yann sinclair
Nombre de messages : 26613 Age : 66 Localisation : Versailles Date d'inscription : 10/01/2016
| Sujet: 23 septembre 1779: A Carcassonne Dim 21 Mai - 14:49 | |
| La rébellion des femmes de Leuc : « Tue, tue, tue ! » Leuc, Aude, 1779. C’est une mauvaise journée pour Pierre Raulet que ce 23 septembre 1779. Sergent royal de la sénéchaussée, il a du se rendre au village de Leuc pour procéder, sur requête du prévôt, à l’expulsion de la famille Billac mais aussi vider la maison et la saisiravec deux assistants en main forte. C’est sans compter sur les Billac, leurs parents et amis et plus généralement toutes les femmes du lieu. « A Monsieur le juge prévôtal et connétable de la citté de Carcassonne, Supplie humblement le sieur Pierre Raulet… à cest effet, s’étant transporté au lieu de Leuc chez le sieur Billac ayné, … ayant voulu commencer de vuider (vider) la maison, à quoy Billac ayné et Marianne Payre son épouse se seroit refusé et auroit au contraire dit … que s’il s’avisoit de déménager quelque chose de la maison, ils l’assommeroit à coups de barre …. Sur ce refus, le suppliant ayant voulu vuider … quelques bûches de bois de pile et quelques fagots qui étaient au bas de la maison … (Marianne) auroit crié au secours , surquoy seroit survenu un nombre infini des femmes … au nombre d’environ soixante, ayant à leur tête (l’épouse du nommé Amiel) armée de grosses pierres, seroient venues devant la maison où le suppliant étoit avec sa mainforte (ses assistants) en criant : -« Tue, tue, tue, ce sont de foutus fripons et d’assassins de grand chemin ! » Et de suitte les unes ont commandé aux autres d’aller chercher des (h)aches et poygnards pour couper le suppliant en morceaux s’il ne remetoit dans la maison le bois qu’il en avoit sorty, ce qu’il a été obligé de faire pour éviter d’être tué … Il demeure étably qu’il y a rébellion à (la) Justice et qu’ils ont voulu empêcher l’exécution de vostre ordonnance et qu’il seroit trop dangereux de tollérer de parailles voyes de fait … » Les témoins sont nombreux. Remarquez que si les assistants du sieur Raulet sont bavards, très « curieusement » les habitants de Leuc vont se montrer très vague, ne se rappelant quasiment de rien. La solidarité villageoisejoue à plein. Jean Bouisset, 50 ans, de Carcassonne : « Il se rendit ( comme assistant) avec Raulet et Vidal, autre assistant, au lieu de Leuc .. et s’étant rendus à la maison de Billac où ils ne trouvèrent que sa femme, ils luy annoncèrent le sujet de leur commission, sur quoy elle sortit … et les ayant(en)fermés dans ycelle, elle alla chercher quantité de femmes environ en nombre de soixante et trois ou quatre hommes … et toute cette populace étant revenu à ladite maison avec l’épouse de Billac, elle se mit à crier qu’ils étaient tous des voleurs, des assassins de grand chemin, qu’il fallait les assommer et les jeter dans la rivière, ajoutant qu’il fallait aller chercher des haches et les couper à morceaux ». Laurens Peyre dit la Rose, maître maçon de Carcassonne, 35 ans : « Hier, dans la matinée, au lieu de Leuc, … il y trouva le dit Raulet, huissier, Boisset et Vidal (ses) assistants qui allaient faire vuider audit Billac la maison qu’il occupe et comprise dans la saisie en vertu d’une ordonnance … rendue à la requête d’Arnaud Jambert … et étant passé devant la portede la maison … il vit que l’épouse dudit Billac ferma la porte de la maison danslaquelle étoit ledit Raulet et ses assistants, sur quoy ledit Raulet … ouvrit la porte d’ycelle en ayant enlevé le montant, lequel étant tombé sur (son) pied, le blessa … (Etant sortis de la maison et face à la pile de bois, l’épouse de Billac leur dit) que s’il touchaient la moindre chose, ils la payeraient et dans ces entrefaites, l’épouse du nommé Amiel étant survenue armée d’une grosse pierre, elle prit ledit Raullet au collet, luy disant qu’il était un fripon et un voleur de grand chemin de même que ses assistants et en même temps, l’épouse de Billac cadet (la belle-sœur) survint avec plusieurs autres femmes inconnues du déposant, qui se mirent toutes à invectiver et menacer ledit Raulet et ses assistants, sur quoy ledit Raulet, pour éviter que cette populace ne luy tomba dessus, mit son couteau de chasse à la main, alors l’épouse d’Amiel luy jetta la pierre dont elle était armée sans néanmoins rencontre ledit Raulet qui évita le coup, alors (l’époux Amiel) étant survenu, (il leur) dit qu’ils étaient tous des canailles et des attaquants de grand chemin et que s’il avait une hache avec, il l’en hacherait à morceaux (et que) s’ils ne renfermaient pas le bois qu’ils avaient sortis, ils les assassineraient à grands coups de barre et les obligèrent en effet à renfermer le bois qu’ils avaient sorti à la rue, après quoy ledit Raulet et ses assistants se retirèrent ». Jeanne Ladou, épouse de Louis Bru, habitante de Leuc, 65 ans : « Etant à laver du bled (blé) à la rivière de Leuc dans la matinée, elle entenditquelqu’un qui criait qu’on sortait Billac hors de sa maison, sur quoy s’étant rendu par esprit de curiosité à la maison de Billac, elle y trouva Raulet avec quelques assistants … et quantité de femmes qui étaient en si grand nombre qu’elle ne s’avisa pas à en remarquer aucune, de manière qu’il luy est impossible de pouvoir nous les nommer et elle s’aperçut qu’on avait sorti quelque peu de bois hors de la maison … et au moment qu’elle entrait chez Billac, elle vit ce dernier qui venait de sa vigne portant un panier de raisins et qui haussa les épaules sans rien dire … et de suite la déposante s’en retourna à la rivière pour continuer de laver le bled ». Un témoignage de bien mauvaise foi : Jeanne ne reconnait aucune des femmes de son village. Marie Bru, qui lavait aussi du blé à la rivière, raconte la même chose que Jeanne : s’étant rendu par esprit de curiosité chez Billac, elle dit y avoir vu « quantité de femmes qui criaient beaucoup contre Raulet et ses assitants, n’ayant pas fait attention à ce qu’elles disaient, n’en ayant même remarqué aucune parce qu’elle s’en retourna de suite à la rivière en peu de temps ». François Tissadou, brassier et domestique de Leuc, 23 ans, assiste aux événements mais ne remarque personne en particulier et ne sait pas ce qui s’est dit. Idem pour les autres témoins de Leuc : François Plausole, pourtant vu par l’huissier Raulet lors de la rébellion, ment effrontément en affirmant que ce jour là « il était avec son fils au lieu de Bresailles où ils travaillèrent tout le jour ». Néanmoins, le juge prévôtal décrète de prise de corps Billac, son épouse, le nommé Amiel et sa femme pour « être pris et saisis au corps, conduits et amenés sous bonne et sûre garde dans les prisons de la prévôté pour répondre à ses fins et conclusions et de partie civile ». Les autres rebelles sont convoqués au tribunal. La liasse malheureusement s’arrête ici. Face à l’intrusion d’une justice jugée abusive par les habitants de Leuc, le village s’est soudé dans la rebellion menée par des femmes. AD Aude, B1176. _________________ 👑 👑 👑 ⚜ ⚜ |
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