Il y a une expo !
Exposition Kimiko Yoshida. La présence de l’absence.
Une exposition qui pourrait s’intituler « Cherchez l’artiste. »
- Kimiko Yoshida
L'Abbaye Espace d'Art contemporain
Annecy-le-Vieux
Du 26 avril au 7 juillet 2019
En attendant d'y aller, un interview
Autoportrait de l'artiste en Louis XIV du BerninRencontre à l’Abbaye d’Annecy-le-Vieux avec Kimiko Yoshida et Jean-Michel Ribettes ce 24 avril, veille du vernissage de l’exposition organisée par la Fondation Salomon pour l’art contemporain.
La discussion s’engage avec la lecture de l’inscription en latin qui figure au dos de l’autoportrait de Kimiko en Louis XIV par Le Bernin « In girum imus nocte et consumimur igni », titre du film réalisé par Guy Debord, inspiré d’un vers de Virgile et palindrome célèbre puisque la formule se lit aussi bien de gauche à droite que de droite à gauche. Elle signifie « Nous tournons en rond dans la nuit et sommes dévorés par le feu », comme des papillons.
Excellente entrée en matière pour cette exposition qui s’inscrit dans le mouvement de l’art baroque.
- Vous avez japonisé l’œuvre de départ, celle réalisée par Le Bernin.
J-M R _ C’est surtout que Louis XIV a perdu sa moustache parce qu’il prend le visage de Kimiko. Elle a gardé cependant l’accroche-cœur du Bernin.
- C’est un autoportrait. C’est un peu comme si je réalisais mon autobiographie en devenant Proust…
J-M R _ Proust deviendrait vous.
- C’est un coup à trois bandes que vous réalisez, avec Louis XIV, Le Bernin, Kimiko…
J-M R _ Avec Guy Debord, c’est un coup à quatre bandes.
KY _ Comme il y a toujours dans les bustes anciens un creux marqué au dos, nous avons décidé d’y inscrire une formule indiquant qu’il s’agit d’une vanité, ce genre qui évoque la vie et la mort.
J-M R _ Le principe est de toujours mouler les sculptures sur l’original, et le visage, lui, est celui de Kimiko.
Absence en gloire. Autoportrait (en creux,donnant l'impression de relief)- Cette notion de vide dans le portrait est très intéressante, l’idée de laisser un vide.
J-M R _ Vous avez raison. Nous pensons que la représentation consiste toujours à souligner une absence, à représenter quelque chose qui n’est pas présent. Représenter, c’est dire l’absence. L’empereur romain régnait en effigie sur l’Empire, c’est pourquoi chaque carrefour de la Via Romana arborait son buste. Il régnait « in absentia », qui est d’ailleurs le titre d’une œuvre que nous avons réalisée mais qui n’est pas exposée ici.
Marie-Antoinette recapitée en geisha« Marie Antoinette recapitée en geisha » reprend un buste destiné à présenter Marie-Antoinette à Louis XVI avant que celle-ci arrive en France. Kimiko étant choquée par le mariage arrangé, comme l’a été celui de ses parents, a décapité Marie –Antoinette [une sorte d’anticipation postérieure à la véritable décapitation] pour installer sa tête à la place, ornée d’une coiffe de geisha contemporaine de l’époque de Marie-Antoinette ; mais la statuaire n’existant pas au Japon, cela donne une statue improbable.
Tombe de verre- Ce n’est donc pas la nature qui a horreur du vide, mais nous, les humains.
Le symbole est là à la fois pour creuser et remplir le vide. C’est pourquoi notre rencontre avec le tombeau du cardinal Barberini à Rome est particulièrement pertinente. Une pierre grise sans nom, ni date, ni blason. Cette inscription en latin « Pulvis, cinis et nihil ! » Poussière, cendre, rien ! Barberini était un Capucin, il appartenait à un groupuscule scissionniste des Franciscains qui voulait renouer avec la modestie et la pauvreté originelles de Saint François .Son tombeau est en même temps un monument d’arrogance en creux. Son frère, le pape Urbain VIII est l’inventeur de l’art de la Contre Réforme. Il demande au Bernin qui n’a pas encore réalisé grand-chose de refaire l’urbanisme de Rome, de compléter l’œuvre de Michel Ange, les colonnades, son tombeau…
L’église où est enterrée son frère, le cardinal, est connue pour abriter en sous sol une demi-douzaine de chapelles baroques en terre battue dont les décors sont réalisés avec les squelettes de tous les capucins et princes de la famille Barberini. Les lampes, les autels sont faits avec ces ossements.
