Juin 1791
Nombre de messages : 156 Date d'inscription : 04/07/2015
| Sujet: À qui revient le trône de France ? Mer 9 Déc - 18:07 | |
| Je vous conseille d'écouter Jean des Cars. C'est tout à fait passionnant. https://www.europe1.fr/emissions/Au-coeur-de-l-histoire/a-qui-revient-le-trone-de-france-partie-1-4009826 En 1871, les comtes de Chambord et de Paris ont manqué l'occasion d'établir une monarchie constitutionnelle pérenne en France. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur cet événement méconnu qui aurait pu sonner le glas de la République dans notre pays. - Le comte de Chambord ne saisit pas sa chance
Le 18 janvier 1871, Guillaume Ier de Prusse est proclamé empereur allemand dans la Galerie des Glaces du Château de Versailles. Dix jours plus tard, la République française signe un armistice de 21 jours avec Bismarck. Dans ce délai, une nouvelle Assemblée nationale doit être élue. C’est elle qui décidera de la paix ou de la poursuite de la guerre.
Les élections, organisées en hâte, donnent un résultat surprenant : une majorité monarchiste ! Elle est partagée entre Légitimistes et Orléanistes. Les premiers sont partisans du descendant de Charles X, le comte de Chambord et les autres se rallient au descendant de Louis-Philippe, le comte de Paris. La République a pourtant été proclamée le 4 septembre 1870. Mais si elle est considérée comme le régime officiel de la France, elle n’est encore que provisoire, et d’origine insurrectionnelle.
Le 18 mars 1871 débute à Paris le mouvement révolutionnaire de la Commune. Le gouvernement de Thiers s’installe à Versailles. Le 8 juin, l’Assemblée abroge les lois d’exil frappant les diverses branches de la famille royale. Toute une partie de l’opinion s’attend au retour du comte de Chambord, le petit-fils de Charles X, exilé à Frohsdorf, près de Vienne.
S’il veut tenter sa chance de monter sur le trône de France, il doit se manifester vite… C’est le moment ou jamais ! D’autant que le 12 juin, Thiers donne un grand dîner à la Préfecture de Versailles en l’honneur du prince de Joinville, troisième fils de Louis-Philippe, auquel assistent également son frère cadet, le duc d’Aumale, et son fils, le duc de Chartres. Face à cette concentration d’Orléans, l’un des convives remarque qu’il ne manque que le comte de Chambord, ce à quoi Thiers répond : "Monseigneur le comte de Chambord aurait été le bienvenu et je ne désespère pas de cet honneur…"
Il va être exaucé. À 51 ans, après quarante et un ans d’exil, le comte de Chambord a décidé de revenir en France. Mais il commet une grave erreur : alors que les Orléans, ses rivaux, sont déjà apparus en pleine lumière, il fait le choix de rester incognito, et de ne passer qu’un bref séjour dans son pays.
Le dimanche 2 juillet 1871, jour anniversaire du sacre de Hugues Capet, un fiacre ralentit et s’arrête place des Pyramides, à l’angle du Pavillon de Marsan. Un homme en descend, c’est le comte de Rezé. Il contourne le fiacre, ouvre la porte, un autre homme sort. Rezé s’incline devant lui en l’appelant Monseigneur. Il a les traits marqués, un visage massif, les paupières tombantes sur des yeux bleus clairs, une barbe blonde et fournie, un fort embonpoint et une démarche claudicante. C’est le comte de Chambord.
Parti de Bruges la veille, il a débarqué à Paris le matin même, à la Gare du Nord. L’homme s’avance vers la grille des Tuileries. Du château où il est né et a passé son enfance ne restent que des murs noircis, une carcasse béante, trouée de rectangles aveugles. Les ruines sont entourées d’une clôture de planches mal ajustées. Chambord entre dans le jardin, contourne la clôture, et dit à son ami : "Voilà les fenêtres de ma chambre, voilà l’appartement où je suis né, voici la pièce où se trouvaient les jeux, voilà la fenêtre du cabinet où mes précepteurs me donnaient des leçons, voilà l’appartement de ma mère, la duchesse de Berry, voilà où logeait mon grand-père, le roi Charles X."
Les yeux pleins de larmes, il regagne son fiacre. Dans les ruines des Tuileries incendiées par la Commune, il avait rendez-vous avec son enfance. Maintenant, il va se rendre à Chambord, son château. Il a rendez-vous avec l’histoire.
