la constitution non écrite du royaume
un recueil entièrement consacré au récit de cette pompe funèbre a été rédigé par Desgranges
Le cercueil de Louis XIV est exposé dans le salon de Mercure au château de Versailles, veillé par 72 écclésiastiques
On luy mit un petit crucifix dans les mains jointes
Le corps étoit assés élevé pour estre vu
(Une planche avait été placée sous le drap pour éviter la corruption: les visiteurs entraient par l'escalier de la reine et sortaient par le degré du roi.Comme pour le souverain pontife, le rituel de l'exposition du corps était capital: outre le moyen d'authentifier publiquement la mort, c'était un instrument au service dela glorification du défunt, conformément à une pratique attestée depuis l'Antiquité)Je fis mettre aux deux costez du lit
(il s'agit du lit de la chambre de 1701 dans laquelle mourut le roi) douze chandeliers de la chapelle du château avec des cierges et aux pieds, une crédence, sur laquelle je fis mettre une croix et deux chandeliers de vermeil doré, aussi pris dans la chapelle
Cette crédence étoit couverte d'un riche tapis et d'une toilette des plus propre, c'est à dire élégante et raffinée que le roy eût
Au costé droit en dedans de la balustrade, on mit un ployant au chevet adossé contre le mur, et une petite forme aussi adossée contre le mur, et des formes très riches autant qu'on y en put mettre
Le cardinal de Rohan, en camail et rochet et étolle, occupa le ployant
il prétendoit un siège à dos, mais les evesques s'y étant opposé, en disant qu'ils n'y viendroient pas s'il avoit un siège différent du leur, il se contenta du ployant sans conséquence
(antienne des compromis en matière de rang, cette expression signifie que l'action concédée ne peut faire précédent pour l'avenir, qu'elle réserve tous les droits de l'intéressé) marquant qu'il avoit trop d'obligation au feffunt roy pour vouloir faire aucun incident sur ce sujet
Les aumosniers du roy et le Père Le Tellier, confesseur, occupèrent la forme à la suite du ployant et celle qui étoit en retour plus proche du rcorps; une autre derrière fut occupée par six prestres de la paroisse et de la chapelle
A gauche, dans la balustrade, je fis mettre un ployant adosé contre le mur, et quatre autres ployans en retour, puis les formes comme de l'autre costé (...)
Six Récollets de Versailles se placèrent sur la dernière forme
A dix heures, le cardinal de Rohan commença le De profundis, et les religieux psalmodièrent le reste du jour jusqu'à huit heures du soir
il fut dit des messes depuis dix heures jusques à midy sur deux autels que je fis dresser dans la chambre, un contre la cheminée et l'autre à l'opposite (...)
L'autopsieL'autopsie eut lieu dans l'antichambre de l'Oeil de Boeuf puis le corps fut enfermé dans un cercueil avant d'être transporté
Desgranges poursuit ...
"Transport du corps dans la chambre du grand appartement du roy (Salon Mercure) (...) Le cardinal de Rohan, deux aumôniers et 12 ecclésiastiques ou religieux le précédaient, le cierge à la main, et il était suivy du duc de Trêmes, des officiers des cérémonies et des officiers de la Chambre et de la Garde Robe (...)
Dans la balustrade, on mit à droite un siège ployant, adoosé contre le mur, pour le grand aumônier et de suite une forme pour les aumôniers et le confesseur
En retour du siège du grand aumônier, 4 pareils sièges pour les évêques, une forme derrière pour les ecclésiastiques de la chapelle et l'agent du clergé et deux autres formes pour les religieux psalmodians
Lorsque les évêques vinrent pour la première fois, Monsieur de Dreux, qui en avait reçu l'ordre de monsieur le grand maistre de France, leur déclara qu'ils ne devoient avoir que des formes et point de carreaux et que s'il leur en donnoit, c'estoit avec protestation
ils répondirent qu'ils feroient leurs remonstrances: l'abbé de Broglie, agent général, prétendit même qu'ils devoient avoir des sièges à dos et protesta sur cela (...)
Sur les deux formes reculées, les religieux psalmaudians
Au pied du lit, une crédence, couverte d'un tapis riche et d'une toilette, sur laquelle il y avit un crucifix et quatre chandeliers: un tabouret riche, couvert d'une toile fine, sur lequel étoit le bénitier
Autour du lit, 12 chandeliers (...)
