Dans une lettre de Fersen à Monsieur de Bouillé, il n'est plus question pour lui de jouer les gardes du corps
"Je n'accompagnerai pas le Roi, il n'a pas voulu"
Or, nous n'avons aucune preuve de ce refus du Roi et la correspondance de la Reine est muette à ce sujet
Nous aurions bien besoin du journal de Fersen pour éclaircir cette affaire
Hélas ! Sa période la plus intéressante, celle de 1776 à 1791, fait défaut
Elle aurait été brulée accidentellement par son valet "le pauvre Frantz" à Paris (note du 05 avril 1795)
Le journal ne nous est conservé qu'à partir du 11 juin 1791
Madame Elisabeth sera du voyage, ce qui portera à six personnes le nombre des voyageurs dans la berline
on emmènera en outre deux femmes de chambre qui voyageront dans un cabriolet
Il faudra donc à chaque relais six limoniers pour la berline, trois chevaux pour le cabriolet et deux bidets de poste pour les courriers
De Paris à Châlons, il y a 12 relais de poste; cela représente un total de 132 chevaux. On aura affaire à 36 postillons (trois par poste) et à une foule de palefreniers curieux et bavards qui dételleront et attelleront les chevaux
Ainsi nous en fait par le comte de Saint-Priest, ministre-secrétaire d’État de la maison du Roi:
" Il est aisé de comprendre que la reine avait un grand désir de sortir de sa captivité et à Saint-Cloud les moyens en auraient été faciles, malgré les précautions de La Fayette; cependant ce moment là fut perdu; mais peu après leur retour à Paris, la reine me dit en présence du Roi:
"Je veux me promener souvent sur les boulevards en voiture, pour qu'on s'habitue à m'y voir, et, un beau jour, je partirai pour tout de bon"
Je l'y exhortai beaucoup, ainsi que le Roi, les assurant qu'il n'y avait de salut pour Leurs Majestés que dans une fuite bien concertée
Dès lors, leur parti fut pris, et c'est dans ce temps que le marquis de Bouillé entra en correspondance sur cet objet avec elle
Son fils vint à Paris pour cela dès le commencement de l'automne
Le comte de Fersen s'occupa de faire faire avec le plus grand secret une voiture pour ce voyage
Aucun ministre n'en fut informé, pas même moi (...)
Le Roi et la reine voulaient passer à Saint-Cloud la quinzaine de Pâques de l'année 1791
on ignore si leur projet était d'échapper de là, ce qui est assez probable; quoi qu'il en soit, lorsque Leurs Majestés furent en carrosse dans la cour des tuileries, elles se virent arrêtées par les troupes nationales préposées à leur garde
La Fayette qui les commandait fit des efforts, réels ou apparents, pour faire retourner les soldats (...)
Il est aisé de juger que cette humiliante scène n'a fait que fortifier le parti déjà pris de tâcher de s'évader"
Ce projet, Marie-Antoinette y travaille depuis longtemps déjà, avec Axel de Fersen:
"La reine était en correspondance secrète avec son frère, l'empereur Léopold, successeur de Joseph, et c'est sur la parole qu'il avait donné d'un secours des troupes que l'on s'était décidé à quitter Paris (...)
De retour à Paris (après les journées d'octobre 1789), la reine entra plus avant que jamais dans la confidence du Roi
cet infortuné monarque n'eût bientôt auprès de lui que des ministres insuffisants ou infidèles, et ne pouvait déposer ses chagrins que dans le sein de sa famille"
Si on analyse le fait que le Roi est en pleine crise de dépression, on comprend mieux le fait qu'il se repose entièrement sur la reine
"Le Roi, avait dit Mirabeau, n'a qu'un seul homme: c'est sa femme !"
La date du départ évolue...on la recule ... mais finalement on choisit la plus courte nuit de l'année...
Il y a cependant une femme au service des bains et des petits appartements, madame de Rochereuil, dont Marie-Antoinette se méfie
Elle est d’autant plus à craindre dans cette nuit importante qu'il faut passer devant les fenêtres de sa chambre pour gagner l'appartement de monsieur de Villequier par lequel chacun trouvera la sortie vers le Carrousel...
Madame de Rochereuil a, en effet, une manière de voir qui appartient à la nouvelle école politique...
