Nombre de messages : 40599 Date d'inscription : 23/05/2007
Sujet: La cour et l'opéra sous Louis XVI Mar 11 Avr - 23:02
Et si nous parcourions ensemble le livre écrit par Adolphe Jullien en 1878? C'est à dire à peine un siècle après les événements, sur base de sources encore toutes fraîches...
Le titre exact de l'ouvrage est: La cour et l'opéra sous Louis XVI - Marie-Antoinette et Sacchini, Salieri, Favart et Gluck
Le tout assorti de cette précision qui nous met d'emblée en appétit: d'après des documents inédits conservés aux archives de l'Etat et à l'Opéra.
Dans son introduction, l'auteur commence par rendre justice à Sacchini et Salieri, inexplicablement négligés par la postérité. Ce sera donc avec le plus grand plaisir que nous allons redécouvrir ces deux artistes avec lui.
Né à Florence le 14 juin 1730, le jeune Antonio Sacchini fut découvert par hasard par Francesco Durante qui, séduit par sa voix, l'enleva à son petit village de pêcheurs de Pouzzoles pour lui enseigner la musique. Il étudie beaucoup, voyage en Italie et en Europe et finit par se fixer en France.
Le ier août 1781, il y avait bal, spectacle, illuminations à Trianon. L'empereur Joseph II, qui aimait tant à voyager hors de ses États sous le nom de comte de Falkenstein, venait faire pour la seconde fois visite à sa sœur, la reine de France, et celle-ci avait organisé en son honneur une de ces fêtes splendides comme elle aimait à en donner dans sa charmante retraite. Elle même prenait plaisir à arrêter la liste des courtisans admis au spectacle, et, se faisant toute à tous, recevait ses invités à la porte et s'occupait même de les faire placer.
Une autre personne attirait avec l'empereur l'attention de toute la cour; c'était un artiste nouvellement débarqué en France et qui venait d'être présenté à Versailles. Ce musicien avait déjà rempli l'Italie, l'Allemagne et l'Angleterre du bruit de ses succès, et Paris avait eu par deux fois occasion de l'applaudir.
Ce soir-là, on représentait à la cour Iphigénie en Tauride. La reine et l'empereur traitèrent le compositeur en souverain et le firent placer auprès d'eux; ils le questionnèrent même pour connaître son avis sur l'oeuvre de Gluck. «Avez-vous jamais vu d'opéra français? lui demanda Joseph dès l'abord. Non, sire. Eh bien vous allez en voir un.» Ce mot n'était nullement malicieux mais comme toute parole tombant de lèvres royales doit avoir un sens profond et caché, les courtisans répandirent ce propos à la ronde chacun aussitôt de déclarer que l'empereur faisait bien peu de cas de la musique du maître, puisqu'il l'assimilait à la musique française.
Tout innocent qu'il fût de la méchanceté gratuite qu'on lui prêtait, le fils de Marie-Thérèse ne se cachait pas de préférer beaucoup la musique italienne. Il se montra enchanté de rencontrer en France le compositeur qui demeurait le plus illustre représentant de la musique d'outre-monts, depuis que Piccinni s'était en quelque sorte mis à l'école de Gluck pour le mieux combattre, et il le recommanda chaudement à sa sœur.
La reine accueillit d'autant mieux la requête de son frère, qu'elle avait vu avec regret Gluck s'aller fixer à Vienne après l'insuccès de son Écho et Narcisse; car la retraite du maître, tout en laissant ses admirables créations au répertoire, empêchait que l'Opéra ne s'enrichît de nouveaux chefs-d'œuvre: Piccinni restait et allait donner Didon, mais il y avait largement place à l'Opéra pour deux grands musiciens. La reine reporta donc dès le premier jour sur Sacchini la faveur dont elle avait honoré son maître Gluck et elle n'agissait pas à la légère en l'accueillant si favorablement, car Sacchini n'était pas un inconnu pour elle, après les représentations de la Colonie et de l'Olimpiade qui lui avaient acquis un certain renom à Paris.
_________________ rien que la mort peut me faire cesser de vous aimer
pimprenelle
Nombre de messages : 40599 Date d'inscription : 23/05/2007
Sujet: Re: La cour et l'opéra sous Louis XVI Mar 11 Avr - 23:16
Marie-Antoinette résolut de fixer en France l'auteur de ces gracieux ouvrages. Elle chargea le ministre de la maison du roi, Amelot, qui avait la direction suprême de l'Opéra, de faire à Sacchini des propositions afin de l'attacher à ce théâtre. Pour le déterminer plus facilement, Amelot et l'intendant des Menus-Plaisirs, Papillon de la Ferté, qui servait d'intermédiaire dans cette négociation, attaquèrent le musicien par la vanité, et lui firent entendre que sa gloire ne serait pas consacrée tant qu'il n'aurait pas obtenu les suffrages de la cour et de Paris. Ce singulier exorde piqua au vif l'Italien, qui repartit vivement qu'il croyait être suffisamment connu même dans notre capitale, après le double succès qu'il avait remporté à la Comédie-Italienne; et la meilleure preuve qu'il y était déjà très-apprécié, c'est qu'on voulait le retenir.