Quatre autels richement ornez, à savoir un appliqué à la cheminée, l'autre à l'opposite et les deux autres dans les embrasures des fesnetres
Sur la disposition de la "salle d'honneur", la description de la pompe funèbre des rois faisant partie du recuiel formé par l'abbé Besongne, aumônier de la Maison du Roi, diffère quelque peu de celle de Desgranges
"On dresse au milieu un théâtre élevé de 3 degrés, le tout couvert d'un grand tapis de Turquazuré, semé de fleurs de lys en broderie d'orVis à vis est aussi un autre petit théâtre carré, aussi haut que le grand, couvert de même d'un tapis de Turquie et fermé d'une pareille balustradeSur ce théâtre s'élève un grand autel, couvert depuis le haut jusqu'en bas de velours violet bordé d'or et d'argent et quelque broderie, orné de chandeliers et autre ornementAu-dessus de l'autel est suspendu un dais de toile d'or frizé, mi-party de toile d'argent trait frizé d'or et clouté de soye violèteLes prélats disent la messe à cet autel où assistent les princes, seigneurs, dalme ayans des sièges couverts d'or et de soye passementés et frangésLe fauteuil du feu Roy se fait surtout remarquez, couvert de brocart, et le grand chambellan est assis derrièreTout contre, le prie-Dieu du feu Roy est placé, couvert d'un grand tapis de pied de velours rouge, garnie de 2 coussins de m^me, et au-desss un dais d'or frizéOn rend les mêmes honneurs à ce fauteuil et prie-Dieu que si le Roy plein de vie y étoit encore car, l'évangile dite, le clerc de Chapelle y aporte le messel et le chapelain à la fin de la messe y aporte le corporal"L'effigie est ensuite décrite, les yeux tournés vers le ciel, les mains jointes, revêtue du manteau royal, de la couronne d'or, du ceptre et de la main de justice
parmi les honneurs à lui rendre, le service des repas doit être assuré durant huit à dix jours, la viande étant récupérée pour être donnée aux pauvres
Pendant le "repas" pour lequel le grand aumônier dit le Benedicite et rendait les grâces, la Musique de la Chambre doit chanter un De Profundis
Effigie et service des repas furent supprimés pour Louis XIV
(Lorsqu'on cessoit autrefois après ce temps de voir les roys et les reynes dans leur lit de parade, on mettoit une effigie de cire en leur place et on la servoit quarante jours à dîner et à souper, mais cette cérémonie a esté changée (Mercure Galant. Août 1683). Par ailleurs, depuis Henri IV, dernier roi mort à Paris, les "grandes cérémonies" n'avaient plus lieu, au cours desquelles l'image de cire du souverain, moulée sur son cadavre, était promenée en cortège dans les rues de la capitale. Le traitement d'un corps physiquement mort comme s'il était vivant semble dérivé de la pratique pontificale, elle-même attestée dans l'Antiquité et dans l'Empire byzantin: il s'agissait par là d'affirmer la gloire spirituelle du défunt)Le compte rendu de Desgranges se poursuit ainsi:
"Pendant 8 jours que le roy fut ainsy en dépost, on dit tous les jours une messe basse par le chapelain de l'Oratoire, pendant laquelle la Musique, placée à l'antichambre (Salon de Mars) chantoit le De profundis,un Miserere ou un autre psaume et à la fin de la messe, il disoit les vêpres des morts et l'oraison, ensuite il jettoit l'eau bénite sur le corps comme au commencement de la messeAprès cette basse messe, les officiers de la grande chapelle commencèrent la messe de Requiem: le célébrant, entrant avec ses officiers faisoit une inclination au corps, jettoit l'eau bénite, faisaoit une inclination: après quoy il saluoit le grand aumônier et le clergé à droite et les officiers du roy à gauche, le célébrant alloit à l'autel à droite, commençoit la messe en faisant les cérémonies ordinaires et à la fin il quttoit la chasuble et prenoit la chappe pour faire l'absoute, les chapiers commençantle Libera à la fin duquel l'officiant disoit le pater noster ayant auparavant bénit l'encens, donnoit trois coups de goupillons d'eau bénite et autant de coups d'encensoir; ensuite il disoit à haute voiix Et ne nos inducas in tentationem et les versets auxquels le choeur répondoit; le célébrant disoit l'oraison Absolve à la fin du Reqiem aeternam en faisant le signe de la croix sur le corps, le clergé et les officiers se retiroient dans la chambre prochaine (Salon d'Apollon) qui servoit de sacristieTous les ecclésiastiques mandez par le grand aumônier car jusques à présent le grand maistre des cérémonies avoient pris soin, mais Monsieur le cardinal de Rohan aiant témoigné que cette fonction luy appartenaoit et qu'il la souhaittoit, nous n'avons pas fait de difficulté de l'en laisser le maistre"D'après le Cérémonial historique de l'abbé Chuperelle, lors de l'exposition du corps de louis XIV, l'autel de droite servait aux cardinaux, archevêques et évêques ainsi qu'aux aumôniers du roi et maître de la Chapelle Musiquee