C'est madame Campan qui l'accuse de trahison... ce que confirment les instincts de Fersen !
Le journal de Marat "l'Ami du Peuple" contribue fortement à ébruiter la rumeur d'une fuite prochaine de la Famille Royale ...
Dans la tradition, tout de cette évasion repose sur les seules épaules de Fersen... Mais les récentes révélations de Geneviève Haroche- Bouzinac, dans son livre sur Madame Campan, montrent que la commande de la berline est faite par Monsieur Pannelier d'Arsonval, beau-frère de madame Campan
La voiture parait énorme et lourde... en réalité elle l'est autant qu'une voiture ordinaire...
"nous voyagions dans une grande berline bien commode, mais qui n'avait rien d'extraordinaire, comme on s'est plu à le répéter depuis la triste issue de ce malheureux voyage"
(madame de Tourzel dans ses mémoires à propos de la voiture)
Elle n'avait pas seulement, comme il se devait, de bons ressorts, elle était également solidement construite, ce qui la rendait naturellement lente
Elle n'était pas entièrement jaune comme on le raconta (elle présentait quelques touches de cette couleur sur les roues et le châssis, selon l'usage à l'époque) mais plutôt verte et noire, avec un intérieur blanc
Cela parait incongru pour la discrétion souhaitée...
L'intérieur était doublé de velours d'Utrech et équipé de deux cuisinières, d'une cantine à capacité de huit bouteilles et de deux pots de chambre
Elle a effectivement servi de diligence après les évènements, jusqu'au 05 janvier 1795, date à laquelle elle a été incendiée
L'erreur reste d'avoir voulu voyager trop groupés...
Deux voitures auraient été bien plus rapides...
C'était un risque, certes, mais qui eut valu le coup d'être pris...
Outre la voiture, Fersen s'occupe de trouver un passeport, il sera au nom d'une de ses amies, la baronne de Korff, et de correspondre au nom du Roi avec le marquis de Bouillé (1789-1800) pour les dispositions militaires du projet
Une facture d'accessoires de voyage livrés pour la fuite
La carrossier est quelque peu surpris par les dimensions souhaitées pour la voiture, qui est achevée le 12 mars 1791
Les essais de ce volumineux véhicule, le 02 juin 1791, sur la route de Châtillon, ne passeront pas inaperçus !
C'est Axel de Fersen qui s'est chargé de cette transaction
Pierre-Jean de Bourcet (1752-1822), beau-frère du chevalier de Jarjayes (1745-1822), est un militaire, un magistrat et un diplomate français qui a été premier Valet de chambre du dauphin Louis-Joseph (1781-1789), premier fils de Louis XVI et Marie-Antoinette
Il joue un rôle important dans l'organisation et la réalisation de ce voyage
Le Roi allait accepter de se rendre à Montmédy, mais en faisant dire que, en aucun cas, il ne sortirait du royaume, même pour un court trajet
L'Assemblée nationale, envisageant l'émigration, avait en effet décrété, le 28 mars 1790, que le Roi serait déchu s'il sortait du royaume ...
Pourquoi Montmédy ?
Selon Michel de Lombarès, la question fut longuement débattue et des points non seulement de sécurité et mais aussi d'intérêt personnel entrèrent en ligne de compte:
"Le Roi trouvait Besançon bien éloigné: ce voyage de 400 kms sans arrêt serait très pénible et laisserait à des poursuivants une possibilité de rattraper se voiture
Valenciennes était seulement à 200kms de Paris, avec une municipalité fidèle, une population favorable et une garnison sûre
Sur la route très fréquentée (c'était la route des Anglais), la famille royale voyageant incognito passerait inaperçue
louis de Bouillé fit observer que son père jouerait plus facilement un rôle dans cette ville qui était non pas dans son commandement mais dans celui de M. de Rochambeau, un "américain", qu'il disait "entièrement livré au parti démocrate"
il proposa Montmédy, garnison sans population et très proche de la frontière
le Roi, par la route des Anglais, gagnerait rapidement la frontière de Flandre et, par les terres de l'empereur, arriverait à Montmédy"
Plan tracé de la main du Roi à l'intention de son frère Provence, prouvant que la destination finale du voyage n'était pas Luxembourg mais bien Montmédy (Archives nationales)
La berline est remisée au 25 rue de Clichy