Lorsque Mademoiselle Louise Contat, une parisienne, débuta au Théâtre Français, à seize ans, le 3 février 1776, par le rôle d’Atalide de la tragédie de
Bajazet, elle était jolie, sculptée en statue, la taille svelte, toute la personne d’une grâce attirante. Elle savait rire, montrer une rangée de dents admirables, parler avec distinction, avec élégance. Seulement, sa beauté, son enjouement, sa vivacité d’allure, composaient tout son talent, et le parterre lui montra, par sa froideur, que ces dons naturels n’étaient pas suffisants pour une actrice qui avait la prétention de remplacer Madame Préville.
Louise Contat, en revenant dans les coulisses, sentit plus d’une fois les larmes inonder ses yeux. Elle avait conscience de tout ce qui lui manquait. Et elle travailla; elle se pénétra de l’esprit de ses rôles; elle s’appliqua au débit des vers et de la prose; elle devint actrice, enfin. Beaumarchais, qui la vit, pressentit son talent naissant, sa destinée glorieuse, et il lui confia le rôle de Suzanne dans
Le Mariage de Figaro. Elle y fut éblouissante.
Il y a, dans ce rôle de Suzanne, tout l’esprit que Beaumarchais possédait lui-même, et encore tout celui qu’il y voulut accumuler. Mademoiselle Contat le rendit avec son mordant qui en doublait la valeur. A l’esprit de Beaumarchais, elle surajoutait le sien ; elle enflammait les mots, les phrases, les proverbes de l’auteur. Elle leur donnait un sens plus que malicieux, souvent cruel, et cette langue épicée avec un condiment nouveau, brûlait au passage, comme un charbon ardent.
Elle était coquette. Sa nature la destinait à ces rôles de moquerie, d’impertinence, et de petits mensonges envers les hommes pour les dominer. Elle y persévéra ; elle y devint supérieure, inimitable ; elle y apporta presque du génie. Mais, en même temps, elle s’enferma si bien en ce caractère, qu’elle n’en sortait jamais, et réduisit, en coquette, tous ses rôles. Mère, veuve, amoureuse, elle gardait cette empreinte indélébile. Jouait-elle Araminte, des
Fausses confidences ? Elle affectait, avec son amant, un petit ton de persiflage tout à fait plaisant, dont elle savait tirer parti.
Dans les
Femmes savantes, jouait-elle Philaminte, c’était encore pour se moquer de Trissotin. Elle ne se dépouillait jamais de ces petites grâces, qui excitent l’amoureux, le désespèrent, et le retiennent tout à la fois. Malgré soi, et quoique la représentation du lendemain fut le pendant de cella de la veille, on admirait toujours le jeu si fin de la sémillante actrice, ses minauderies, ses jolies façons de regarder sa victime, et de détailler le dialogue pour le rendre plus caustique : satiété dont on était toujours friand.
Son répertoire forcément ne s’élargit plus. M
lle Contat, nantie, avec le temps, d’une puissance suprême au théâtre, ne joua désormais que les pièces où elle trouvait un rôle à sa convenance de coquette :
Tartuffe, les
Fausses confidences, les
Surprises de l’Amour, la
Coquette corrigée, le
Philosophe sans le savoir, la
Gageure imprévue, le
Philosophe marié, les
Deux Pages,
Le Mariage de Figaro, le
Misanthrope ; et, plus tard, lorsque l’âge l’eût atteinte de sa malfaisance, en rendant sa taille épaisse, le
Vieux célibataire, où elle ravissait tous ses auditeurs, dans le personnage de la gouvernante, Madame Évrard.
Sans doute, elle ne pouvait s’abuser sur la déformation de sa beauté, mais elle cherchait à se faire illusion à elle-même, et, sur la scène, à s’entendre dire encore qu’elle était jeune et que le temps était impuissant contre elle.