On se rapprocha cependant; Sacchini fit ses propositions, l'intendant des Menus les rapporta au ministre, celui-ci les soumit à la reine. Bref, après maint pourparler, cette importante négociation prit fin, d'après la décision de la reine, par les deux lettres suivantes échangées entre le ministre et Papillon de la Ferté
_________________ rien que la mort peut me faire cesser de vous aimer
pimprenelle
Nombre de messages : 40599 Date d'inscription : 23/05/2007
Sujet: Re: La cour et l'opéra sous Louis XVI Mar 11 Avr - 23:26
La reine, qui marquait la plus vive sympathie pour Sacchini, ne voulut pas le laisser se débattre seul au milieu des difficultés, des embûches qu'un compositeur nouveau venu rencontrait toujours à l'Opéra, et elle prétendit le défendre contre ceux qui lui susciteraient des obstacles. Elle jugea d'abord avec raison que la collaboration d'un aussi médiocre écrivain que Lebœuf pouvait être fatale à Sacchini, et elle prit soin de faire soumettre par deux fois à un juge éclairé la besogne du pauvre Lebœuf, afin de rendre aussi bon que possible le poême sur lequel le musicien allait risquer sa première partie. La reine, par l'intérêt qu'elle portait à Sacchini, et le comité de l'Opéra, par la défiance que lui inspiraient un poête novice et un musicien étranger, se rencontrèrent dans cette sage idée d'un examen préalable.
Les membres du comité, ayant entendu lecture du poême de Lebœuf dans la séance du 17 juin 1782, l'avaient adressé au ministre, sans toutefois donner d'avis, mais en faisant observer qu'il «fallait faire la plus grande attention à cet ouvrage, destiné à un auteur avec lequel il y avait une convention de dix mille francs, sans compter le droit d'auteur des paroles.» A quoi le ministre, préoccupé surtout des recommandations de la reine, avait répondu «qu'il sentait combien il était essentiel que M. Sacchini ne travaillât que sur un bon poème.»
_________________ rien que la mort peut me faire cesser de vous aimer
pimprenelle
Nombre de messages : 40599 Date d'inscription : 23/05/2007
Sujet: Re: La cour et l'opéra sous Louis XVI Mar 11 Avr - 23:43
Je vous renvoie au livre pour y suivre les intrigues diverses menées dans le domaine de l'opéra. C'est pas piqué des vers! On se contentera ici de ce petit aperçu...
Sacchini devait rencontrer à l'Opéra encore plus de mauvais vouloir et de résistances que n'en avaient éprouvé Gluck et Piccinni. Dès le premier jour, il fut en butte à des tracasseries et à des cabales sans fin. Peu s'en fallut même que ces persécutions aveugles ne l'éloignassent à jamais de France. Les mauvaises langues répandaient le bruit que le nouvel opéra n'avait pas produit au clavecin tout l'effet qu'on était en droit d'attendre après l'Olimpiade et la Colonie. Les répétitions commençaient à peine que l'ouvrage était déjà décrié. L'un assurait qu'il «manquait de ragoût,» l'autre, «qu'il était trop moutonneux, comme l'est, en général, toute cette petitemusique italienne.» Et chacun d'enchérir sur le blâme porté par autrui.
Bref, il fut décidé qu'on ne pouvait jouer une pareille production. On proposa d'abord à Sacchini de lui payer dix mille livres ce triste opéra, qui ne serait jamais joué, et de résilier son traité. Il ne voulut rien entendre. On chercha alors des prétextes pour retarder la représentation: on allégua la dépense trop forte, les engagements pris avec d'autres auteurs. Rien ne lassait la patience du musicien.
Cependant il aurait été forcé d'en passer par où voulait le comité, et toute sa constance n'aurait pu triompher de ses ennemis, conjurés pour l'éloigner de là scène, si ses rares partisans, et surtout le comte de Mercy- Argenteau, ambassadeur de Vienne, mû par le double désir d'être agréable à la fois à l'empereur et à sa propre maîtresse, Mlle Levasseur, qui était désignée pour jouer Armide dans Renaud, ne s'étaient mis en campagne et n'avaient imploré la protection de la reine, qui prit aussitôt en main la défense du compositeur.