Pour notre représentation de ce tombeau,l’épitaphe de dix-huit lettres est reprise en verre soufflé par les verriers de Murano. Du verre soufflé non pas en verre plein, mais vide. C’est une première.
- C’est l’esprit lui-même qui souffle.
Qui indique à la fois la permanence et la fragilité.
KY _ Leur couleur rouge vient de l’emploi de l’or comme matériau, dont l’oxyde donne cette teinte. Pour obtenir une couleur uniforme sur toutes les réalisations, il a fallu une température de cuisson constante. La dimension de la tombe est celle d’un tatami, 90X180cm.
Où est Kimiko Yoshida?- Comment s’élabore une œuvre ?
J-M R _ Je n’existe pas. On conçoit et on réalise les œuvres ensemble. Avec nos deux cultures.
- C’est une fusion dans l’art.
Oui, un croisement, une hybridation, une impureté.
KY _ J’intéresse beaucoup Jean-Michel, il capte donc tout ce que je veux faire, et c’est réciproque.
- Hybridation semble bien correspondre, le Japon, l’Europe, l’érudition et la réalisation plastique…
J-M R _ Le minimalisme et le baroquisme.
KY_ L’hybridation passe aussi par le langage. Il comprend l’italien, l’espagnol, le latin ; je comprends le chinois…
- C’est du baroque linguistique !
Notre rencontre vient de ce que j’ai étudié et lu Roland Barthes au Japon. Elle vient de la sémiologie.
J-M R _ Elle a été séduite quand elle a découvert que j’étais très lié à Roland Barthes, qu’il me dédicaçait tous ses livres.
KY _ La bible des photographes est « La chambre claire. »
[ L’évocation de « La septième fonction du langage », roman de Laurent Binet provoque des appréciations contrastées.]
- Vous associez Barthes à une forme de tradition japonaise avec l’art du maquillage, du masque.
Il est difficile de retrouver mon visage dans chacun de mes autoportraits.
J-M R _ Le maquillage européen est fait pour singulariser, rendre remarquable, séduisante ; c’est l’exact opposé du maquillage de la geisha qui relève de l’archétype. Chaque maquillage devient l’image de la geisha. Un masque. Vous trouverez sur notre site un texte, « Le tombeau » qui parle de la rencontre du minimalisme et du baroquisme.
Il faut préciser que tous les autoportraits de Kimiko pris en photo ne sont pas retravaillés avec Photoshop. La plupart sont des prises de vue analogiques.
- C’est donc une transformation assez radicale…et naturelle à la fois.
Chaque maquillage permet de me faire disparaître.
Rorschach Yoshida 78 (Suleiman the Magnificient L)- Eternelle question : est-ce qu’on est plus soi-même à l’état naturel ou quand on avance masqué et plus libre, comme pour le carnaval ?
Kimiko, êtes-vous davantage vous-même à travers vos œuvres ?
Je ne suis nulle part. Grâce à Jean-Michel, j’existe. Devant lui. Je ne vis pas, je suis un peu ailleurs…
- Ce qui laisse de la place à la présentation et à la représentation.
Oui. Là il n’y a pas un nombre très important d’œuvres exposées. Il m’est arrivé d’en présenter une centaine, à touche touche, dans un musée qui se présente un peu comme le Guggenheim à New York. J’en ai eu le tournis et je me suis dit « Voilà, ça c’est moi ! » C’est comme si j’étais devenue aveugle et ne restait que la notion de l’espace. Comme si je n’avais plus eu de corps. Une œuvre immatérielle.
- Exister à travers des projections de soi ?
La répétition et l’annulation de mon image, de moi-même.
J-M R _ C’est drôle, depuis 2001 Kimiko ne fait que des autoportraits avec le même dispositif, le même éclairage et plus c’est pareil, plus ça change malgré le protocole très contraignant que nous nous sommes donné.
