pimprenelle
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| Sujet: Lecture "L’émergence du risque industriel" (Thomas Le Roux) Jeu 5 Fév - 9:34 | |
| Une lecture qui m'intéresse fort, moi qui suis fascinée par la révolution industrielle et ses répercussions sur les classes populaires. Thomas Le Roux (dir.), « L’émergence du risque industriel (France, Grande-Bretagne, XVIIIe – XIXe siècles), Le Mouvement social, n° 2491) L’histoire de l’industrie ne peut être pensée en faisant abstraction des risques. L’ère de la révolution industrielle a par ailleurs attiré l’attention sur ceux-ci, les risques industriels ayant remplacé les risques urbains plus classiques, comme les incendies de quartiers majoritairement construits en bois. Cette mutation du risque est le point de départ chronologique de la riche réflexion proposée par le numéro 249 de la revue Le Mouvement social autour de « l’émergence du risque industriel ». Le choix de l’espace franco-britannique aux XVIIIe et XIXe siècles est pertinent car, contrairement à l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne formaient déjà des États nations aux contours quasiment fixés. Cependant, aucune étude comparative directe n’apparaît dans le numéro, les contributions traitant soit d’un pays, soit de l’autre. La Grande-Bretagne ayant débuté sa révolution industrielle avant la France, il n’est pas surprenant de constater que la prise de conscience des risques ainsi que leur gestion économique et humaine aient été précoces. La formation d’une classe ouvrière industrielle britannique, donc bien plus unifiée qu’en France1, en a été certainement une des raisons.
2) L’éditorial de Thomas Le Roux souligne les multiples perspectives historiques que laisse entrevoir l’étude du risque industriel, quand on ne se cantonne pas à une simple description factuelle ou technique de celui-ci. En effet, le risque a indéniablement eu une influence économique, urbaine et sociale.
3) Ce numéro de la revue Le Mouvement social est organisé de manière progressive. La thématique géographique est un élément central des deux premières contributions, consacrées aux incendies londoniens du dernier tiers du XVIIIe siècle (Liliane Hilaire-Pérez et Marie Thébaud-Sorger) et à la catastrophe survenue à la poudrerie de Grenelle en 1794 (Claire Barillé, Thomas Le Roux et Marie Thébaud-Sorger). L’implantation et la configuration des espaces industriels ont été influencées par ces catastrophes. Le développement des assurances et des secours est également une conséquence marquante de la prise de conscience des risques industriels. La récurrence de ce thème est donc logique dans ce numéro du Mouvement social. L’exemple de l’explosion de la poudrerie de Grenelle montre comment l’État français a dû gérer, pour la première fois, une catastrophe industrielle en organisant l’indemnisation des victimes. Le traitement desdites catastrophes, jusqu’alors dévolu au patron ou à des mutualités locales, s’est progressivement étatisé.
4) De ces événements ponctuels a découlé progressivement l’établissement de règles et de normes techniques et législatives pour la sécurité des travailleurs. La contribution de Jean-Baptiste Fressoz présente comme une rupture la définition des normes de sécurité réalisée par l’Académie des Sciences sous la Restauration. Celle-ci entérine une évolution à la fois scientifique, juridique, sociale et technique. En effet, lesdites normes sont apparues dans un contexte de « vide créé par la suppression des corporations et par l’apparition de technologies nouvelles échappant aux savoir-faire de métiers déjà constitués » (p. 87). Le rapport entre la législation et les risques a aussi influencé la Grande-Bretagne, ainsi que le démontre la contribution de Peter Kirby, soucieux de revenir sur certains mythes. L’auteur rappelle en effet la diversité des politiques de réglementation au travail vis-à-vis des risques, notamment concernant les enfants, dont la protection n’est devenue un sujet législatif majeur qu’au moment du déclin de leur emploi dans l’industrie, c’est-à-dire à l’orée du XXe siècle.
5) Après cette suite d’articles à portée générale ou réglementaire, le volume propose plusieurs études de cas, offrant les exemples nécessaires pour éviter le piège de la réflexion théorique et abstraite. Un bon équilibre est instauré entre ces deux ensembles formant le volume.
