Construits en 1679, le château de Marly (Yvelines) et son parc n’accueillaient que le Roi soleil et ses intimes, loin de l’étiquette de Versailles. Le musée du domaine royal, qui raconte cette époque, rouvre samedi.
Le musée du domaine royal de Marly. LP/Arnaud JournoisPar CHRISTOPHE LEVENT
« Sire, Marly ! » A la cour de Versailles, la petite phrase se chuchotait le plus près possible de l'oreille du roi Louis XIV, dans l'espoir d'un signe de tête et d'une inscription sur la liste plutôt restreinte des invités. Car tous, marquis, ducs, princes et princesses, rêvaient d'un ailleurs. À quelques kilomètres de là seulement, à Marly (Yvelines). Là, le roi s'était fait construire un palais et un jardin réservé à l'élite de l'élite : « J'ai fait Versailles pour la cour, Marly pour mes amis… » confiait volontiers le monarque qui y séjournera pour la première fois au printemps 1679.
À quoi ressemblait la vie dans cette « maison de campagne » où seuls les plus intimes étaient conviés ? Le Musée du domaine de Marly, qui rouvre samedi après trois ans de travaux dans une version remaniée, s'attache à la restituer. Car malheureusement, du château lui-même, il ne reste que des ruines : il a été détruit en 1806. Le vaste parc, toujours très agréable pour une promenade, n'a lui conservé que son plan et quelques-uns de ses nombreux bassins, comme l'Abreuvoir.
Pour traverser le temps, il faut donc pousser les portes du petit pavillon, juste derrière la grille royale. Et d'abord se pencher sur l'immense maquette au centre de la première salle pour découvrir une architecture innovante. Bien loin de celle de Versailles, Marly mise sur « l'éclatement » : au cœur, le pavillon royal, bordé de chaque côté de douze autres petits pavillons réservés aux invités. Au centre, d'immenses bassins arrosés de fontaines. « C'était unique à l'époque. L'esprit de Marly sera ensuite copié dans de nombreuses résidences royales en Europe. » commente Géraldine Chopin, responsable scientifique du musée.
LP/Arnaud Journois Une autre « merveille » allait faire de Marly un objet de fascination à travers le continent : sa machine ! Pour alimenter en eaux jaillissantes les multiples fontaines, il fallait trouver un ingénieux système. La tâche fut confiée à deux Liégeois. Ils imaginent une immense machine en bois, munis de 14 roues de 12 m de diamètre, pour pomper l'eau de la Seine à 2,5 km en contrebas et la remonter, en plusieurs étapes, 160 plus haut. Une véritable performance scientifique à l'époque, que le musée évoque à travers de nombreuses reproductions mais aussi deux maquettes interactives qui devraient faire le bonheur des enfants.
Moins fastueux que VersaillesDans ce cadre qui se veut royal mais moins fastueux que Versailles, dans cet « autre palais », la vie s'écoule au rythme du bon plaisir du roi et de ses invités triés sur le volet, comme le duc de Bourgogne ou le couple Saint-Simon. Un cercle restreint qui pouvait tout de même atteindre la centaine…
Comme le rappellent les tableaux et objets des vitrines du musée, l'une des occupations favorites reste la chasse dans le parc et la forêt alentour. « Mais il y avait de nombreuses autres distractions. L'été, la barque sur le lac. Des escarpolettes, les balançoires de l'époque, étaient aussi disposées dans les jardins, comme des ramasses, ces chariots de bois à bord desquels on dévalait des pentes. Au pavillon royal, il y avait concert tous les soirs et très souvent des bals, masqués ou non », détaille la responsable du musée devant une maquette en coupe des intérieurs du château.
LP/Arnaud Journois Pendant tout son règne, Louis XIV n'aura de cesse de profiter des libertés qu'offre « cette résidence secondaire ». « On dirait qu'à Versailles il est tout entier aux affaires et qu'à Marly il est tout à lui et à son plaisir », écrit Racine à Boileau en 1687. Ses successeurs lui trouveront moins de charmes, même si l'on doit à Louis XV les célèbres sculptures des « Chevaux de Marly ». Mis sous séquestre à la révolution, le domaine deviendra même manufacture de draps… Aujourd'hui, le musée rénové lui offre, avec bonheur, un nouvel éclat.
ON RENCONTRE… La princesse PalatineAu musée de Marly, son portrait, réalisé vers 1700, trône au milieu de ceux des habitués du lieu. Rien d'étonnant : Elisabeth-Charlotte de Bavière, dit la princesse Palatine, est la seconde épouse de Philippe d'Orléans, le frère de Louis XIV. En tant que « belle-sœur », elle fut pratiquement de tous les séjours du monarque dans sa « résidence secondaire ».
Et c'est une chance ! La princesse a la plume facile et intarissable. Sorte de Saint-Simon au féminin, en plus cru, elle est même surnommée l'« Océan d'encre » pour sa correspondance qui atteint les 60 000 lettres ! Des documents qui constituent une source très importante dans la connaissance de Marly à l'époque du roi Soleil.
Elle commente notamment l'étiquette assouplie pendant les séjours à Marly, où les hommes portent leur chapeau devant le roi et les femmes peuvent se promener en « robe de chambre ». « À Marly, le roi n'avait pas la moindre cérémonie […] il n'y avait pas d'étiquette et tout courait pêle-mêle », écrit-elle notamment en 1716.
Plus largement, elle est connue pour ses bons mots, souvent triviaux, à l'encontre de ceux qu'elle déteste : elle sert de « la vieille conne » à Madame de Maintenon et estime que mademoiselle de Blois, sa belle-fille « ressemble à un cul comme deux gouttes d'eau » !
ON DÉCOUVRE… L'éclipse solaire de 1715
Le roi soleil, en monarque éclairé, avait un goût pour les éclipses. Durant son règne (1643-1715), il eut la possibilité d'en observer deux. La première en 1699 alors que la cour est au château de Fontainebleau. Pour la seconde, le 3 mai 1715, le roi est à Marly et c'est depuis le parc qu'il observera ce phénomène extraordinaire, occultant l'astre à près de 90 % en France et plongeant Londres dans le noir total pendant de longues minutes.
Le musée de Marly propose de revivre ce moment grâce à la réalité virtuelle (sur réservation). Casque devant les yeux, les visiteurs pourront s'immerger dans un film 3D, également diffusé sur écran, qui retrace l'observation et les quelques jours précédents, notamment à travers les dialogues entre le duc d'Orléans, l'astronome Jacques Cassini et le souverain. Le dispositif permet également de se balader dans le décor restitué d'un pavillon de Marly, celui où trônaient les immenses globes de Coronelli (4 m de diamètre, 2 t chacun) désormais exposés à la bibliothèque François-Mitterrand.
Assis près d'une lunette astronomique et suivant l'éclipse sur une vitre teintée, le roi soleil, alors âgé de 72 ans, philosophe : « Même les plus grands astres peuvent avoir des faiblesses. » Il mourra 4 mois plus tard…
http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/sortir-region-parisienne/patrimoine-le-musee-de-marly-fait-revivre-les-heures-frivoles-du-roi-soleil-16-01-2020-8237688.php