Ida Saint-Elme rapporte une visite qu’elle fit à Lyon à M
lle Contat et à Molé : « Je n’avais jamais vu d’actrice hors de la scène et je partageais à cette époque la sotte prévention de tant de femmes, qui s’imaginent que l’éclat des lumières, le rouge et la toilette font seuls toute leur beauté, comme l’esprit de leur rôle fait seul la grâce et l’élégance de leurs manières. La vue de M
lle Contat, son langage, ses façons si distinguées me désabusèrent entièrement. Il était impossible de trouver une femme plus fraîche et plus jolie, et de posséder mieux le ton de la bonne société, qui faisait de son jeu sur la scène la continuation des habitudes de sa vie.
« Elle était alors âgée de trente à trente-deux ans. Déjà elle était fort grasse. Mais cet embonpoint n’ôtait rien à la souplesse de sa taille, qui me parut même plus élégante encore dans le salon qu’au théâtre. Rien ne la gênait, et une robe du matin en marquait les gracieux contours. J’admirais la grâce que M
lle Contat mettait à donner aux actrices (de Lyon) des conseils dont elles avaient grand besoin. »
Alors, on reprenait les
Femmes de Demoustier, où son interlocuteur lui jetait ces deux vers :
Mais, Madame, du temps les redoutables traces, N’ont pas même altéré vos attraits et vos grâces. |
On applaudissait. Le parterre paraissait convaincu de la jeunesse persistante de son idole. Elle était heureuse. Et si la
Jeune Hôtesse, de Flins, revenait si souvent à la scène, c’est que le travestissement du personnage, représenté par Mademoiselle Contat, lui donnait une grâce charmante. Enfin, le rôle comportait le chant d’une romance dont elle s’acquittait fort bien, et ces menus détails, infiniment agréables pour elle, lui laissaient penser qu’elle n’avait pas vieilli.
Ses succès l’avaient rendue volontaire et despotique. Elle ne souffrait aucune contradiction. Alexandre Duval lui avait attribué le rôle de la duchesse d’Athol, dans son drame,
Edouard en Ecosse. Elle poussa la résistance si loin, dans une répétition, en refusant d’écouter les observations très justes de l’auteur, que, dans un moment d’impatience, elle lui lança ses papiers au visage et quitta la scène. Alexandre Duval reprit flegmatiquement son manuscrit au souffleur, et sortit du théâtre, emportant son oeuvre. M
lle Contat dut s’excuser de sa vivacité, aussi bien que de ses prétentions présomptueuses, et Alexandre Duval rapporta son drame.
Devenue madame Parny par son mariage avec le neuve du poète célèbre de ce nom, elle trouva, dans les douceurs de la vie domestique, un ample dédommagement des jouissances d’amour-propre et des avantages pécuniaires qu’elle avait sacrifiés. Entourée d’amis qu’elle chérissait et d’une famille dont elle était adorée, elle commença une vie nouvelle, et devint le centre d’une société où la bonté de son cœur, la franchise de son caractère, étaient également appréciées. Une raison solide, jointe à beaucoup d’esprit naturel, et fortifiée par l’instruction, l’ont fait citer comme un modèle pour le charme et le piquant de la conversation.
Elle savait parler aux uns le langage de la cour de Marie-Antoinette, aux généraux celui de leurs victoires, aux orateurs, aux financiers celui de leurs ambitions ou de leurs affaires ; saluer une marquise à trente-six quartiers d’une révérence à genoux mi-ployés ; ciseler une épigramme, improviser un quatrain, analyser une pièce, définir un caractère, écrire des petits billets de trois lignes, mais pleins de choses, qu’on se communiquait comme des modèles. Tant de qualités attiraient, conquéraient, et retenaient les plus rebelles. Rien en elle qui sente l’étude, l’apprêt, l’effort ; le trait toujours bondissant ; une parole rapide, baignée de lumière, de mouvement, où l’ironie de Voltaire se tempère de douceur féminine, à condition toutefois qu’on ne blasphème pas devant elle son ami favori, le goût, car aloers se réveillaient l’instinct satirique et l’âpre riposte dont elle usait sans pitiers contre les sots et les insolents.
