Au coeur de l'histoireMarie-Antoinette, une reine de la mode
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On va maintenant découvrir le texte. Les illustrations seront de moi.
- Une garde robe garnie, des coiffures extravagantes, une fièvre acheteuse... Marie-Antoinette avait tout de la "fashionista" ! Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars revient sur la folle passion d'une reine.
Alors que la Fashion Week, événement qui fait converger deux fois par an chroniqueurs de mode et acheteurs du monde entier à Paris, se termine, Jean des Cars revient dans un ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, sur la passion de la reine Marie-Antoinette pour la mode. Une inclinaison qui va lui coûter cher au sens propre comme au sens figuré. Ses folles dépenses vont contribuer à détériorer son image.
Chaque année, pour la fête du Roi Louis XVI, la Saint-Louis, une grande exposition est organisée au palais du Louvre. Elle y réunit les peintres les plus en vue. Y présenter ses oeuvres est un honneur et, justement, cette année-là, le 25 août 1783, Madame Vigée Le Brun expose dans la première salle deux portraits, celui de la comtesse de Provence, belle-soeur de Louis XVI et surtout celui de la reine.
Elles sont toutes les deux vêtues d’un costume comparable qualifié "en Gaulle". Ce terme désigne une souple robe de fil blanc, bordée de mousseline au col et aux poignets. La taille est marquée par une écharpe nouée. La reine est coiffée d’un simple chapeau de paille orné de plumes et de rubans bleus. Elle tient dans la main gauche une rose dont elle entoure la tige d’un ruban de la main droite. La reine est belle et sereine dans cette tenue aérienne mais ce tableau provoque une tempête. Le mémorialiste Bachaumont l’explique :"Bien des gens ont trouvé déplacé qu’on offrît en public cet auguste personnage sous un vêtement réservé pour l’intérieur d’un palais ; il est à présumer que l’auteur (Mme Vigée Le Brun) y a été autorisée et n’aurait pas pris d’elle-même une telle liberté."
Le public est choqué par la tenue "bourgeoise" de la reine. On va même la qualifier de femme de chambre… La tableau est vite retiré de l’exposition et remplacé par un autre portrait de la reine, toujours par Madame Vigée Le Brun. Marie-Antoinette a exactement la même pose, tient toujours la même rose dans sa main droite mais elle a changé de robe et de coiffure. Elle est vêtue d’une somptueuse robe de soie gris bleu dite, couleur "suie des cheminées de Londres" et ornée de dentelles. Et un turban de soie décoré de plumes remplace le chapeau de paille. Deux rangs de perles ornent son cou. Marie-Antoinette est redevenue la reine.
Si Madame Vigée le Brun a peint les deux tableaux, il faut noter que les deux robes comme les deux coiffures ont été réalisées par la "marchande de mode" la plus célèbre de Paris, Melle Rose Bertin. Comment Rose Bertin est-elle devenue la couturière quasi exclusive de Marie-Antoinette et comment a-t-elle réussi à s’introduire dans son intimité ? Comment a-t-elle transformé Marie-Antoinette en reine de la mode ?
Une dauphine bien mal habilléeLorsqu’elle arrive à Versailles en 1770 pour épouser le dauphin Louis, Antonia, la plus jeune des filles de l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse n’a que 15 ans. Si les traits de son visage ne font pas l’unanimité, on s’accorde à lui trouver un teint de lys, de très beaux yeux bleus, de magnifiques cheveux blonds. Sa grâce, lorsqu’elle se déplace, fait l’admiration de tous : elle ne marche pas, elle glisse. Il est vrai qu’à Vienne où elle est née, on lui a appris la danse, la musique avec Gluck comme professeur, le chant, le dessin et la broderie.
Elle n’est que charme et gaieté mais elle a bien du mal à s’adapter à cette cour de Versailles qui impose une étiquette sévère. A Vienne, tout était beaucoup plus simple. Elle fera quelques gaffes, notamment en refusant de se montrer aimable à l’égard de la maîtresse du roi Louis XV, grand-père de son mari le dauphin, la comtesse du Barry. La mère de la dauphine, par lettres, et l’ambassadeur de Vienne à Versailles, Mercy Argenteau, de vive voix, vont se charger de la recadrer.