KY _ Je vis pour lui et il vit pour moi. Chaque ego est ailleurs.
- Avec, pour faciliter les choses (et la vie de couple) le medium de l’art.
J-M R _ Oui, certainement, l’art, l’artefact, l’artifice est au milieu.
KY _ Je pense que la création vient de Dieu. Dieu a créé la Terre. Je ne suis pas catholique mais c’est ce que dit la bible. Même si l’on considère que c’est l’humain qui a créé Dieu, dans quelque sens qu’on le prenne, la création est un acte sacré.
J’ai décidé de consacrer ma vie à la création, pas juste pour une image.
Oui, je ne suis nulle part mais je crée mon œuvre, comme si je cultivais des légumes…
- C’est une belle définition d’une vie épanouie, qui se construit, comme une œuvre d’art.
Oui, c’est ça. Je vais de plus en plus dans cette direction.
J-M R _ Kimiko parle de sa difficulté à vivre. La définition de l’art que donne Lacan, c’est la transformation du symptôme.
Freud dit que l’art est une hystérie réussie. L’idée de transformation est essentielle.
- Christophe Rassat _ Vous parlez de création, de transformation, mais il y faut de la lumière. Dans le noir, tout est identique, la même chose. Cette lumière qui vient sur telle ou telle part de vous est cette création qui vous fait exister.
J-M R _ On retrouve là Platon…
KY _ J’ai une réponse. Si l’on éteint toutes les lumières, il reste une image…parce qu’on utilise aussi des peintures phosphorescentes ! (rire général).
[Le test est réalisé ; en très basse lumière l’autoportrait en Louis XIV prend un relief saisissant]
A l’église, c’est la lumière qui représente la présence de Dieu. On retrouve l’importance de la lumière dans la mythologie, la religion japonaise.
- Existe-t-on en dehors de la lumière, du regard de l’autre ?
Les prises de vue de mes autoportraits sont réalisées en très basse lumière. C’est un peu comme si je jouais au tennis. La balle que je travaille est la lumière que je reçois.
Rorschach Yoshida 107 (Virgin with a Crown L)- Vos réalisations sont très sexuées, avec des orchidées, des symboles. Quant à vos représentations évoquant le test de rorschach, elles donnent l’impression que vous ne passez pas le test mais que vous êtes le test, vous-même le test permanent…
J-M R _ Warhol a fait une série de rorschach très amusants. Je vous renvoie encore une fois à notre site. Avec le texte sur le tombeau, vous en trouverez un autre sur le rorschach, avec une partie historique, l’origine, la reprise par Duchamp, Warhol… et la signification du rorschach chez Kimiko. Il participe de l’oblitération, de la disparition, du fading de Lacan, la tension entre l’abstraction et la figuration, l’abstrait et la figure au sens aussi de visage.
Kimiko raconte alors le choc qu’elle a éprouvé lorsque, arrivant du Japon, elle a découvert l’art baroque à Venise, cette saturation, puis la compréhension de cet art et de sa signification, deux ans plus tard, après la lecture d’une bible illustrée pour enfants.
KY _ C’est ce qui m’a fait découvrir ma propre culture japonaise. D’un côté une saturation à laquelle participe le trompe l’œil pour atteindre l’infini alors que la tradition japonaise s’inscrit dans la recherche du vide.
C’est ce qui me conduit vers certaines réalisations monochromes d’où je soustrais les autres couleurs.
J-M R _ Pour revenir au baroque, c’est donc Urbain VIII qui l’invente avec Le Bernin. Rien n’existait à Rome d’antérieur au sac de la ville en 1527.Tout avait été détruit aux cris de « Luther pape ! » Urbain VIII veut redonner sa place à Rome qui était devenue une sorte ville de province. Il invente la Contre Réforme pour écraser les protestants sous la virtuosité du baroque.
[Ce qui nous renvoie à la Contre Réforme locale, en Savoie, à Saint François de Sales qui, pour lutter contre les protestants, fait bien sûr appel à l’art baroque mais aussi à l’enseignement, au savoir…hybridation plutôt qu’affrontement]
Rorschach Yoshida 73 (Minerva L)https://www.moveonmag.com/
Je suis en extase devant tout, le concept et la réalisation. Ces oeuvres me parlent infiniment