Lors de sa naissance en septembre 1820, c’est son grand-oncle, Louis XVIII, le frère cadet de Louis XVI, qui règne sur la France. On est en pleine Restauration. Le roi est âgé de 65 ans et n’a pas d’héritier. Dans ces conditions, c’est son autre frère, le comte d’Artois, qui est appelé à lui succéder. Ce comte d’Artois, c’est le futur Charles X. Lui a eu deux fils : Louis-Antoine, duc d'Angoulême et Charles-Ferdinand, duc de Berry. Or ce dernier est tué dans un attentat en février 1820, faisant de son propre fils – qui n’est alors pas encore né – l’héritier en second de la couronne de France.
La naissance de Henri d’Artois, huit mois après l’attentat qui coûte la vie au duc de Berry, fait figure de miracle. Il est d’abord titré duc de Bordeaux, mais l’euphorie est telle que l’un des membres de la Maison du roi Louis XVIII propose d’ouvrir une souscription pour acheter le château de Chambord afin de l’offrir au prince. Le duc de Bordeaux devient comte de Chambord. En 1830, quand son oncle, le duc d’Angoulême, renonce à ses droits lors des événements de la révolution de Juillet, il est de facto le dernier Bourbon en lice pour le trône de France. C’est lui qui représente l’avenir de la dynastie
Mais revenons à ce dimanche de juillet 1871. Quittant les ruines des Tuileries, le comte va assister à la messe à Notre-Dame-des-Victoires, où il avait été baptisé, puis il visite Notre-Dame et la Sainte Chapelle où se trouve la statue équestre de Henri IV, le premier roi Bourbon. Le lendemain, il est à Chambord. C’est la première fois qu’il voit le château. Il gérait le domaine depuis son exil autrichien mais l’occupation prussienne pendant la guerre l’avait laissé en triste état. Les Prussiens avaient utilisé les boiseries comme bois de chauffage. Le château est devenu inhabitable. Le prince devra passer la nuit chez des amis voisins.
La nouvelle de la présence du prince à Chambord est connue le mardi 4 au matin. Elle provoque un immense enthousiasme chez ses partisans. Toutefois, ceux-ci sont contrariés par le résultat des élections partielles du 2 juillet, consécutives à la défection de parlementaires élus en février, durant l’armistice de 21 jours négociée avec Bismarck. L’Assemblée ne donne plus à l’ensemble des royalistes qu’une très courte majorité. Il faut réchauffer les ardeurs ! Une délégation de fervents soutiens arrive à Chambord : le comte de Maillé, le duc de la Rochefoucauld, le vicomte de Gontaut-Biron et bien d’autres. On dit que l’ancienne France vient adjurer son chef de ne pas tourner le dos à la nouvelle… Mais ils vont repartir navrés. En effet, Chambord leur dit : "Je sais qu’avec le drapeau tricolore, je ne suis plus moi-même…"
Monseigneur Dupanloup, illustre figure du clergé français devenu évêque d’Orléans, ancien professeur de catéchisme d’Henri lorsqu’il était petit, est effaré quand le prince lui déclare son attachement au drapeau blanc, ajoutant que s’il devait renoncer à cette mission il ne serait plus qu’un gros homme boiteux ! Dupanloup n’a jamais vu un tel cas de "cécité morale"...
Le 7 juillet, le journal monarchiste L’Unité publie un long manifeste du prétendant. C’est un mélange d’idées saines, quoique floues, et de préventions contre certains principes, susceptibles de soulever hostilité ou ironie. Le prince veut construire un nouveau régime. Il prône la décentralisation, et préconise un "suffrage universel honnêtement pratiqué" : personne ne comprend ce que cela veut dire ! Il opte aussi pour le contrôle des deux Chambres. C’est un retour de la Charte de 1814, assez floue et pas du tout novatrice. Puis arrive la seconde partie, qui aborde le sujet du drapeau : "Je ne laisserai pas arracher de mes mains l’étendard de Henri IV, de François 1er et de Jeanne d’Arc. Il a flotté sur mon berceau, je veux qu’il ombrage ma tombe."
A la lecture du journal, Thiers persifle : "La monarchie du comte de Chambord est impossible : c’est le drapeau blanc et le retour du billet de confession."