La mode ? Elle ne sait pas ce que c’est ! On va lui donner comme maîtresse de sa garde-robe la duchesse de Villars qui avait occupé le même office auprès de la reine Marie Lesczynska, trente ans auparavant. Madame de Villars fait appel aux marchandes de mode auxquelles elle s’adressait du temps de la défunte reine. Ses anciens fournisseurs font convenablement leur travail mais n’habillent pas très bien la jeune dauphine. Marie-Antoinette n’a aucune envie de porter les corps à baleines, ces corsets extrêmement rigides obligatoires, avec les robes de cour de l’époque.
En revanche, la vie à Versailles va rapidement séduire la dauphine : les bals, les fêtes, le jeu...l’enchantent. Elle commence aussi à remarquer autour d’elle l’élégance de certaines grandes dames de la Cour, la duchesse de Chartres, les comtesse d’Artois et de Provence, belles-sœurs de la reine et même la du Barry, dont les robes ont toutes la même provenance : Mademoiselle Bertin.
Si, en raison de l'Étiquette implacable, la dauphine n’a pas le droit de choisir ses fournisseurs, Marie-Antoinette, en devenant reine à la mort de Louis XV en 1774, peut enfin rencontrer la mystérieuse Mademoiselle Bertin. Cela se produira à Marly en juillet 1774. La duchesse de Chartres, cousine par alliance de la reine, se présente un matin chez Marie-Antoinette accompagnée de Rose Bertin. Beaucoup plus tard, Madame Campan, première femme de chambre de la reine, s’en souviendra :"C’est au premier voyage de Marly que Mme la duchesse de Chartres, devenue depuis duchesse d’Orléans, introduisit dans l’intérieur de la reine Mlle Bertin, marchande de mode devenue fameuse, à cette époque par le changement total qu’elle introduisit dans la parure des dames françaises."
L’ascension fulgurante de Mademoiselle BertinNée en 1747 à Abbeville, en Picardie, pays du textile et de l’industrie de la draperie, dans une famille modeste, elle aurait dû travailler dans une de ces filatures. Mais elle sait lire et écrire, a de l’ambition et un don. Elle commence par être coiffeuse et décide, lorsqu’elle a 18 ans, de tenter sa chance à Paris. Elle est d’abord employée dans une obscure boutique du quai de Gesvres, près de Notre-Dame, mais son goût de l’ouvrage bien fait et sa créativité la font remarquer par la patronne d’une maison de mode située dans un quartier beaucoup plus élégant, la rue Saint-Honoré.
La chance de sa vie sera alors de confectionner la robe de mariage de Mademoiselle de Penthièvre qui épouse le duc de Chartres le 5 avril 1769. La robe est éblouissante et la toute nouvelle duchesse de Chartres a déjà toutes les qualités qui caractérise la famille d’Orléans : elle sait repérer les talents, les encourager et les récompenser. Grâce à la duchesse de Chartres, Mademoiselle Bertin ouvre son propre magasin rue Saint-Honoré, en 1773, à deux pas du Palais Royal, résidence de la famille d’Orléans.
Très vite, sa maison de mode s’appelle "Le Grand Moghol" un nom qui évoque la richesse, l’exotisme de l’Orient qui fascine, l’or, la soie, les velours, les riches broderies, tout ce qui fait rêver. Elle a une énorme clientèle, pas seulement la Cour. Elle habille aussi les grandes comédiennes, les ballerines, Madame Vigée le Brun, peintre renommée et la grande bourgeoisie.
La nouvelle passion de Marie-Antoinette A partir de sa rencontre avec Rose Bertin, Marie-Antoinette se découvre une passion pour la mode. Une contemporaine, la comtesse de Boigne, écrira : "Être la jolie femme la plus à la mode lui paraissait le titre le plus désirable". En effet, Louis XVI charge la reine d’organiser les plaisirs de la Cour. Marie-Antoinette prévoit chaque semaine deux bals, dont un costumé le lundi et deux représentations théâtrales.
Chaque nouvelle fête nécessitant une nouvelle robe, Mademoiselle Bertin voit ses affaires monter en flèche. Au début, elle a deux rendez-vous hebdomadaires avec la reine mais très vite, de nouvelles séances d’essayages vont s’y ajouter compte tenu de la "fièvre acheteuse" de Marie-Antoinette. Cette proximité, quasi quotidienne, de la reine avec Mademoiselle Bertin va durer quinze ans, jusqu’aux journées d’octobre 1789 quand la famille royale quittera Versailles pour les Tuileries, dans des conditions épouvantables.