Les Chapelains de la Chapelle-Oratoire et les religieux disaient la messe à l'autel de gauche
La messe chantée de Requiem avait donc lieu à l'autel de droite, vers dix heures
Le célébrant quittait le salon d'Apollon dès le commencement de l'Introït, chanté depuis le Salon de Mars
Après avoir reçu l'épistolier, le sous-diacre devait saluer le corps royal: le diacre devait faire de même avant et après le chant de l'évangile
"Les deux chapelains ou chantres dotés de belles voix devront porter tous les jours la chape et entrer sur la fin de la grand messe dans la chambre du lit de parade pour y chanter pendant neuf à dix jours le libera qu'ils étonnent et que les basses-contres continuent derrière eux"Malgré ses inexactitudes, la gravure représentant la chambre d'exposition de Louis XIV permet de voir la disposition des autels formant retable, surmontés chacun de quatre tentures noires aux armes de la Couronne
Des chandeliers portant des écussons sont disposés autour du lit
on y assiste à la cérémonie de l'aspersion d'eau bénite, à laquelle sont présents les religieux Lazaristes et Récollets, assis sur les formes et revêtus d'un tabard sur robe longue, les hérauts d'armes
La légende fait allusion aux "cinq grandes messes de Requiem en musique" et aux cent messes de l'Oratoire, vespres et offices divins auquels assistoient tous les jours Messieurs les aumôniers, grands maîtes et grand aumôniers, maîtres de la Chapelle et Oratoire du Roy, les écuyers et grands écuyers chevaliers de l'ordre, gentilshommes de la Chambre et autres officiers
Lecture au parlement du testament de Louis XIV
Le parlement annule le testament de Louis XIV et reconnaît Philippe d'Orléans comme Régent
Philippe d'Orléans s'impose en face de son rival le
duc du Maine (fils légitimé de Louis XIV)
Du livre « La seconde mort des rois de France » par Jacques Saint-Germain, Hachette (Paris, 1967), chapitre XVI : La façon dont se sont déroulées les obsèques de Louis XIV, infirme une fois encore les assertions de Saint-Simon, mémorialiste d’un admirable talent, mais d’intentions trop souvent partisanes, qui détestait le roi tout en l’admirant.
Saint-Simon apprit, dit-il, la mort de Louis XIV à son réveil, alla d’abord saluer le nouveau monarque enfant, puis fut rappeler au Régent qu’il lui avait proposé, pour la pompe funèbre, « d’épargner la dépense, la longueur et les disputes que ferait naître une si longue cérémonie, et d’en user, quoique le roi n’eût rien ordonné là-dessus, comme il avait été pratiqué pour Louis XIII, qui avait tout défendu et réduit au plus simple »
Le duc d’Orléans s’y conforma, et il ne « se trouva personne qui se souciât assez du feu roi pour relever un retranchement si entier, et qu’il n’avait point ordonné ».
D’ailleurs, les caisses de l’État étaient vides, après une série de guerres épuisantes et la crise économique terrible de la fin du règne. La France manifestait « un extrême et pressant besoin de finances ».
Selon Saint-Simon, Louis XIV aurait en outre atteint le summum d’impopularité : « Le peuple, accablé, désespéré, rendit grâces à Dieu, avec un éclat scandaleux, d’une délivrance dont ses plus ardents désirs ne doutaient plus. »
Le mémorialiste dut cependant reconnaître, à son corps défendant, que toutes les cours étrangères, « se piquèrent de louer et d’honorer la mémoire du roi. L’empereur en prit le deuil comme d’un père », et ultérieurement, lors du carnaval, les divertissements furent interdits à Vienne.
Quels furent les faits réels, selon un témoin moins intéressé à déformer la vérité ? (1)
Louis XIV agonisa du 29 au 31 août 1715, mais conserva sa connaissance, qu’il ne perdit, pour entrer dans le coma, qu’au cours de la nuit du 31.