Le comte de Chambord commet une nouvelle faute en reprenant immédiatement le chemin de l’exil. Il dit ne pas vouloir donner, par sa présence prolongée, de nouveaux prétextes à l’agitation des esprits. Mais les victoires se gagnent sur le terrain. Il aurait dû analyser les réactions à son message, rencontrer les députés, chercher à se faire connaître. Mais Henri, homme d’une autre époque, ne veut pas vivre dans son pays natal sans y régner.
Cet auto-sabotage du héros des Légitimistes fait le jeu des Orléanistes. L’avenir de la monarchie en France semble à présent résider dans le petit-fils de Louis-Philippe, Ferdinand-Philippe d’Orléans, comte de Paris, dont le père est décédé alors qu’il n’avait que 4 ans. À 34 ans, il est réservé et timide, encore moins charismatique que le comte de Chambord ! Un peu falot, féru de botanique, ballotté par l’exil durant près d’un quart de siècle, resté longtemps sous la tutelle de sa mère allemande et de ses oncles, il finit par considérer l’entreprise des Orléans comme une aventure.
Il aurait dû proposer une monarchie plus libérale, plus humaine et plus réformatrice que celle de Chambord. Mais il admire son grand-père Louis-Philippe, ce roi-citoyen qui avait fini par verser dans l’autocratisme. Or il manque au comte de Paris l’instinct modernisateur qui avait fait la force des Orléans en 1830. Il ne se manifeste finalement pas. Thiers conclut par cette petite phrase cinglante : "On ne peut plus nier que le fondateur de la République est le comte de Chambord."
- L’exil des Bourbons
Il faut rappeler que le grand-oncle du comte de Chambord et son propre grand-père, respectivement Louis XVIII et Charles X, tous deux frères de Louis XVI, ont vécu un long exil lors de la Révolution française et du Premier Empire. C’est Charles X, alors comte d’Artois, qui donne le signal de l’émigration dans les jours qui suivent la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789. Il passe une grande partie de son exil en Angleterre.
Le comte de Provence, futur Louis XVIII, part en émigration le même jour que Louis XVI et Marie Antoinette, le 20 juin 1791. Mais ceux-ci sont arrêtés à Varennes et ramenés à Paris. Provence, lui, réussit à gagner Coblence. Il passe la plus grande partie de son exil en Courlande, hébergé par le tsar de Russie.
Les deux frères rentrent en France une première fois après l’abdication de Napoléon. Provence est devenu le roi Louis XVIII depuis la mort, dans sa prison du Temple, de son neveu le petit Louis XVII. Mais la première Restauration est interrompue par les Cent Jours et le surprenant retour de l’empereur. La défaite définitive de Napoléon permet une deuxième Restauration en 1815.
Louis XVIII et son cadet avaient épousé deux sœurs, des princesses de Savoie. Nous l’avons vu, le premier n’a pas eu d’enfants, et son frère, Artois, a eu deux fils. L’aîné, le duc d’Angoulême, épouse la seule survivante de la prison du Temple, fille de Louis XVI et Marie-Antoinette – donc sa cousine germaine – Marie-Thérèse, la fameuse "Madame Royale". Ce couple mal assorti reste sans enfants. Tous les espoirs de la dynastie Bourbon reposent donc sur le deuxième fils du comte d’Artois, le duc de Berry. Celui-ci, né en 1778, a 38 ans lorsqu’il épouse, en 1816, Marie-Caroline de Bourbon-Sicile, qui en a vingt de moins.
Le couple est heureux, malgré les multiples aventures extra-conjugales du duc. Ils ont une première fille en 1819, Louise. Je vous l’ai dit, lorsque le duc de Berry est assassiné à Paris le 12 février 1820, Marie-Caroline est enceinte. Elle accouche le 28 septembre d’un garçon, Henri, futur comte de Chambord, "l’enfant du miracle".
- Chambord, prince choyé et roi d’un jour, en perpétuel exil
La Cour de Louis XVIII n’est pas très amusante, elle est même assez sinistre. La mère du comte de Chambord, la duchesse de Berry, est le rayon de soleil de cette triste Restauration. Louis XVIII s’éteint en septembre 1824. Son frère Artois lui succède sous le nom de Charles X.
Si Louis XVIII avait su gérer, avec intelligence, le retour des Bourbons, Charles X va le gâcher par sa tendance à l’autocratie, fidèle à ses "vieilles idées". Il n’a rien compris à l’époque. La publication de quatre désastreuses ordonnances contre la liberté de la presse le 15 juillet 1830, fait éclater dans Paris une nouvelle révolution : la "révolution de Juillet". On appelle ces trois journées "les trois glorieuses".