Denis Pierre Jean Papillon de La Ferté
Voilà tout ce que les contemporains les mieux renseignés disent à cet égard et tout ce qu'on a rapporté d'après eux; mais les documents secrets découverts par nous aux Archives jettent le jour le plus complet sur ces vilaines intrigues, et montrent combien il fallut d'énergie à la reine pour vaincre cette puissante alliance du surintendant des Menus, Papillon de la Ferté, de son beau-frère Morel, et du comité dirigeant l'Opéra. Les preuves sont nombreuses, et irréfutables, de cette triple coalition, coalition à ce point redoutable, qu'elle risqua un instant de triompher, en compromettant la reine aux yeux du public de façon à l'empêcher d'agir.
_________________ rien que la mort peut me faire cesser de vous aimer
pimprenelle
Nombre de messages : 40599 Date d'inscription : 23/05/2007
Sujet: Re: La cour et l'opéra sous Louis XVI Mer 12 Avr - 0:16
Ce fut La Ferté qui se chargea de porter les premiers coups. Voici comment il procéda. Un compositeur,;quelque peu réputé pour les succès qu'il avait obtenus à la Comédie-Italienne en compagnie de Monvel, Dezède, attendait avec impatience la mise à l'étude de son grand opéra de Péronne sauvée. Au mois de mai 1782, il avait reçu une lettre du secrétaire Lasalle, lui annonçant que cet ouvrage serait joué en septembre. Ce terme était passé; mais,l'auteur prenait patience, M. de la Ferté ayant écrit au comité le i3 novembre, «que le ministre désirait qu'on mît Péronne sauvée à l'étude aussitôt après l'apparition de l'Embarras des richesses et qu'on répétât l'ouvrage de Sacchini pendant qu'on jouerait Péronne sauvée
(L'Embarras des richesses est une oeuvre de Grétry).
Cinq jours après, La Ferté recevait à l'improviste une lettre de Versailles (17 novembre), où le ministre lui disait:
Rien dans cette note ne disait qu'on dût faire passer l'opéra de Sacchini avant celui de Dezède; mais La Ferté, l'interprétant ainsi, s'en servit très-habilement pour nuire à Sacchini. Il écrivit le 28 à Dezède, lui annonçant que son opéra était de nouveau retardé, et, pour empêcher la reine de défendre ouvertement son protégé, il la mit en scène dans cette lettre. Il voulait lui inspirer ainsi la crainte de faire renaître le reproche, qu'on lui avait déjà adressé à propos de Gluck et de Piccinni, de toujours protéger des étrangers.
Dezède réagit, La Ferté l'enfume, le musicien voit rouge.
A ce coup, Dezède jeta les hauts cris et résolut de se plaindre à la reine même de ce qu'on usait de son autorité pour le sacrifier. Il se rendit à la cour, et attendant la reine au moment où elle sortait du salon des nobles, il lui remit un mémoire et les lettres qu'il avait reçues du comité et de La Ferté.
Celui-ci triomphait. La reine avait une juste préférence pour Sacchini, mais elle redoutait un éclat qui pût la faire accuser de sacrifier un compositeur français à un étranger. Elle avait bien marqué son désir de voir jouer l'ouvrage de Sacchini, mais elle n'avait jamais entendu qu'on mît son nom en avant, et La Ferté ayant fait à dessein cette habile sottise, il fallait la réparer au plus vite et bien établir que la reine n'avait aucune préférence entre Dezède et Sacchini. Il s'ensuivit une correspondance très-vive et très-précipitée (du 10 au 14 décembre) entre Campan, secrétaire de la reine, et La Ferté.
Echange de courriers à lire dans l'ouvrage de M. Jullien.
Bon sang! Quel panier de crabes! Pauvre Marie Antoinette...
_________________ rien que la mort peut me faire cesser de vous aimer
Lucrezia P
Nombre de messages : 505 Date d'inscription : 07/04/2015
Sujet: Re: La cour et l'opéra sous Louis XVI Mer 12 Avr - 19:13
Ca c'est vrai ! Quelle histoire !
_________________ Je préfère l'original à la copie
pimprenelle
Nombre de messages : 40599 Date d'inscription : 23/05/2007
Sujet: Re: La cour et l'opéra sous Louis XVI Lun 17 Avr - 14:19
Après bien des tergiversations, Renaud est enfin monté!
La première représentation eut lieu le vendredi 28 février 1783. On imagine quel concours de monde avait attiré l'apparition d'un ouvrage qui avait fait tant de bruit avant sa naissance tous ces conflits, dont il avait bien transpiré quelque chose dans le public, avaient singulièrement excité l'impatience des amateurs et leur désir de juger enfin le musicien étranger. La reine avait tenu à assister au début de son protégé. La représentation marcha assez mal, et le public, gardant une prudente réserve, applaudit par instants, mais sans grand enthousiasme les esprits restèrent froids: on discutait, on n'admirait pas.