Il mourut le 1er septembre, à huit heures du matin, ayant dit quelques jours auparavant au futur Régent, venu à son chevet, non loin duquel se trouvait Louis XV :
« Mon neveu, vous voyez ici deux rois, l’un qui va mourir, l’autre qui ne fait presque que de naître. »
Le corps de Louis XIV, exposé dans sa chambre, fut salué par les visiteurs jusqu’à la nuit ; un bruit monotone s’élevait en permanence d’un coin de la pièce, au-delà de la balustrade : des moines psalmodiaient.
Le 2 septembre, eut lieu l’autopsie en présence du duc d’Elbeuf et du maréchal de Montesquieu, nommés à cet effet par le défunt.
Bien entendu, les incisions furent pratiquées par le premier chirurgien, assisté de confrères de la communauté de Saint-Côme, du premier médecin et des autres médecins du roi.
On constata la gangrène gazeuse d’une jambe, cause du décès, puis on referma et mit aussitôt en bière, le cadavre se décomposant très vite.
Le cercueil demeura exposé huit jours dans la chambre du grand appartement, admirablement décorée et meublée ; la garde était assurée par les principaux officiers de la maison.
Le 3 septembre, les entrailles furent transportées en carrosse à six chevaux, le jour, à Notre-Dame de Paris, par l’aumônier, le maître des cérémonies, un exempt et six gardes, ces derniers portant des flambeaux.
Le 5, la cour prit le deuil, cependant que, selon l’usage, le clergé, le parlement, la chambre de comptes, la cour des aides et celles des monnaies allaient, en corps, présenter leurs compliments au nouveau roi.
Le lendemain, de jour également, le cœur du défunt fut apporté à la maison professe des jésuites par le cardinal de Rohan, accompagné du comte de Charolais, des premiers gentilshommes de la chambre et du nouvel aumônier du jeune roi.
Vingt pages à cheval portaient des flambeaux autour du carrosse de tête ; le convoi était rehaussé par trente gardes françaises, trente gardes suisses, vingt valets.
Louis XIV, qui avait laissé un testament politique détaillé, n’avait, en revanche, rien prévu quant à sa cérémonie funèbre.
Il eût certes pu, ayant été traité cent fois, par les libellistes et les protestants, de « tyran », de « satrape oriental » ou de « grand Turc », vouloir une cérémonie aussi fabuleuse que le fut, par exemple, celle de charlemagne qui avait entendu être assis sur un siège d’or, porter une épée, un sceptre, un missel, un diadème et s’entourer de reliques.
Pour le Grand Roi, rien de tel. Il s’en était remis à la sagesse de ses proches.
Les religieux de Saint-Denis n’avaient pas de raison particulière de chérir la mémoire du monarque.
Celui-ci avait en effet supprimé leur abbé commendataire (le dernier d’entre eux fut Jean-François-Paul de Gondi, cardinal de Retz, mort en 1679), mis la main sur la riche mense abbatiale et dévolu celle-ci en 1686 à la Maison de Saint-Cyr, sans d’ailleurs porter atteinte ni à la mense conventuelle, ni aux ressources alimentant le service du culte.
Depuis 1686, les dames de Saint-Cyr étaient donc devenues conseigneurs de Saint-Denis de concert avec les bénédictins. C’est à ce même Saint-Cyr, ajoutons-le, que devait être inhumée Mme de Maintenon, laquelle survécut non seulement à son royal époux, mais presque aussi au Régent, ne mourant, très âgée, qu’en 1719.
Louis XIV avait, enfin, réglé de façon plus restrictive qu’auparavant les dons aux moines lors des pompes funèbres royales, mesure que le chapitre avait ressentie avec amertume, la considérant comme un nouvel empiètement sur des privilèges très anciens.
Le transport diurne, de Versailles à Paris, des entrailles et du cœur de Louis XIV, selon le cérémonial traditionnel, ne souleva pas le moindre accident. Sur ce point, déjà, Saint-Simon est pris en flagrant délit de déformation historique.
Quant au corps du roi, levé par le cardinal de Rohan, il quitta Versailles le 9
au soir (cas fréquent, nous l’avons vu), après que les vêpres eurent été célébrées par la musique de la chapelle. On mit le cercueil sur un chariot d’armes escorté par la plus ancienne et la plus fidèle compagnie de la garde, celles des Écossais.
Le cortège était composé exactement selon le même ordre que celui des rois précédents :
- en tête, le capitaine des grades, les carrosses des principaux officiers de la maison, celui des écuyers du duc d’Orléans, puis :
- le maître des cérémonies,
- les mousquetaires noirs et les mousquetaires gris,
- les chevau-légers,
- deux des célèbres carrosses de Louis XIV, vastes et couverts de dorures ; on prêta, pour la circonstance, le premier aux aumôniers, au confesseur (le P. Le Tellier) et au curé de la paroisse (Versailles), le second au duc d’Orléans, au cardinal de Rohan, aux ducs,
- les trompettes de la chambre,
- les hérauts d’armes, le grand maîtres des cérémonies et ses aides,
- le chariot d’armes funèbre, flanqué de quatre aumôniers à cheval, portant les coins du poêle et de la garde écossaise,
- le prince Charles de Lorraine, grand écuyer, et le duc de Villeroy, capitaine des gardes du corps,
- les gardes et les gendarmes à cheval.
À une demi-lieue de Saint-Denis, cet imposant convoi fut complété par un grand nombre de représentants du parlement et des cours souveraines.
Les religieux de Saint-Denis, venus á « la Croix penchée », précédèrent en procession le chariot jusqu’à la porte de la ville, où fut entonné le
Libera me, Domine. Puis on gagna la basilique, au seuil de laquelle le cardinal de Rohan, présentant le cercueil au prieur, prononça une allocution dont les termes élevés montrent combien l’ambiance émue de la cérémonie était à l’opposé des affirmations de Saint-Simon :
« Savants et saints religieux, nos venons déposer ce qui nous reste d’un des plus grands rois qui aient gouverné cette puissante monarchie. Nous venons, par l’abaissement et par l’anéantissement des grandeurs les plus éclatantes, rendre hommage à Celui qui est, a été et sera eternellement.
« …La postérité la plus reculée conservera la mémoire de Louis le Grand, le victorieux, le pacifique, l’asile et le protecteur des rois. Appliqué depuis longtemps aux exercises d’une piété pure et sincère, occupé tout entier des devoirs de la religion, ne songeant qu’aux moyens de soulager ses peuples abattus sous le poids d’une guerre aussi longue et pénible qu’elle fut nécessaire, ce grand prince a consommé sa course avec une fermeté et une religion dont il est peu d’exemples. Nous en avons été les tristes témoins.
« Loin de s’écrier, dans ses dernier moments : « O mort, que ton souvenir est amer à l’homme qui jouit paisiblement de ses richesses », il ne pleura jamais sur lui-même ; s’il versa quelques larmes, il ne les donna qu’a la douleur de ceux qui l’environnaient ; doux et tranquille, mais sans faiblesse ».
Cette allocution, profondément ressentie par le prélat qui la prononçait, devait avoir une étrange et cruelle résonance pour le duc d’Orléans et le premier président du parlement, prêts à déchirer le testament du roi et à violer ses dernières volontés ; mais aussi, résonance combien douce pour les souverains d’Angleterre, réfugiés à Saint-Germain, ainsi que pour la veuve de Louis XIV, Mme de Maintenon, absente par discrétion.
Le 10 septembre, un service solennel associa, dans la basilique tendue de noir, tous ceux qui avaient participé au convoi et les moins.
Le cercueil demeura exposé jusqu’au 23 octobre dans la chapelle funéraire sur un superbe catafalque et enterré ce jour-là. L’évêque de Castres, M. de Beaujeu, prononça l’oraison funèbre, tandis qu’au même moment s’en prononçait d’autres à Notre-Dame de Paris, aux Jésuites, à la Sainte-Chapelle (où le célèbre Massillon parla à la demande de la chambre des comptes), à Saint-Jean-de-Grève, etc.
Puis eut lieu, à Saint-Denis, la traditionnelle cérémonie de remise des honneurs : éperons, écu, cotte d’armes, heaume, pannon, épée royale, main de justice, sceptre, couronne.
Le duc de la Trémouille, faisant fonction de grand maître de France, mit son bâton dans le caveau ; les maîtres d’hôtel rompirent le leur.
Immédiatement après, retentirent les cris, lancés à pleine poitrine : « Le roi est mort, vive le roi Louis XV ! » Princes, clergé, ducs, officiers, compagnies et ambassadeurs des pays étrangers furent ensuite traités « très magnifiquement » en diverses salles de l’abbaye.
Qu’on est loin de ces obsèques presque anonymes, expédiées à la hâte, en présence d’une assemblée clairsemée et désireuse d’en finir, dont parle Saint-Simon ! En réalité, ce fut une cérémonie magnifique et digne du Grand Roi.
(1) Bibliothèque de l’Arsenal. Manuscrit 3724 :
« Relation de ce qui s’est passé de plus considérable pendant la maladie du roi Louis XIV et depuis sa mort. »