Le samedi 26 décembre 1789, Monsieur monte en voiture, sans escorte, avec deux seuls valets derrière et un piqueur à l’avant.
Il a avec lui le comte la Châtre, le comte de Modène et le marquis d’Avaray.
Dès que le corps municipal a connaissance de son arrivée, Monsieur est reçu avec le cérémonial d’usage.
Il prend place dans un fauteuil à bras, à la place d’honneur, puis il se découvre et se lève, et prend la parole:
« Messieurs,
Le désir de repousser une calomnie atroce m’amène au milieu de vous. M. de Favras a été avant-hier, par ordre de votre comité des recherches, et l’on répand aujourd’hui, avec affectation, que l’ai de grandes liaisons avec lui. En ma qualité de citoyen de la ville de Paris, j’ai cru devoir venir vous instruire moi-même dès seuls rapports sous lesquels j’ai connu M. de Favras.
En 1772, il est entré dans mes gardes suisses ; il en est sorti en 1775, et je ne lui ai pas parlé depuis cette époque. Privé, depuis plusieurs mois, de la jouissance de mes revenus, inquiet sur les paiements considérables que j’ai à faire en janvier, j’ai désiré pouvoir satisfaire à mes engagements sans être à charge au trésor public. Pour y parvenir, j’avais formé le projet d’aliéner des contrats pour la somme qui m’est nécessaire ; on m’a représenté qu’il serait moins onéreux à mes finances de faire un emprunt. M. de Favras m’a été indiqué, il y a environ quinze jours, par M. de La Châtre, comme pouvant l’effectuer par deux banquiers, MM Schaumet et Sartorin. En conséquence, j’ai souscrit une obligation de deux millions, somme nécessaire pour acquitter mes engagements du commencement de l’année et pour payer ma maison.
Cette affaire étant purement de finance, j’ai chargé mon trésorier de la suivre. Je n’ai point vu M. de Favras, je ne lui au point écrit, je n’ai eu aucune communication quelconque avec lui; ce qu’il a fait d’ailleurs m’est parfaitement inconnu.
Cependant, messieurs, j’ai appris hier qu’on distribuait avec profusion dans la capitale un billet conçu en ces termes: « le marquis de Favras a été arrêté dans la nuit du 24 au 25, pour u plan qu’il avait fait de soulever trente mille hommes, pour assassiner M. de La Fayette et le maire de la ville, et ensuite nous couper les vivres. Monsieur, frère du Roi, était à la tête » signé Barau.
Vous n’attendez pas, messieurs, que je m’abaisse jusqu’à me justifier d’un tel crime ; mais dans le temps où les calomnies les plus absurdes peuvent faire aisément confondre les meilleurs citoyens avec les ennemis de l’État, j’ai cru, devoir au Roi, à vous et à moi-même d’entrer dans tous ces détails que vous venez d’entendre, afin que l’opinion publique ne puisse rester un seul jour incertain. Quand à mes opinions personnelles, j’en parlerai avec confiance à mes concitoyens. Depuis le jour où, dans l’assemblée des notables, je me déclarai sur la question fondamentale qui divisait encore les esprits, je n’ai pas cessé de croire qu’une grande révolution était prête à éclater ; que le Roi, par mes intentions, par ses vertus, et son rang suprême, devait en être le chef, puisqu’elle ne pouvait être avantageuse à la nation sans l’être également au monarque; enfin, que l’autorité royale devait être le rempart de la liberté nationale, et la liberté nationale la base de l’autorité royale.
Que l’on cite une seule de mes actions, un seul de mes discours qui ait démenti ces principes, qui ait monté que, dans quelque circonstance où j’ai été placé, le bonheur du Roi et celui du peuple ait cessé d’être l’unique objet de mes pensées et de mes vœux. Jusqu’à là, j’ai le droit d’être cru sur ma parole ; je n’ai jamais changé de sentiments et de principes, et je n’en changerai jamais »
M. Bailly, maire de Paris, prend la parole et lui fait un compliment qui est suivi d’autres.
Le corps municipal le ramène jusqu’à sa voiture.
Elle est entourée d’une foule qui crie « Vive Monsieur »
Cette clameur l’accompagne sur tout le chemin jusqu’au Luxembourg.