globule Administrateur
Nombre de messages : 2236 Date d'inscription : 04/10/2017
| Sujet: La désinformation au temps de la Révolution Mar 21 Fév - 22:41 | |
| Le Vif de l'histoireLa désinformation ne date pas de la dernière enquête de la cellule investigation de Radio France. Avant la Révolution française, les agents d'influence de l'époque auraient rêvé de disposer de nos moyens numériques pour servir leurs buts qui étaient les mêmes qu'aujourd'hui. - Je vais m'appuyer sur les travaux d'un grand historien américain de la France du XVIIIème, Robert Darnton, qui s'est pris de passion pour notre histoire littéraire mais vue d'en bas. Vue depuis les libelles et les libellistes.
Le libelle, c'est un texte de dimensions courtes qui circule d'abord souterrainement et rapidement, un peu comme une capsule de poison qui voyagerait des uns aux autres.
Il lui arrive d' être écrit d'abord à la main. Il circule alors de poche en poche avant d'être distribué dans un des quelque 400 cafés de la capitale ou aussi bien au Palais-Royal, propriété de la famille d'Orléans qui fait la nique à Versailles. Puis vient l'impression, ici sur une presse clandestine ou ailleurs, à l'étranger. Les libelles parviennent à leurs lecteurs en contrebande, parfois même glissés par des valets de pied dans les voitures d'importants personnages qui ne risquent pas d'être fouillés à la douane ou à l'octroi. Les méthodes sont artisanales mais pour reprendre notre vocabulaire de 2023, il d'agit déjà d'une véritable industrie de la désinformation . Les homme de pouvoir s'en inquiètent comme d'une affaire d'Etat car, dit l'un d'eux, "la première chose sur laquelle nous posons la main le matin est un libelle. et la dernière chose que nous lâchons le soir est un libelle. Aujourd'hui, nos yeux se ferment devant l'écran de l'ordinateur, et s'ouvrent le lendemain sur l'écran.
D'où l'importance de l'utilisation des réseaux sociaux. Le consortium journalistique qui scrute ce qui s'y passe enquête sur les manœuvres des sociétés qui propagent de la désinformation afin de déstabiliser nombre de régimes politiques dans plusieurs continents.
Le milieu qu'étudie Robert Darnton est évidemment plus resserré. C'est seulement la France .Mais avec comme aujourd'hui, déjà des commanditaires et des intermédiaires.
Ceux qui cherchent à faire circuler de fausses nouvelles trouvent leurs intermédiaires dans tout un petit milieu d'écrivailleurs, de scribouilleurs, de folliculaires. Ils se louaient comme précepteurs, secrétaires, colligeaient des épreuves ou écrivaient des poèmes sans lecteurs. Ils vont se mettre sans barguigner à rédiger des libelles. Peut-être gagneront-ils assez d'argent pour quitter leur galetas ou leur mansarde. Evidemment, ce peut être dangereux. Parfois, pour éviter de loger à la Bastille, il faudra s'exiler à l'étranger, à Bruxelles , Liège, Londres mais si le commanditaire reste protecteur, il n'y aura que demi-mal.
La désinformation se plait à détruire les réputations. La famille royale est une cible de choix dès les années 1770. Louis XV reste confiné à Versailles? Moins il se fait voir plus les libelles disent comment ils le voient. La décadence, provient de de ses maitresses comme le despotisme de ses ministres.
Louis XVI, à l'inverse, est accusé d'impuissance: "Foutre, il est foutu".
En échange, on prête bientôt à Marie Antoinette tous les vices. Dans "Charlot et Toinette", elle cède au futur Charles X , le cadet de Louis XVI. "Il baise ses beaux bras, son joli petit con/Et tantôt une fesse tantôt un téton". Ensuite, elle se livre à des orgies lesbiennes avec la duchesse de Polignac et la princesse de Lamballe. En attendant pire.
La lutte contre la désinformation est difficile à mener aujourd'hui. Quand, en face de soi, on n'a bien souvent que des avatars, de faux comptes émetteurs issus de fermes à trolls, comment faire ?
L'échelle n'était pas la même au XVIIIème mais Versailles éprouvait aussi de grandes difficultés à remonter aux sources. Londres en était une d'importance. Les journaux y étaient incomparablement plus libres que dans notre pays et pouvaient abriter les scribouillards français que le gouvernement , en conflit constant avec la France, pouvait laisser faire.
Aussi notre police ou notre ministère des Affaires étrangères dépêchent-ils des "enquêteurs" en principe discrets sur la piste des fabricants de libelles. Ils peuvent employer la manière forte, l'enlèvement par exemple. Ou bien la méthode de la négociation: l'achat des stocks de textes déjà imprimés avant leur envoi en France. Mais on a vu un agent malin ne pas les détruire, les récupérer et les distribuer pour son propre compte! A la façon de nos policiers ripoux qui ne peuvent rester insensibles au charme de la cocaïne. A lire Darnton, la guerre contre la désinformation au XVIIIème est un effort sans fin. La reine Marie Antoinette devra ainsi subir des coups de plus en plus bas. Peinte d'abord comme une infidèle frivole puis comme une lesbienne, elle finira dans les habits de la prédatrice sexuelle puisqu'elle sera accusée de privautés incestueuses avec son fils. Déjà un thème d'aujourd'hui.
En fait, aux deux époques qui nous occupent, nous sommes dans la bataille des cerveaux. Une part de nous-mêmes se délecte de récits qui flattent nos représentations imaginaires. L'autre part veut croire à la force de la raison. Robert Darnton cite le grand Malesherbes qui, ancien directeur du Livre au gouvernement royal, voulait croire que tôt ou tard , la Nation entière saurait être le Juge : Quand ce Juge suprême a été entrainé dans l'erreur, il est toujours temps de la rattraper et dans la suite, la vérité finit par percer". C'est aussi beau que des mathématiques appliquées. Sauf que les mathématiques appliquées servent aujourd'hui la désinformation. Par Jean LebrunPodcast https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-vif-de-l-histoire/13h54-le-vif-de-l-histoire-du-mardi-21-fevrier-2023-9402966 _________________ - Je ne vous jette pas la pierre, Pierre -
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