La Reine découvre avec fébrilité les échantillons de tissus que Rose Bertin transporte dans un portefeuille rouge. Les essayages, les retouches, tout va se faire dans les appartements de la reine à Versailles, plus exactement dans le Salon de la Méridienne. On en est sûr puisque lors de travaux, on a retrouvé des épingles à tête dorée dans le plancher de ce petit salon, situé derrière la chambre de la reine. La présence, au coeur de l’intimité royale, d’une personne étrangère à la Cour, provoque des commentaires peu aimables comme ceux de Madame Campan : "On peut dire que l’admission d’une marchande de modes chez la reine fut suivie de résultats fâcheux pour Sa Majesté. L’art de la marchande, reçue dans l’intérieur en dépit de l’usage qui en éloignait, sans exception, toutes les personnes de sa classe, lui facilitait les moyens de faire adopter, chaque jour, quelque mode nouvelle. La reine, jusqu’à ce moment, n’avait développé qu’un goût fort simple pour sa toilette ; elle commença à en faire une occupation principale".
Rose Bertin, pionnière de la haute coutureIl est vrai que Rose Bertin va profiter de la notoriété que procure sa royale cliente. Non seulement les factures extravagantes qu’elle présente à la reine sont réglées sans retard mais le fait qu’elle puisse apposer sur le frontispice de son magasin "Marchande de modes de la Reine" lui assure une clientèle encore plus nombreuse.
Encore mieux : les femmes illustres de l’Europe entière seront habillées par Mademoiselle Bertin : la reine de Suède, la grande-duchesse de Russie Maria Feodorovna, belle-fille de la Grande Catherine, la reine d’Espagne, la reine de Bohême. Sa notoriété est immense mais, bien sûr, la reine de France aura toujours la priorité de ses créations.
Elle est habile, agrandit son magasin et ses ateliers, elle augmente son personnel, elle veille toujours à la qualité parfaite de son travail, choisit les meilleurs fournisseurs dans tous les domaines, tissus, dentelles, rubans, plumes, bijoux. Cordonniers, gantiers, chausseurs, les meilleurs de Paris travaillent pour elle. Créatrice de talent, c’est aussi une remarquable femme d’affaires. On peut presque dire que Mademoiselle Bertin a été une pionnière de ce nous appelons aujourd’hui la haute couture.
Des coiffures aux proportions hallucinantes...Marie-Antoinette ne jure plus que par elle. Ses robes de Cour, dites robes à la Française, sont somptueuses. La reine accepte le double supplice du corset et du panier. Le panier prend de telles proportions qu’il faut ouvrir les portes à deux battants pour que la reine puisse les franchir. Avec un grand panier, on ne peut passer partout mais la reine déclare, en 1778 :"J’ai été à tous les offices de la semaine, excepté que j’ai été dans une tribune, au lieu d’aller avec le roi à cause du Grand Habit".
Les coiffures, elles aussi, ont pris des proportions hallucinantes et sont d’une telle hauteur qu’il faut que son coiffeur, Léonard, les rabaisse pour qu’elle puisse entrer dans son carrosse ! Si le Grand Habit est indispensable pour les cérémonies et apparitions officielles, Mademoiselle Bertin a senti le vent de l’époque. Marie-Antoinette aussi.
… avant un retour à plus de simplicitéOn sait que le roi a donné, lors de son avènement, à la reine le ravissant Petit Trianon, château de campagne à l’intérieur du parc de Versailles. Elle n’a cessé de l’améliorer et de l’embellir. Elle y crée, notamment, un parc à l’anglaise puis un petit village campagnard, le Hameau. Tout cela est commandé par une autre mode, celle du retour à la nature et à la simplicité bucolique prônés par Jean-Jacques Rousseau.
Enfin, Marie-Antoinette est aussi devenue une mère. Huit ans après son mariage, elle accouche d’une petite fille, Marie-Thérèse, surnommée "Mousseline". En 1781, le dauphin, Louis-Joseph, tant attendu, est né. En 1785, le petit duc de Normandie, surnommé "Chou d’amour", fait, à son tour, le bonheur de la famille royale. C’est donc aussi pour ses enfants que la reine encourage ce retour à la simplicité.
Mademoiselle Bertin, dès 1786, a commencé à lui livrer ses robes blanches, sans garnitures, sans falbalas, sans folle coiffure, juste un chapeau de paille, tout ce qu’il faut pour se promener à Trianon. Ce sont ces fameuses robes qui font scandale au salon de 1783. Hélas... Malgré leur simplicité, ces merveilles sont aussi chères que les précédentes et puis il faut aussi, quand même, toujours commander des robes de Cour.
Une passion qui coûte cher à la reineLes dépenses de la reine pour sa garde-robe explosent : de 30.000 livres en 1776, elles passent à 108.000 en 1780. Certes, le budget de la mode n’est pas la seule cause d’impopularité de la reine, mais il l’aggrave. On reproche tout à Marie-Antoinette : ses travaux à Trianon, ses fêtes, les représentations qu’elle donne dans son petit théâtre, ses dépense de jeu, sa coterie d’amis privilégiés et notamment l’influence de sa chère Madame de Polignac.
Il est vrai que celle-ci est couverte d’or et de bienfaits par la reine. Mais il y a pire : l’affaire du collier, dans laquelle elle est totalement innocente, se retourne contre elle en raison d’une gestion maladroite. Ce qui aurait dû rester une affaire privée devient un scandale d’ Etat. Des libellés orduriers sont déposés partout, jusque sur son oreiller. Son amitié amoureuse avec le beau Fersen est explicitement dénoncée. La reine réalise alors son impopularité et s’effondre dans les bras de Madame Campan en lui demandant : "Mais que leur ai-je fait ?"
Le 9 juillet 1786, la reine accouche de son dernier enfant, Sophie. De santé fragile, la petite fille va mourir l’année suivante, en juin 1787. Au même moment, la santé du dauphin se détériore, il est atteint d’une tuberculose osseuse. Ses souffrances et son agonie torturent le roi et la reine. Le dauphin meurt le 4 juin 1789, un mois après l’ouverture des Etats Généraux. La Révolution est en marche.
Pour Marie Antoinette, accablée par tous ces malheurs familiaux et politiques, l’heure n’est plus à la fête ni à la mode. Son monde s’écroule. La famille royale est désormais réduite à quatre personnes, leur fille Marie Thérèse et le duc de Normandie devenu dauphin à la mort de son frère aîné. Il faut y ajouter une cinquième personne, la jeune sœur du roi, Madame Elisabeth, protégée de Marie-Antoinette.
Leur chemin de croix commence avec les journées d’octobre, l’invasion du château de Versailles par l’émeute et l’obligation pour la famille royale de quitter Versailles et de s’installer à Paris, aux Tuileries.
La maison de couture de Mademoiselle Bertin perd de son prestigeMademoiselle Bertin va elle aussi connaître des difficultés : trop proche de la reine, elle est considérée comme suspecte. Elle va néanmoins se rendre plusieurs fois aux Tuileries, pour livrer quelques modestes robes. Après les évènements du 10 août 1792, quand la famille royale est emprisonnée au Temple, Rose Bertin va être utilisée par Marie-Antoinette pour faire passer des messages à Fersen, alors à Bruxelles.
Après l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793, la Commune accorde des vêtements de deuil à "La Veuve Capet", autrement dit l’ex-reine Marie-Antoinette. Trois jours plus tard, Mademoiselle Bertin apporte au Temple des boîtes où sont soigneusement pliés des robes, des coiffes, des gants, des ceintures et des châles noir et blanc. La fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, la seule survivante du Temple, racontera plus tard : "Nous pûmes voir les personnes qui nous apportaient les habits de deuil, mais en présence des Municipaux".
C’est la dernière rencontre entre les deux femmes. Lorsque Marie-Antoinette est guillotinée le 16 octobre 1793, Rose Bertin a déjà émigré en Angleterre. Elle survivra à la Révolution mais sa maison de couture aura perdu tout prestige. D’autres vont lui succéder. Mademoiselle Bertin n’était plus à la mode. Elle s’éteindra en septembre 1813, à Saint-Cloud.
Désolé si les photos ne correspondent pas à vos attentes, mais je les ai choisies avec mon coeur.