6) La lutte contre les risques est déclinée sous l’angle des deux activités industrielles emblématiques, à savoir les mines et le textile. Ces deux exemples donnent la mesure des catastrophes qui pouvaient se produire, et par conséquent soulignent l’ampleur des risques industriels. Les schémas réalisés pour des procès-verbaux d’accidents illustrent opportunément le propos de l’article de Jean-Philippe Passaqui, consacré aux risques dans les mines de combustibles minéraux dans le bassin de Bourgogne-Nivernais à la fin du XIXe siècle, attestant de l’évolution des techniques minières. De plus, les procès-verbaux d’accidents ont eu progressivement une vocation instructive, apportant « à l’exploitant des conseils pour éviter la reproduction des accidents » (p. 138) et donc pour adapter l’activité au risque – qui ne pouvait pourtant jamais être entièrement éradiqué – grâce à la proposition de mesures préventives. Jean-Philippe Passaqui ajoute que la condition des mineurs a été elle aussi influencée, dans la mesure où il était enseigné aux ingénieurs de se soucier de la vie et de la santé de leurs ouvriers, tout en notant que les mines secondaires avaient, pour des raisons économiques, plus de difficultés à se conformer aux mesures de sécurité.
7) Symptomatique est aussi la question des incendies récurrents dans les usines de textile, étudiée par François Jarrige et Bénédicte Reynaud. La plupart d’entre aux étaient accidentels, mais, statistiquement, pour près de la moitié des incendies recensés dans un échantillon de trois départements entre 1830 et 1870, les causes restaient officiellement indéterminées – sans compter les accidents attribués à des causes naturelles comme la foudre. La fréquence des incendies accidentels révèle qu’au début de la révolution industrielle, les techniques restaient rudimentaires. De plus, les ouvriers ne maîtrisaient pas entièrement leur outillage et n’avaient aucune conscience de la dangerosité de certaines matières employées, dans un espace de travail dépourvu de normes de sécurité. On relève ainsi l’exemple de l’incendie d’une fabrique d’ouate en Alsace en 1866, dû à la chaleur du tuyau des machines à vapeur, ou encore le cas d’un batteur, dans une filature de Pont-Audemer, qui, en 1861, a provoqué en incendie en enflammant le coton après avoir touché à la lampe de l’atelier dont « la lumière [était] charbonneuse » (p. 151). Il était donc nécessaire de réduire le facteur de la négligence, en responsabilisant les ouvriers. La lutte contre les incendies a surtout une portée économique, car, hier comme aujourd’hui, ces catastrophes suscitent des pertes d’argent et un chômage dont l’impact devait être atténué par des secours financiers privés, philanthropiques, puis syndicaux, ou encore par l’intervention de personnalités institutionnelles importantes, comme Napoléon III. Le chômage technique imposé suite à l’incendie d’une usine posait surtout problème quant au risque de troubles à l’ordre public (les révoltes ouvrières comme celle des Canuts à Lyon en 1831 ou lors de la Révolution de juin 1848 à Paris ont profondément marqué les esprits). L’article de François Jarrige et Bénédicte Reynaud se conclut sur la généralisation des assurances incendies, facilitant ainsi l’enchaînement avec la contribution de Niels Van Manen sur les plans d’assurance incendie conçus par l’entreprise de cartographie Goad à la fin du XIXe siècle. Van Manen accorde une importance particulière à l’évolution de la gestion du risque industriel depuis le XVIIe siècle et à la genèse des plans d’assurance incendie, afin de souligner que l’action de Goad était le résultat de réflexions sur la longue durée. L’exemple de Goad replace finalement l’étude du risque industriel et de sa gestion dans une perspective plus large d’histoire technique, économique et sociale. Aussi, le volume se conclut pertinemment sur un article économique et social, ayant pour thème l’indemnisation par le gouvernement britannique des ouvriers victimes d’accidents du travail. Les réflexions gouvernementales ont abouti en 1897 à la promulgation d’une loi, donnant droit aux ouvriers à des indemnisations pour les dommages corporels. Julia Moses revendique « la perspective d’une histoire croisée », que l’on peut finalement créditer à l’ensemble des contributions, prises isolément ou perçues comme un tout progressif et d’une cohérence réflexive que les notes de lecture en fin de volume confirment.http://lectures.revues.org/16940 _________________ rien que la mort peut me faire cesser de vous aimer
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