Le roi s’enfuit de Paris. Puis, sous la pression de troupes envoyées par son cousin le duc d’Orléans, futur Louis-Philippe, il abdique, d’abord en faveur de son fils aîné le duc d’Angoulême. Puis, comme il n’a aucune confiance en lui, il l’oblige à abdiquer à son tour en faveur de son neveu, le comte de Chambord, comme je l’ai également évoqué au début de ce récit.
Celui-ci, âgé de 10 ans, devient, pour un jour, le roi Henri V. Pour un jour seulement car c’est le cousin Orléans qui va finalement devenir roi des Français sous le nom de Louis-Philippe. Charles X et sa Cour en déroute sont accueillis en Angleterre par la reine Victoria. Ils s’installent au château de Holyrood, à Edimbourg, en Ecosse.
Le petit comte de Chambord aime beaucoup sa mère, mais il la voit peu. Elle est trop occupée à tenter de remettre son fils sur le trône de France. Elle se lance dans une équipée désastreuse en Vendée, province royaliste qu’elle espère soulever en 1832. Elle ne réussira qu’à se faire emprisonner par Louis-Philippe à la forteresse de Blaye, près de Bordeaux.
Comme si ça ne suffisait pas, la romanesque duchesse est enceinte et accouche d’une petite fille le 10 mai 1833, révélant opportunément un mariage secret avec un aristocrate sicilien, le comte de Lucchesi-Palli. Il serait le père de l’enfant… Libérée, elle rejoint son beau mari, de huit ans son cadet, et leur fille en Sicile.
Pendant ce temps, Charles X et le duc et la duchesse d’Angoulême, qui s’occupent des deux enfants de la duchesse de Berry, ont quitté l’Ecosse. Ils sont maintenant hébergés à Prague par l’empereur d’Autriche. Evidemment, ils jugent inacceptable la conduite de leur belle-fille et belle-sœur. Elle ne récupère pas ses enfants.
Le comte de Chambord est donc élevé par son oncle et sa tante, "les Angoulême". Il reçoit une éducation étriquée, tournée vers le regret et le passé. Charles X meurt en 1836. Le comte vit alors en exil au château de Frohsdorf, en Autriche, près de Vienne.
Il épouse Marie-Thérèse d’Este-Modène en 1846. Le couple n’aura pas d’enfant. Le comte de Chambord, dont je vous ai raconté la piètre tentative de Restauration en 1871, n’a donc pas d’héritier. C’est le dernier Bourbon.
L’échec de 1871 aura pourtant une suite en 1873. La démission de Thiers et l’accession au pouvoir du maréchal de Mac-Mahon redonnent espoir aux royalistes. Le comte de Paris rend visite au comte de Chambord à Frohsdorf. Les deux hommes ne décident rien mais pour les royalistes, la fusion des deux branches Bourbon et Orléans est faite. On commence à croire à une nouvelle Restauration. On en est sûr. Le comte de Chambord deviendra roi.
Mais le 30 octobre, un coup de théâtre familier survient. Le journal L’Union publie une lettre du comte. Il persiste et signe : le drapeau de la France sera le drapeau blanc ! C’est la consternation chez les monarchistes. Les Républicains triomphent. Les espoirs de Restauration s’envolent.
Chambord, qui n’a rien compris, fait néanmoins une dernière tentative personnelle. Il arrive secrètement à Versailles. Naïvement, il compte demander à Mac-Mahon de paraître à son bras à l’Assemblée pour l’adouber. Mais le maréchal, bien que monarchiste, est respectueux du vote qui l’a porté à la Présidence de la République le 24 mai 1873. Il refuse. Pour les Bourbons, c’est fini. La République est définitivement consolidée. Ressources bibliographiques : Jean-Paul Clément, avec le concours de Daniel de Montplaisir, Charles X, le dernier Bourbon (Perrin, 2015) Arnaud Teyssier, Louis-Philippe, le dernier roi des Français (Perrin, 2010) Georges Poisson, Le comte de Chambord (Pygmalion, 2009) Isabelle, comtesse de Paris, Tout m’est bonheur (Robert Laffont, 1981) _________________ Si on hésite un instant, le palais s’effondre comme les nuages qu'on voit quelquefois
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