Après Toutankhamon, à la gare de Liège-Guillemins, Europa Expo ouvre le bal des nombreuses festivités du bicentenaire de la mort de Napoléon (le 5 mai 1821). Tyran ou génie? Les deux, mon général!
Àl’heure où le monde se cherche un nouveau modèle, l’ère napoléonienne est riche d’enseignements… Entre le début de la Révolution Française en 1789 et la fin de l’empire en 1815, c’est un changement radical qui s’opère dans la société française, et même européenne. À la tête de cette métamorphose, un homme, un seul: Napoléon Bonaparte.
Certains voient en lui un tyran sanguinaire, maladivement assoiffé de conquêtes, le prototype du despote complexé qui se venge sur le monde. Mais d’autres continuent à lui reconnaître plusieurs types de génie, lui qui parvint de si nombreuses fois à se réinventer. Le génie militaire, bien évidemment, mais aussi une certaine vision des principes égalitaires, républicains, établis par la Révolution, et qu’il voulait assurer à l’ensemble de son peuple. Sans oublier, bien sûr, le génie strictement humain: malgré un physique ingrat, Napoléon fascinait les foules aussi bien qu’il magnétisait des auditoires beaucoup plus restreints, issus de toutes les classes sociales…
Exposition de prestige
À l’occasion du bicentenaire de sa mort, et après le succès l’année dernière de Toutankhamon, Europa Expo nous offre aujourd’hui une nouvelle immersion. Un autre type de pharaon a pris la place du précédent, pour nous emmener à une époque beaucoup moins lointaine, mais presque aussi exotique. Les salles ne multiplient pas seulement les objets d’époque et les reproductions d’art démesurées, notamment celles consacrées au sacre. L’idée est bien de nous proposer un voyage visuel très imprégnant: nous découvrirons ainsi, reconstitué à l’identique, le bureau personnel de l’empereur lors de son exil à Sainte-Hélène. Ou même un gigantesque bivouac, avec charrettes, chevaux, et ambiances de «grand soir».
Parmi les objets les plus impressionnants: la sélection personnelle de l’un des plus grands collectionneurs actuels, l’homme d’affaires et mécène Bruno Ledoux. «Pour se plonger dans le passé, on peut lire des livres d’histoire, ou préférer les objets», nous dit le sauveur du journal Libération. «J’aime les objets, car ils permettent d’entrer immédiatement en résonnance avec les personnes. Ici, une personnalité hors-normes, dans le contexte hors-normes de la Révolution. Plusieurs éléments très modernes escortent son parcours. D’abord son empreinte durable, au niveau du droit, de l’administration, de la gestion: la France de Napoléon, on y vit encore aujourd’hui. Autre élément hyper moderne: l’ascenseur social. Comment un petit aristocrate de province va devenir l’homme le plus puissant d’Europe, par quel concours de circonstances, par quels calculs, quelles alliances, par quels traits de caractère – étude, abnégation, besoin de contrôle… Tous les leaders autoritaires se sont inspirés de lui depuis. Il était aussi à l’aise dans un palais qu’au bivouac avec ses hommes. C’est fascinant.»
Reconstitution dans l'exposition de Liège. :copyright:BELGA
Ambiguïté
C’est bien l’ambiguïté qui reste au cœur du mythe moderne. Les afficionados qui insistent sur les bienfaits napoléoniens sont immédiatement contredits par ses détracteurs. Certes, ce grand fan de littérature et de sciences adore la culture, il débarque d’ailleurs en Egypte avec une armée de savants, qu’il va chouchouter tout au long de la campagne. Mais une fois empereur, comme tout monarque, il n’aura de cesse de faire taire la presse (60 journaux interdits sur 70 à Paris). Et il n’est pas resté dans les annales pour avoir fait grand prix de la vie de ses soldats, dans des campagnes militaires de plus en plus coûteuses en vies humaines.
Un tempérament de guerrier, tempéré par Bruno Ledoux: «On a cette image de conquérant, mais c’est parce qu’il a souvent gagné les batailles. En réalité, on lui a beaucoup fait la guerre. Il faut comprendre que les idées révolutionnaires qu’il garde en tête font très peur aux monarchies européennes, qui vont systématiquement s’allier contre lui. Les têtes couronnées considèrent comme une menace ce drôle de mélange entre le despote absolu et l’homme du peuple, très conscient des besoins et des envies des Français de la rue».
L'un des 300 objets originaux que contient l'expo de Liège. :copyright:Europaexpo
Propagande artistique
Un autre aspect fascinant mis en lumière par l’exposition: la création du mythe, qui démarre de son vivant, et qui est façonné par… Napoléon lui-même, depuis son exil. Tous les ingrédients sont là pour nourrir une vision romancée, puis romantique. L’enfant de famille nombreuse, le jeune étudiant féru de mathématiques qui devient artilleur, l’aventurier aux cheveux longs qui remporte victoire sur victoire pour la jeune République, et même celui qui «se résout» à se faire empereur, non par mégalomanie, mais pour renforcer la France! S’il finit exilé sur l’Ile d’Elbe, c’est pour s’en échapper et reconquérir Paris, avant de connaître l’horreur de Waterloo, où l’encercle l’Europe entière, coalisée contre «l’ogre corse»…
Nous avons demandé à Bruno Ledoux ses deux objets préférés. Il a opté pour le sabre d’apparat signé Lepage, une pièce d’orfèvrerie unique. Une arme qui symbolise parfaitement le soldat, mais surtout le décorum fabriqué par l’empereur autour de sa personne, cette propagande artistique complète. L’autre objet? Une boîte de réglisse en écaille retrouvée dans la berline de l’empereur, abandonnée à Waterloo. Un témoin vivant, émouvant, de la simplicité paradoxale du personnage, qui fit toujours dresser – ce n’est pas une légende – son lit de camp en fer au milieu des chambres luxueuses des palais où il se déplaçait.
Que nous dit la figure Napoléon, aujourd’hui? À l’heure des Macron et des Poutine, l’image du leader charismatique ne compte-t-elle pas plus que jamais dans la gouvernance des états? Faudra-t-il un nouvel «homme de poigne» tel que lui pour imposer, dans un pays ou l’autre, des changements de paradigme forts? Et à quel prix pour les libertés individuelles? Autant de questions qui restent en suspens dans la tête du visiteur, au terme de ce passionnant parcours, «au-delà du mythe»…
EuropaExpo: 7j/7, jusqu’au 9/1/2022, à la gare de Liège-Guillemins (Belgique).
Napoléon? Tout un programme Demandez le programme ! Année de bicentenaire oblige (celui de la mort du stratège, le 5 mai), nous allons crouler sous les propositions. En attendant l’autre expo-événement de la Grande Halle de La Villette (programmée initialement à partir du 14 avril, mais postposée), et un podcast d’envergure sur les ondes de la RTBF (5 épisodes à partir du 30 avril), penchons-nous par exemple sur le roman graphique «Moi, Napoléon» (Unique Héritage Éditions). On peut parcourir ce très beau livre à la gloire de l’empereur (normal, c’est lui qui tient la plume!) de plusieurs manières: en lisant les parties BD, en s’attardant sur un texte (à la première personne, donc), ou en rêvant sur les dessins.
Révolution, Directoire, Empire… On suit ici la grandeur et décadence d’un mythe – jusqu’à (littéralement!) la Bérézina. Le dessin donne à l’épopée un caractère iconique, que reflète bien le caractère presque fictionnel du destin napoléonien.
Waterloo n'est pas morne plaine En France, de la Corse à l’île d’Aix, de très nombreux événements programmés sont postposés à cause des mesures restrictives. Chez nous, c’est le 5 mai que le Mémorial de la Bataille de Waterloo ouvrira son exposition «La naissance de la légende». À partir du 8 mai, plus étonnant, au musée Wellington: «L’Empire en Playmobil» – histoire de donner une autre échelle, 200 ans après, à la folie des hommes?
Plus d'infos:
>Fondation Napoléon https://fondationnapoleon.org/ >Fédération européenne des cités napoléoniennes
https://www.napoleoncities.eu/bicentenaire-2021/
madame antoine
_________________ Plus rien ne peut plus me faire de mal à présent (Marie-Antoinette)