L’orgue de la Chapelle royale de Versailles abat ses atouts
- Le Grand Jeu.
Louis Marchand (1669-1732) ; Jean-Philippe Rameau (1683-1764) ; Jean-François Dandrieu (1682-1738) ; François Couperin (1668-1733) ; Nicolas de Grigny (1672-1733) ; Jean-Baptiste Lully (1632-1687) ; Michel Corrette (1707-1795) ; Jean-Henri d’Anglebert (1629-1691) ; Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) ; Henry Purcell (1659-1695) ; Georg Friedrich Haendel (1685-1759).
Gaëtan Jarry, orgue de la Chapelle royale de Versailles. Juin 2019. Livret en français, anglais et allemand. TT 65’19. Château de Versailles Spectacles CVS024.
Rappelons au profane (et sans entrer dans le détail qui varie selon les auteurs et les époques) que le
Grand Jeu désigne une registration qui réunit anches et principaux.
« Grand Jeux J’y maict scavoir Trompette Clerons Prestant, gros cornets, nazart, petite tierce, tans au positive quant grand orgue, toute les trompette de pedalle, tramblant fort » (sic) lit-on dans les recettes de la
Manière très facile pour apprendre la facture d’orgue (dit
Manuscrit de l’Anonyme de Caen) daté du 1er juin 1746. Vingt ans après, Dom Bedos de Celles décrivait ainsi le
Grand Jeu, dans
L’Art du Facteur d’Orgue : « on mettra au grand Orgue le grand Cornet, le Prestant, toutes les Trompettes & les Clairons, s’il y en a plusieurs. On mettra également au Positif le Cornet, le Prestant, la Trompette, le Clairon & le Cromorne : (on retranchera ce dernier Jeu, s’il n’y a dans le grand Orgue qu’une Trompette & un Clairon.) On mettra les Claviers ensemble : les Pédales seront comme au Plein-Jeu. Si on a besoin du Récit, on ouvrira le Cornet, ainsi qu’à l’Echo. » Toutefois, contrairement au scribe caennais, le Bénédictin décriait le recours au tremblant « à vent perdu ».
Il s’agit du mélange le plus sonore, le plus éclatant, de l’école classique française, auquel cet album emprunte son titre. Non que le disque s’en tienne à cette registration tout au long du disque, ce qui serait éprouvant pour l’oreille. Mais on devine là le décorum qui s’empare de cette anthologie du Baroque français, quatrième volume de la collection « l’âge d’or » destinée à valoriser l’orgue de Versailles. Le programme, dont Gaétan Jarry admet la subjectivité, s’alimente du Grand Siècle de Louis XIV (Lully, D’Anglebert) jusqu’aux derniers feux de l’Ancien Régime (Corrette), et invite même deux prestigieux compositeurs d’Outre-Manche, en se terminant par la primesautière
Entrée de la Reine de Saba. Pourquoi pas, mais on aurait pu s’en tenir à d’autres pages qui cadrent mieux avec le contour géographique, d’autant que le CD permettait d’accueillir une dizaine de minutes supplémentaires (soyons gourmands). Un Noël de Daquin, un Dialogue de Clérambault ou Guilain, par exemple.
En tout cas, différents genres sont abordés, certains aux sommets du répertoire : le solennel
plain chant du premier Kyrie de Couperin, le divin
Récit de tierce en taille de la
Messe de Grigny. Gravité contrebalancée par le rutilant
Grand Dialogue en ut de Marchand, ou le vaillant
Prélude du
Te Deum de Charpentier. D’autres pièces légères égayent le parcours : l’aguichante
Contredanse en Rondeau des
Boréades de Rameau, sculptée en haut relief (à comparer avec l’interprétation plus fluide et tout aussi contagieuse d’Olivier Vernet, capté en avril 2004 chez Ligia dans
Songes et Elémens), un pimpant
Concerto de Corrette. Le florilège inclut aussi quelques transcriptions tirées d’œuvres lyriques : ouverture d’
Atys, « air des Sauvages » des
Indes Galantes,
Passacaille d’
Armide arrangée par D’Anglebert (Jean-Paul Lécot en avait aussi laissé un suave enregistrement à Tarbes chez Forlane, octobre 1993). L’
Offertoire pour le jour de Pâques de Dandrieu, hôte de choix puisqu’il officia à Versailles, avait déjà été gravé sur le même Clicquot (Alpha, avril 2011) par Frédéric Desenclos dont Gaétan Jarry fréquenta la classe.
Indiquons aux puristes que certains morceaux ont été enrichis par re-recording, multipliant les voix et accusant la profusion orchestrale. Rien de surfait toutefois, presque rien qui dénature le bon goût de ces interprétations roboratives, bien senties et troussées avec tant de soin que d’enthousiasme. Dans d’autres disques, l’instrument versaillais a tendance à se noyer dans la généreuse acoustique de la Chapelle ; il s’inscrit ici dans une perspective à la fois précise et aérée, des plus flatteuses, qui permet d’en ausculter toutes les saveurs et d’en admirer le brio. Une superbe carte de visite pour cet orgue et celui qui le touche, on n’en attendait pas moins pour cet appétant CD qui nous sort le grand jeu.
Nota bene : la plage 5 ne provient pas de la
Messe des Couvents, comme indiqué page 2 du livret, mais de celle pour les Paroisses.
Son : 10 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9
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Ce compte-rendu de premier choix nous est offert par Christophe Steyne.