Ouvrons les journaux du temps. Le Journal de Paris est assez favorable au musicien «On a remarqué dans l'ensemble une variété toujours nécessaire dans la musique dramatique, et que l'on n'obtient que difficilement. Les deux duos entre Armide et Renaud ont paru d'un chant plein d'expression. Le morceau où Armide et Hidraot évoquent les Furies a paru faible et d'un style peu propre au sujet; mais les chœurs ont, pour la plupart, beaucoup d'effet. On a surtout applaudi avec transport celui du serment et celui des démons qui se refusent au désir d'Armide. Le monologue d'Armide, Barbare Amour, a produit le plus grand enthousiasme. Quel que soit, au surplus, le succès de ce premier ouvrage, le public paraît attendre beaucoup de ce compositeur, les beautés lui appartiennent, et les fautes légères qu'on a pu y remarquer disparaîtront, lorsque l'expérience lui aura appris et le génie de la langue et ce qu'exigent chez nous les convenances théâtrales.»
Il était bien difficile de se prononcer sur des données aussi incomplètes, après une représentation imparfaite.
... ce qui n'a jamais empêché les gens, on ne le sait que trop, de donner leur avis!
Tout le monde lui reconnaissait de la délicatesse, de la noblesse, de la facilité, mais avec force restrictions. Les connaisseurs, qui n'étaient engagés dans aucun parti, le louaient de n'avoir pas les saccades, les cris, les déchirements de Gluck, d'être à la fois «plus doux, plus agréable que le musicien allemand, d'être aussi pur et aussi mélodieux que Piccinni, avec plus d'énergie, et sans être jamais monotone et soporatif comme lui».
Sympa!
Bon, si vous voulez vous faire une idée:
_________________ rien que la mort peut me faire cesser de vous aimer
pimprenelle
Nombre de messages : 40599 Date d'inscription : 23/05/2007
Sujet: Re: La cour et l'opéra sous Louis XVI Lun 17 Avr - 14:35
Le public dira aussi, comme on s'y attend, beaucoup de mal des interprètes. Voici par exemple sur la petite amie de Mercy:
Tout le poids de la pièce portait sur Mlle Levasseur, qui se montrait tragédienne remarquable, mais cantatrice insuffisante dans le rôle d'Armide, où il lui fallait presque continuellement forcer sa voix fatiguée.
Dès le premier soir, on avait jugé que Mme Saint-Hubertv tiendrait bien mieux le rôle d'Armide et qu'elle le chanterait avec plus d'onction et moins d'effort. Quand Mlle Levasseur l'eut joué trois fois, on se décida à la remplacer, mais il fallut bien des démarches pour obtenir de la Saint-Huberty, qui, pourtant, ne faisait alors que de débuter, qu'elle consentît à jouer ce rôle en double...
Enfin Mme Saint-Huberty accepta de remplacer Mlle Levasseur. Elle eut à peine huit jours pour apprendre le rôle, et, le vendredi 14 mars, la quatrième représentation eut lieu avec la nouvelle Armide. La reine n'avait pas manqué de se rendre à cette solennité: c'était une nouvelle apparition de l'ouvrage auquel ce simple changement de chanteuse donna un relief étonnant. L'actrice s'acquitta à merveille de ce rôle, qui demandait une rare intelligence dramatique, une voix exercée et beaucoup d'art dans le chant. L'ouvrage était perdu et l'auteur sacrifié si Mme Saint-Huberty n'avait, par la puissance de son génie, relevé les rares beautés de cet opéra.
... et bim!
Des raisons plus objectives (quoique... ) expliquent le manque d'enthousiasme du public:
Sacchini avait eu le tort, en donnant cet ouvrage, de s'attaquer au souvenir non encore éteint de l'Armide de Lulli, et de paraître vouloir entrer en lutte avec Gluck, qui venait de produire son immortel chef-d'oeuvre, le plus admirable peut-être des cinq qu'il légua à la France. Ces rapprochements avaient beaucoup contribué à faire froidement accueillir l'opéra de Renaud.
_________________ rien que la mort peut me faire cesser de vous aimer
fdc
Nombre de messages : 17 Date d'inscription : 29/08/2016
Sujet: Re: La cour et l'opéra sous Louis XVI Lun 17 Avr - 15:58
J'aime bien ces cancans
Contenu sponsorisé
Sujet: Re: La cour et l'opéra sous Louis XVI
La cour et l'opéra sous Louis XVI
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum