Dimanche 1er septembre, à Versailles 8H 15
Le Soleil vient de s'éteindre après quelques petits soupirs et deux hoquets
" Le roy expira le 1er septembre à 8 heures 15 minutes du matin "
"Il a rendu l'âme sans effort comme une chandelle qui s'éteint"
La nouvelle pour attendue qu'elle fût, produisait encore l'effet d'un coup de foudre sur cette cour qui, pendant près de cinquante années, avait eu constamment le regard fixé sur ce tout-puissant, qui avait réglé toutes ses pensées sur un signe de ses yeux, qui avait considéré comme un évènement la moindre de ses paroles et le plus insignifiant de ses gestes
Les plus avisés préparaient déjà leur manège et orientaient leur politique
Beaucoup flottaient encore et ne savaient quel maître leur donnerait, durant la minorité de Louis XV, ce dernier papier qu'on avait vu, par la porte ouverte du cabinet, le roi écrire sur une petite table pendant que les princes e les grands officiers reconduisaient Notre Seigneur; ils ignoraient le contenu exact de ce codicille aux lettres serrées que le chancelier Voisin avait tiré d'une enveloppe non cachetée pour le montrer au duc d'Orléans
Ceux-là se contentaient d'interroger bruyamment et de courir raconter plus bruyamment encore ce qu'ils avaient appris à travers les salons, les antichambres, les escaliers
D'autres, se tenant à l'écart, allaient s'entretenir à voix basse dans le parc où le Neptune et les Tritons de bronze continuaient de verser leurs eaux écumantes dans le bassin de marbre troublé déjà par les premières feuilles tombées à l'automne
Ils regardaient la fenêtre close de cette chambre mortuaire où c'était un honneur insigne que d'entrer jadis à l'heure du petit lever, et dans cette matinée ils avaient la sensation vague que donnent certains couchers de soleil; ils sentaient que ce qui disparaissait derrière l'horizon ce n'était pas un homme, mais un siècle qui s'était résumé dans le roi absolu qui venait d'expirer
Pendant 23 jours de sa maladie, Louis XIV avait donné le plus grandiose spectacle qu'ait vu l'histoire
Le demi-dieu, qui jadis, au milieu des adulations unanimes, trônait sur un Olympe, s'était évanoui; il était resté un vieillard auguste, mais très simple, accomplissant jusqu'au bout sa fonction de roi, un aïeul se confessant devant un enfant des glorieuses erreurs de sa vie, un chrétien déjà détaché de la terre et se recueillant longuement avant d'aller rendre compte au souverain juge de ses résolutions, qui si souvent avaient pesé sur les destinées du monde
Ce malade de 77 ans rongé par la gangrène avait eu un héroïsme qui est plus rare que le courage des champs de batailles: il avait pendant trois semaines envisagé la mort en face, mettant ordre aux moindres affaires avec un calme incomparable, adressant ses adieux aux plus humbles de ses serviteurs, prenant congé affectueusement de tous ceux qui avaient été les amis de sa jeunesse, prolongeant sa volonté au delà même de cette vie sans se faire d'illusion sur le respect qu'on aurait pour ses derniers ordres, réglant avec une sérénité sans égale les préparatifs de ce grand voyage, où il n'avait plus à dresser de liste d'invitations comme pour Marly et pour Fontainebleau
Pas un regret chez cet homme qui avait tout possédé et qui allait tout perdre, pas une minute de trouble, pas une de ces paroles où se trahit la faiblesse du mourant qui se cramponne à l'existence prête à lui échapper comme Brienne nous en a révélé à la charge de Mazarin; pas une de ces phrases non plus où l'on sent l'orgueil humain qui se raidit et veut en imposer encore à cette humanité qu'il va quitter
Louis XIV, on peut le dire, est entré dans l’Éternité de ce pas majestueux et tranquille dont il traversait la galerie des Glaces devant tous les fronts inclinés
Louis XIV était mort comme il avait vécu, en public, et cependant les particularités de cette fin n'ont pas été pendant bien longtemps contées au long
Le seul récit circonstancié qui ait été connu tout d'abord sur les derniers jours du Roi fut inséré dans le supplément du "Mercure" du mois d'octobre 1715 par Lefebvre de Fontenay
Ce récit fut publié à part, la même année, sous ce titre:
"Journal historique de tout ce qui s'est passé depuis les premiers jours de la maladie de Louis XIV jusqu'au dernier jour de son service à Saint-Denis, avec la relation exacte de l'avènement de Louis XV à la couronne de France"
A Paris chez D. Jollet et J. Lamesle, au bout du Pont Saint-Michel, au Livre Royal
Les garçons de chambre ont fermé les yeux du roi et viennent de changer sa chemise
Le cercueil de Louis XIV est installé dans le Salon de Mercure transformé en chapelle ardente
Mademoiselle d'Aumale raconte que le 1er septembre, informée par le maréchal de Villeroy, elle alla dire à Madame de Maintenon que toute la maison était en prières à l'église.
Alors que Madame de Maintenon prie dans sa chambre, Mlle d'Aumale entre, pâle et défaite, apportant la nouvelle attendue:
"Madame, le Roi est mort. Toute la communauté prie dans l'église"
Françoise, muette et impassible, va rejoindre les autres et s'abîme longuement en oraison devant l'autel où sont enfermées, quel symbole pour une institution de jeune fille, les reliques de la sainte martyre Candide
Ce n'est que le lendemain qu'elle parviendra à pleurer
C'est ainsi que lui fut annoncée la mort du Roi
Elle ajoute une anecdote qui peint le caractère de Madame de Maintenon:
"Le jour qu'elle alla à Saint-Cyr, sentant bien que la vue des Demoiselles l'attendrirait, elle voulut les voir dès ce jour-là afin que tous les sujets qui pourraient redoubler sa douleur fussent réunis en ce triste jour"
La chapelle ardente est installée
Des conseils mode pour "porter" le deuil
"Porter" le deuil : Faut-il vraiment choisir le noir ?
Par Raphaël Masson
Louis XV portera le deuil de son aïeul durant un an, en violet selon l’usage, privilège qui lui est exclusivement réservé.
Son habit, jusqu’à l’automne, sera de ras-de-castor (étoffe de laine légère), puis de drap.
L’année de deuil se décompose en deux périodes de grand et de petit deuil, avec une période de transition entre les deux, dont la longueur peut être variable.
Pendant le grand deuil, le roi portera des bas violets, des manchettes longues dites « pleureuses » et bannira tout bijou ou ornement brillant.
Même les boutons de son habit seront recouverts de violet.
Au bout de quelques mois, il abandonnera les pleureuses, quittera le drap pour de la soie et pourra de nouveau porter des ornements de diamants.
Le passage au petit deuil sera ensuite marqué par la reprise des bas blancs.
La Cour prendra le deuil exactement comme le roi, mais en noir et chacun respectera les temps du grand et du petit deuil.
Nul ne pourra paraître devant le souverain sans porter le deuil, même pour une simple visite.
Les officiers de la Maison du roi auront le droit de draper leurs carrosses de noir.
Dans les résidences où le roi séjournera
(et notamment au château des Tuileries) les murs de son appartement seront entièrement drapés de violet.
Durant le grand deuil, les spectacles et le jeu seront suspendus à la Cour.
Selon l’usage établi, le roi n’assistera pas aux cérémonies funèbres en l’honneur de son arrière-grand-père, pas plus à la basilique Saint-Denis qu’à Paris.
En revanche, il recevra les hommages qui lui sont dus dans de pareilles circonstances.
Après les compliments des princes, de la Cour et du corps diplomatique, le jeune roi recevra les grands corps de l’État venus lui faire leurs révérences de condoléance dans l’ordre accoutumé: le Parlement, la Chambre des comptes, la Cour des aides, la Cour des monnaies, le Grand Conseil, l’Université et l’Académie française.
Par
Raphaël Masson, conservateur en chef au château de Versailles, en charge du département des ressources documentaires (bibliothèques, documentation et archives)
En septembre 2015, il publie, avec Mathieu da Vinha, un
Versailles, histoire, dictionnaire et anthologie, chez Robert Laffont, dans la collection Bouquins.
La reine d'Angleterre Marie de Modène prend le deuil au château de Saint-Germain-en-Laye