Un trait peut servir à faire connaître à la fois son esprit et la noblesse de ses sentiments. La reine Marie-Antoinette ayant désiré, en 1789, aller à la Comédie-Française et y voir représenter la
Gouvernante, fit savoir à M
lle Contat qu’elle souhaitait la voir dans ce rôle, qui n’était point de son emploi. Il fallait des efforts surnaturels pour apprendre en vingt-quatre heures plus ce cinq cents vers ; M
lle Contat fit ce qu’on aurait pu croire impossible, et, satisfaite d’elle-même, écrivit à la personne qui lui avait fait part des désirs de la reine : « J’ignorais où était le siège de la mémoire, je sais à présent qu’il est dans le cœur. »
Cette lettre, qui fut publiée par ordre de la reine, faillit bientôt après coûter la vie à son auteur, et devint, pendant les orages de la Révolution, le motif de son arrestation. Menacée en effet pendant la Terreur, mise en surveillance à son château d’Ivry où elle avait obtenu qu’on la transférât quelque temps après cette arrestation, Louis Contat sauva un de ses persécuteurs qui, proscrit à son tour, fit appel à sa pitié, le cacha plusieurs jours dans sa chambre et lui porta elle-même sa nourriture ; mais ayant appris qu’on allait faire des perquisitions, elle mit dans la confidence la jardinière, prit sa place, déguisa son hôte en garçon jardinier, alla vendre les légumes et le lait à Choisy-le-Roi ; là elle débita fort bien sa marchandise, plaisanta avec les villageois, remit au proscrit de l’or, un passeport qui lui permirent de gagner Villeneuve-Saint-Georges et la forêt de Sénart.
Vers la fin de sa vie, elle souffrit d’un cancer. Elle ignora d’abord la nature de son mal. Corvisart, le médecin de Napoléon, et son médecin aussi, avait eu garde de la lui révéler. Corvisart, étant goutteux, ne faisait plus de visite qu’à l’Empereur. Un matin donc, M
me de Parny arrive chez le docteur. Il était encore au lit. Il la fit attendre dans le cabinet où, sur le bureau, une lettre ouverte à Hallé, le célèbre confrère de Corvisart, indiquait l’état de la malade. Et qu’y voit-elle ? Qu’elle est atteinte d’un cancer : sa mort avant quatre mois.
A ce moment Corvisart entra. Il aperçoit la lettre. L’avait-elle lue ? Il vit l’infortunée comédienne, si enjouée, si maîtresse d’elle-même, qu’il se rassura. Elle n’avait rien lu. Il affecta aussitôt un air bonhomme. Le mal dont elle souffrait, disait-il, n’était que passager, un rien, un « bobo », dont elle serait guérie avant longtemps. Il lui remit une longue ordonnance où les plus calmantes potions étaient inscrites, et il la congédia satisfait.
Ainsi, sa mort était prochaine ; elle en était avertie par son indiscrétion et, le soir, en son salon, au milieu de ses amis, jamais elle ne fut plus gaie, jamais elle ne parut plus heureuse, jamais avec une liberté d’esprit plus grande, elle ne présida à la conversation, lançant les mots piquants avec plus d’à-propos. Elle se rappela qu’elle avait été comédienne pour éblouir ceux qui l’aimaient. Cependant, si l’on se fût approché près, bien près de son cœur, on l’aurait entendu battre plus rapidement en sa poitrine, et sur ses enfants qui la venaient caresser, on aurait remarqué qu’elle attachait sur eux, avec une persistance émue, ses regards les plus tendres.
Sophie Gay, qui rapporte l’anecdote, ajoute que trois mois après, elle était morte. C’était en 1813. On lit, dans une excellente notice publiée dans les journaux, que, six semaines avant sa mort, madame de Parny jeta au feu, malgré l’opposition d’un témoin, un recueil assez considérable d’ouvrages en vers et en prose échappés à sa plume, et qu’elle anéantissait parce qu’ils contenaient quelques traits de satire personnelle.