Un peu de lecture !
Pierre Prion Un Rouergat au siècle des Lumières - Voyages, aventures, comtes, anecdotesSociété des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron 2017 / 25 € - 163.75 ffr. / 224 pages
ISBN : 978-2-908570-18-1
FORMAT : 16 cm × 24 cm
Édition critique des Mémoires par Jacques Frayssange, Patricia Ranum, Orest Ranum, Jean-Louis Rigal.
Préface d’Emmanuel Le Roy Ladurie.
Conjuguée au passé, l’écriture de soi constitue un monde fort divers : on peut écrire soi-même sa biographie, décrire son propre parcours et le monde dans lequel il s’est effectué, se contenter d’en noter au jour le jour les événements où les transposer en récit littéraire, se faire son propre historien ou en laisser le soin à un hypothétique historien à venir.
Vous connaissez – du moins de nom – Louis-François Pinagot, cet inconnu du début du XIXe siècle, sabotier normand, exhumé des archives administratives par Alain Corbin qui lui a restitué une existence (Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot, Flammarion, 1998) ; vous devez connaître Pierre Terrade (1558-1628), le notaire royal de Fraysselines (en Corrèze) dont Nicole Lemaitre a exploité le livre de raison (Le Scribe et la Mage, Musée du Pays d’Ussel, 2000) ; peut-être avez-vous lu le Journal d’un bourgeois de Bégoux (Lot), 1771-1836, publié par Christiane Constant-Le Stum (Publisud, 1992) ; aujourd’hui vous allez faire ample connaissance avec Pierre Prion, ce Rouergat du XVIIIe siècle dont la profession était précisément de tenir la plume et qui s’est lui-même employé à relater ses aventures. La Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, qui conserve ses manuscrits, lui rend la parole en publiant son autobiographie.
Connu par l’usage qu’en avait fait Émile-G. Léonard, le grand historien du protestantisme natif d’Aubais, dans son ouvrage Mon village sous Louis XV, Paris, 1941 (rééd, PUF, 1984) et par une publication partielle procurée en 1985 par Emmanuel Le Roy Ladurie et Orest Ranum (Pierre Prion, scribe - Mémoires d'un écrivain de campagne au XVIIIe siècle, Gallimard, coll. Archives), l’ouvrage a bénéficié des soins érudits et attentifs d’une équipe dévouée qui en permet désormais une lecture suivie dans une édition de qualité rendue parfaitement intelligible grâce aux introductions dont elle est pourvue et accessible à travers l’indispensable index dont elle est munie.
Fils de notaire royal, Pierre Prion est né à Requista (Aveyron) en 1687 et mort à Aubais (Gard) en 1759, dans l’orbite du marquis d’Aubais dont il était le scribe et l’homme à tout faire. D’abord placé auprès d’un avocat toulousain, puis berger, valet à la mort de son père qui le laisse sans ressources, il déserte l’armée dans laquelle il a été enrôlé de force, entre au service du marquis de Saint-Véran, puis se stabilise finalement comme copiste auprès de l’érudit Charles de Baschi, dont il intègre la domesticité au château languedocien d’Aubais, ce qui lui assure un ordinaire de petit notable de village, ainsi qu’une ouverture sur le monde à l’occasion des voyages qu’il fait à la suite du marquis son maître.
C’est au plus près de cette réalité vécue que nous introduit son journal, car homme de plume, Prion n’est pas que greffier-copiste ; il a tenu à coucher par écrit le film de son existence et sa curiosité de contemporain des Lumières l’a conduit à noter, au-delà de la présentation de son propre personnage, une foule de détails qui recomposent le monde dans lequel il vit, dont il nous offre une traversée marquée au sceau de l’authenticité des notations qu’il entasse page après page avec la volonté de produire une œuvre aux plus vastes perspectives : «Prion assure que le système du monde universel donne à l’univers un espace immense […] Ce système offre à l’intelligence humaine un spectacle magnifique où brille de toutes parts la profondeur des richesses et de la sagesse de ce Dieu. Tout y est noble et digne d’une puissance sans bornes. Si un seul monde annonce la gloire d’un être intelligent, combien plus ne brillera-t’elle pas dans une multitude innombrable de mondes qui se perdent dans l’espace immense de l’univers» (p.7).
C’est toute la vertu du document de permettre à son lecteur de s’immerger dans ce monde retrouvé, comme c’est tout le mérite de l’équipe d’historiens et de la Société des Lettres Sciences et Arts de l’Aveyron qui les a réunis pour en procurer l’édition d’avoir permis cette résurrection. Aux lecteurs de réserver maintenant au scribe Prion devenu auteur l’accueil qu’il mérite.
Françoise Hildesheimer
http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=4&srid=96&ida=18431